49.3, motion de censure, débats électriques... À quoi doit s'attendre Barnier pour le budget à l'Assemblée

Michel Barnier à l'Assemblée nationale le 8 octobre 2024 - Thomas SAMSON / AFP
La pression monte pour Michel Barnier. À peine 6 semaines après son arrivée à Matignon, le Premier ministre défend dans l'hémicycle son premier budget, bouclé en à peine 15 jours. Le chef du gouvernement est attendu au tournant, y compris par son propre camp. Quels obstacles va-t-il devoir affronter? Éléments de réponse.
•Une motion de rejet
48 heures après la fin de débats parfois musclés en commission, le projet de loi de finances arrive dans l'hémicycle ce lundi soir à partir de 21h30. Avec comme premier obstacle sur sa route, une motion de rejet déposée par La France insoumise. Cet outil constitutionnel, s'il est voté par les députés, permet d'arrêter net les débats avant même qu'ils ne commencent. À la surprise générale, la loi immigration avait ainsi été stoppée en décembre dernier avec cet outil.
Sur le papier, cette motion de rejet n'a que peu de chances d'être adoptée. Ni "le socle commun", le terme utilisé par Michel Barnier pour désigner la coalition gouvernementale, ni le Rassemblement national ne souhaitent voter pour. Mais en cas de surmobilisation de la gauche et de dispersion des effectifs à droite ou dans le camp présidentiel, la manœuvre pourrait passer.
Les poids lourds des groupes politiques liés au gouvernement ont toutefois battu le rappel des troupes par SMS ce week-end, rendant le scénario peu probable.
•Gauche, LR, macronie, RN: des discussions houleuses sur tous les bancs
Place donc aux échanges. Le gouvernement va d'abord devoir ferrailler avec la gauche qui a très largement remanié le budget en commission avec 60 milliards de nouvelles recettes fiscales.
Taxe sur les superprofits qui permettrait de générer 15 milliards sur les "profiteurs de crise", prélèvement exceptionnel sur le transport maritime, impôts sur les rachats d'action... Autant de mesures NFP-compatibles qui ont agacé Michel Barnier dimanche.
"L'effort dont chacun doit prendre sa part ne peut pas se transformer en 'concours Lépine' fiscal", a répliqué le Premier ministre dans les colonnes du JDD.
Mais au-delà de ce bras de fer attendu, c'est surtout avec la droite et Renaissance, ses propos soutiens, que le gouvernement va devoir se battre.
Preuve que le budget gêne en partie la coalition présidentielle: le nombre d'amendements. Les députés LR ont déposé pas moins de 728 amendements, suivis de près par Renaissance, soit le tiers la moitié des amendements déposés.
Parmi les sujets chauds sur la table: le report de l'indexation des pensions de retraite sur l'inflation du 1er janvier au 1er juillet 2025. La droite avait d'ailleurs noté noir sur blanc dans le pacte législatif présenté par Laurent Wauquiez en juillet dernier que "les économies qui seraient faites sur le dos des retraités" étaient "une ligne rouge".
Résultat: après une réunion entre les LR et Michel Barnier à Matignon la semaine dernière, le ministre du Budget Laurent Saint-Martin a évoqué "une ouverture sur les petites retraites" ce lundi matin sur BFMTV, laissant entendre qu'elles pourraient être exclues du gel des pensions.
Ce changement aurait également le mérite de faire descendre la pression du côté du RN qui a déjà dit non à cette mesure.
Dans le camp présidentiel, la hausse temporaire de l'impôt sur les sociétés qui réalisent plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires, tout comme la fin de certaines exonérations de cotisation sociales pour les bas salaires ne passent pas non plus.
Quant au prix de l'électricité, il pourrait bien mettre lui aussi le feu aux poudres. Les taxes sur les factures électriques devraient augmenter en février prochain, d'après le budget présenté par Matignon la semaine dernière.
Malgré cette hausse, les Français qui bénéficient d'un abonnement au tarif réglementé devraient voir une baisse de 9% sur leur facture. Un geste jugé pas suffisant pour la droite dans un contexte de forte inflation. Elle devrait pouvoir compter sur le RN qui compte bien décrocher quelques victoires comme la suppression de cette augmentation des taxes sur l'électricité.
Charge donc au gouvernement de trouver un fragile équilibre entre la nécessité de faire rentrer de l'argent dans les caisses pour contrer l'explosion du déficit sans fâcher ses propres troupes.
•Vers des 49.3 et des motions de censure en pagaille?
"Nous faisons le pari de laisser la discussion se dérouler", a assuré ce dimanche le Premier ministre dans le JDD, tout en estimant que "le 49.3 permet d'éviter un blocage".
En l'absence de majorité relative, l'option semble très probable avec plusieurs cas de figures. Certains plaident pour dégainer cette possibilité très vite pour couper court à des débats qui ont toutes les chances de se conclure in fine avec cet outil.
Mais si elle permet de gagner du temps et de s'épargner des débats sous haute tension, elle cadre mal avec la posture de dialogue que défend Matignon. Élisabeth Borne, qui avait activé ce dispositif pas moins d'une vingtaine de fois, était également ressortie très abîmée de la séquence budgétaire de l'automne dernier.
Dans l'hypothèse la plus favorable au gouvernement, seulement deux 49.3 seraient nécessaires au cas où les budgets seraient adoptés en commission mixte paritaire, cet organe qui réunit sénateurs et députés. Une bonne nouvelle pour Michel Barnier, lui permettant de s'épargner également quelques motions de censure que peuvent déclencher les oppositions dès qu'un 49.3 est activé.
Le Premier ministre a déjà survécu à une première motion de censure. Mais le risque que le locataire de Matignon finisse par tomber est réel si les voix du RN et de la gauche s'additionnent. Ensemble, ces forces politiques rassemblent 307 députés, soit largement plus que les 289 requis pour faire adopter une motion de censure et le contraindre à démissionner.
Plusieurs poids lourds du RN ont déjà fait planer cette menace, à commencer par Jordan Bardella. Mais le parti à la flamme ira-t-il vraiment au bout avec le risque d'une nouvelle crise politique à la clef plus de 6 mois avant la possibilité d'une nouvelle dissolution? La question est ouverte.
•L'éventualité d'un recours à l'article 47, une première sous la Ve République
Dernière possibilité sur la table : le recours à l'article 47 de la Constitution qui permet à l'Assemblée nationale de disposer d'un délai de 40 jours pour voter le budget. En l'absence de vote, il est alors envoyé au Sénat, où la droite et le centre sont largement majoritaires, laissant présager une issue positive sous 15 jours, conformément à cette disposition.
Le texte serait ensuite soumis à une commission mixte paritaire, potentiellement dominée par la droite et le camp présidentiel. En cas d'accord, le budget doit encore être voté par le Sénat ou l'Assemblée nationale ou être validé par 49.3.
Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans les 70 jours, le gouvernement peut passer par ordonnance. La manœuvre, inédite dans toute l'histoire de la Ve République, ferait mauvais effet alors que Michel Barnier n'a eu de cesse de vouloir tendre la main au Parlement.