"Quand ça s'arrête, ça s'arrête net": 3 mois après la dissolution, ces ex-députés racontent leur difficile retour à l'emploi

L'Assemblée nationale lors du discours de politique générale de Michel Barnier le 1er octobre 2024 - Alain JOCARD / AFP
"Le téléphone sonne toutes les deux minutes, vous avez 20 messages par seconde, et puis tout d'un coup, ça s'arrête. C'est dur". C'est par ces quelques mots que l'ex-députée insoumise Caroline Fiat décrit à BFMTV.com les jours qui ont suivi sa défaite au second tour des élections législatives du 7 juillet.
"Moi, j'ai compris que j'étais en train de faire une dépression. Ce passage du trop-plein d'activité à presque rien est très difficile. J'ai demandé de l'aide à un médecin", confie cette ancienne vice-présidente de l'Assemblée nationale.
"C'est comme un gros deuil"
133 députés, soit près d'un quart des élus du Palais-Bourbon, ont perdu leur mandat le 13 juillet dernier. Une grande partie d'entre eux pointent toujours au chômage.
"C'est comme un gros deuil. On sait que ça va passer mais, en attendant, on morfle", résume encore une ancienne élue.
"Ce n'est jamais agréable de perdre, on ressent un sentiment d'injustice, un grand vide. Il faut souvent un peu de temps pour reprendre le dessus", reconnaît l'ex-parlementaire Robin Reda.
Après avoir pris "un temps ressourçant" aux côtés de sa fille, née quelques mois plus tôt, l'ancien député de l'Essonne n'a pas hésité quand la nouvelle ministre de l'Éducation nationale, Anne Genetet, lui a proposé de rejoindre son cabinet.
"Franchement, il a beaucoup de chance. Moi, j'ai pris un gros coup sur la tête quand j'ai perdu et on ne se sent pas très 'bankable' quand on a le moral à zéro", regrette l'un de ses anciens collègues LR.
"Pas de préavis"
Si le phénomène de blues est classique parmi les députés qui se retrouvent sur le carreau, il semble avoir pris de l'ampleur avec la dissolution.
Les législatives tombent en général à une date déterminée des mois avant, laissant l'opportunité aux députés de préparer la suite en cas de défaite. Mais cette année, l'agenda imposé par Emmanuel Macron -à peine trois semaines pour mener campagne- a rendu compliqué la possibilité de se projeter.
"Se faire licencier, ce n'est agréable pour personne, mais nous, on a un problème en plus: celui de ne pas avoir de préavis. Quand ça s'arrête, ça s'arrête net", remarque un perdant du Rassemblement national en juillet dernier.
Si plusieurs figures de la macronie qui avaient perdu en 2022 ont atterri à des postes prestigieux, à l'instar de Christophe Castaner ou d'Amélie de Montchalin, l'ambiance est toute autre cette année.
Depuis le mois de juin, exit les nominations en Conseil des ministres. En cause notamment: le contexte politique mouvant.
"Ça devient compliqué, même maintenant qu'on a quelqu'un à Matignon puisqu'il n'est pas de notre camp politique", reconnaît l'ex-ministre Nadia Hai, défaite par son ancien collègue Aurélien Rousseau dans les Yvelines.
"Pour la plupart d'entre nous, on rame sévère"
Celle qui fut un temps ministre déléguée chargée de la Ville pourrait cependant faire son arrivée dans les prochains mois à la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH).
Certains de ses ex-collègues qui ont perdu en juillet dernier ont d'ailleurs trouvé de belles pistes d'atterrissage dans le privé, à l'instar d'Olivier Véran qui a rejoint le conseil de surveillance de Lunettes pour tous.
"Vous aurez toujours des ex-ministres qui se recasent, mais c'est l'arbre qui cache la forêt. Pour la plupart d'entre nous, on rame sévère", analyse l'ancien député Renaissance Patrick Vignal.
Les anciens membres de l'Assemblée nationale ne peuvent bénéficier d’aucune allocation chômage de droit commun -l’indemnité perçue n’étant pas un salaire. Les députés battus disposent cependant bien depuis 2018 d'un fonds spécifique alimenté par les parlementaires, calqué sur celui du régime des salariés.
"L'angoisse de l'alimentaire"
Concrètement, un ex-député touche après la défaite une indemnité mensuelle égale à 57% du montant de son indemnité parlementaire, soit 4.353 euros brut. Quant à la durée d'indemnisation, elle peut aller jusqu'à 18 mois, et même davantage si le parlementaire battu a plus de 53 ans, précise le site de l'Assemblée nationale.
Comme pour le chômage, il n'est cependant pas possible de toucher cette allocation si le député battu a l'âge de faire valoir ses droits à la retraite. C'est le cas de Bruno Millienne, âgé de 64 ans, qui dit avoir désormais "l'angoisse de l'alimentaire".
"Le crédit de ma maison n'est pas encore payé, c'est compliqué d'assurer le quotidien", assure cet ancien élu Modem des Yvelines, qui espère bientôt lancer son cabinet de conseil.
Ce proche de François Bayrou touche cependant sa retraite de député (940 euros par mois après 7 ans de mandat) et celle liée à sa carrière de privé.
"Les virés pas déprimés"
En guise de coup de main, les anciens députés de la majorité ont lancé leur propre boucle Instagram. Un temps nommée "Les virés pas déprimés", elle a désormais été rebaptisée "Plus députés, mais toujours engagés".
Elle compte pas moins de 250 membres -"des députés qui ont perdu tout récemment mais également certains en 2022", précise Nadia Hai.
"On s'envoie des offres d'emploi, des conseils de formation, ça fait du bien", relate l'ancienne ministre.
L'occasion aussi d'échanger sur les difficultés à retrouver un nouveau poste. Parmi les principaux handicaps de ces profils: la crainte pour leur employeur de les voir déserter pour faire campagne en cas de nouvelle dissolution dans quelques mois.
"J'ai passé deux entretiens sur des postes de direction", raconte un ancien député, qui aimerait se tourner vers le secteur associatif. "On m'a demandé si j'avais envie d'y retourner. Je n'en sais rien et ça dépendra du contexte politique mais je ne peux fermer totalement cette option. On ne m'a pas rappelé."
"On ne peut pas confier des dossiers sensibles à quelqu'un qui ne sera peut-être plus là dans six mois", commente le collaborateur d'un cabinet d'avocats pourtant habitué à recruter d'anciens députés à l'épais carnet d'adresses.
"Votre potentiel patron se dit que vous allez péter un plomb"
Second obstacle sur la route de la réintégration professionnelle: le retour à la hiérarchie. "Quand vous avez organisé votre emploi du temps comme vous le vouliez, sans comptes à rendre à personne à part vos électeurs, on a du mal à vous imaginer avec des ordres de votre supérieur, avec des horaires, des impératifs", remarque un ex-parlementaire macroniste.
"Vous êtes en totale autonomie pendant des années et là, on vous demande de vous retrouver dans un bureau 10 heures par jour", décrit l'ancien député Patrick Vignal. " Votre potentiel patron se dit que vous allez péter un plomb."
Lui a décidé de reprendre l'entreprise de sport qu'il gérait avec son épouse avant d'arriver au Palais-Bourbon. Et d'en profiter aussi pour "se refaire une santé", en ayant enfin le temps de faire du vélo.
"On ne me voit pas dans autre chose"
Reste à vendre des compétences nouvellement acquises au sein de l'Assemblée à un potentiel employeur, la manœuvre n'a rien de simple.
"Moi, je suis aide-soignante de métier, j'ai bac moins 2", affirme l'ex-députée LFI Caroline Fiat. "Même si j'ai appris énormément pendant mes sept années à l'Assemblée, je n'ai pas les diplômes nécessaires pour aller vers certains postes."
Pour avancer, l'insoumise a décidé d'utiliser la validation des acquis professionnels et de reprendre ses études pour devenir directrice d'Ehpad.
"J'ai longtemps travaillé dans le secteur scientifique, mais comme députée, j'ai surtout planché sur l'économie. Mais je vois bien qu'on ne me voit pas dans autre chose. Pour certains employeurs, on a l'impression que notre expérience parlementaire ne vaut rien", se désole une ancienne élue.
"Pas le même coût pour ceux qui repartent de zéro"
Le retour à la vie professionnelle est plus facile pour d'autres, à commencer par les députés qui exerçaient des professions libérales.
"Un avocat redevient avocat, un médecin pareil. Vous ne payez pas le même coût après votre défaite quand vous étiez à votre propre compte ou quand vous repartez de zéro", remarque un ex-député défait en 2022.
Même constat pour les chefs d'entreprise: le député Horizons Benoît Potterie qui possédait plusieurs magasins d'optique avant de se lancer en politique, a par exemple repris le chemin de ses commerces.
"On se prive de beaucoup de talents"
La plupart des fonctionnaires réintègrent également leur corps d'origine à l'instar de l'ex-députée Cécile Rilhac, de retour dans l'Éducation nationale après avoir été professeure pendant près de 20 ans.
"Dans quelques années, on n'aura que des gens qui acceptent de devenir député parce qu'ils savent que quand c'est fini, ils reprennent leur vie d'avant. On se prive de beaucoup de talents", s'agace Patrick Vignal.
"Je pense que c'est encore plus dur pour ceux qui ont commencé la politique très tôt", analyse encore l'ancien élu Bruno Millienne. "Bonne chance pour qu'on vous voie dans autre chose quand vous avez été élu député à 23 ans."
Pour les aider dans leur reconversion, l'Assemblée nationale a signé un contrat à l'été 2024 avec Alixio Mobilité, une entreprise spécialisée dans l'accompagnement professionnel. Au menu: des visios pour faire un point sur sa carrière et des conseils sur le CV. En 2022, un quart des députés perdants avaient utilisé ce dispositif.