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ENQUÊTE BFMTV - Isabelle Balkany, la taulière

Isabelle Balkany, première adjointe au maire de Levallois-Perret

Isabelle Balkany, première adjointe au maire de Levallois-Perret - BFMTV

Depuis 30 ans, le couple Balkany a imprimé sa marque et imposé son système à la tête de la ville de Levallois-Perret. Il y a un mois jour pour jour, ce roman politique a entamé son chapitre le plus difficile, Patrick Balkany ayant été condamné à trois ans de prison ferme pour fraude fiscale. Au conseil municipal, son épouse s'obstine à tenir fermement la boutique.

Comme si de rien n'était. Alors qu'elle s'apprête à répondre aux questions de BFMTV, Isabelle Balkany se brosse rapidement les cheveux devant une glace. Toujours préserver les apparences, quelles que soient les circonstances. Pourtant, 48 heures plus tôt, la justice a condamné son époux, Patrick Balkany, à trois ans de prison ferme pour fraude fiscale. 

Pas de quoi déphaser, du moins face à l'œil de la caméra, la première adjointe au maire de Levallois-Perret. Son état de santé, jugé fragile, lui a permis d'éviter la prison. Elle a été condamnée à trois ans avec sursis. Une autre condamnation lui pend pourtant au nez, celle dans le volet "corruption" du dossier Balkany, et dans lequel les réquisitions du parquet sont encore plus lourdes que dans le premier procès. Qu'à cela ne tienne, l'intéressée enchaîne les interviews.

Alors qu'elle dit vouloir avant tout surveiller l'état de son mari, incarcéré à la prison de la Santé, elle est interrompue par la sonnerie de son smartphone. C'est son fils, qui lui rapporte ce que lui a dit l'aumônier de la prison, qui a vu Patrick Balkany: 

"Il l'a trouvé comme une personne qui résiste, qui va résister. Et apparemment ils ont assisté tous les deux, à 9h30, tu passais sur une chaîne, (...) il assistait tranquillement à ton interview. Son p'ti-dej', c'était toi." 

Souriante et rassurée, Isabelle Balkany raccroche avant de s'allumer une "petite cigarette".

• La taulière ne démissionne pas

"À partir du moment où vous êtes première adjointe, vous avez une responsabilité, voilà", résume-t-elle, péremptoire. Pas question pour l'épouse du maire de Levallois-Perret de quitter son poste. Et ne lui parlez pas d'élection anticipée: il n'y a pas eu de "défection" au sein de la majorité au conseil municipal, "il n'y a pas de poste vacant". "Je crois qu'il vaut mieux que vous ne vous lanciez pas là-dedans", va-t-elle jusqu'à prévenir. 

Le couple Balkany a pourtant oublié, selon la justice, de déclarer au fisc la modique somme de 4 millions d'euros, entre 2009 et 2015. Rien n'y fait, pourtant. Le duo se sent investi d'une mission auprès de ses administrés. Il règne sur la commune depuis 30 ans, grâce à un système bien rodé et dans lequel Isabelle Balkany, née Smadja, se voit comme bien plus qu'un simple rouage:

"Y a pas 'les Balkany'. Y a Patrick et Isabelle, chacun avec sa personnalité différente. Et mon mari, qui était un peu macho au début, il l'a bien compris au fil du temps."

• Un train de vie fastueux dès les origines

Bien née, Isabelle Smadja a grandi dans un hôtel particulier du XVIe arrondissement de Paris. Son père, René Smadja, a fait fortune dans l'import-export et la fabrication de caoutchouc dans le secteur automobile. "Il y avait la Rolls de Monsieur et la Rolls de Madame", racontait récemment Patrick Balkany à BFMTV. "Ça n'a aucun intérêt", balaie pour sa part son épouse. 

Cette fortune va pourtant lui ouvrir bien des portes. Son oncle, Henri Smadja, propriétaire du quotidien Combat, lui trouve un stage auprès du journaliste Philippe Tesson, qui se souvient d'une fille "merveilleuse". 

"Elle est très vivante, elle est nerveuse, j'aime ça. Elle est rapide, (...) curieuse. Tout le monde adorait cette fille. Elle avait un très mauvais caractère, mais on aimait ça", poursuit le fondateur du Quotidien de Paris

Très vite, grâce à son carnet d'adresses, Isabelle Smadja est embauchée au service de communication d'Europe 1. François Jouffa, ancien journaliste de la maison, décrit une femme "très à l'aise avec tous les notables", malgré son jeune âge, 25-26 ans à l'époque.

• La rencontre

C'est par ce biais qu'elle rencontre Patrick Balkany en 1976, à l'âge de 29 ans. Elle l'épouse trois mois plus tard. Un "coup de foudre", décrit Julien Martin, journaliste à L'Obs:

"C'est (...) comme si c'était une sorte de Yin et de Yang qui se rencontraient et (...) fusionnaient."

Le couple s'installe alors à Neuilly-sur-Seine, dans un appartement de 400 mètres carrés qui appartient à la famille Smadja. Dans la foulée, Patrick Balkany tente sa première opération politique. Aux législatives de 1978, il est parachuté - "bombardé", se vantera-t-il même alors - à Auxerre, dans l'Yonne, sous l'étiquette RPR. Si cette incursion se solde par un échec, elle permet néanmoins au tandem de bien répartir les rôles, comme l'explique David Servenay, journaliste aux Jours:

"Il faut imaginer un tandem où elle, c'est plutôt la tête, et lui c'est plutôt les jambes. (...) Elle c'est la stratège, l'organisatrice, et lui (...) c'est l'homme de terrain, c'est le poulain (qui) franchit les obstacles les uns après les autres." 

• Le tandem se met en marche

Le duo se professionnalise à la faveur de la conquête, par le RPR de Jacques Chirac, des Hauts-de-Seine lors des municipales de 1983. Aux Balkany revient la mission de prendre Levallois-Perret, bastion communiste notoire. Cette campagne pose les bases du système Balkany, un mélange de clientélisme et de proximité avec ses futurs électeurs.

Grâce à ses conséquents deniers, le couple achète son propre local de campagne - une "mairie bis", comme les deux ont coutume de l'appeler. Les Levalloisiens y sont invités pour faire part de leurs doléances, de leurs problèmes de scolarité, de crèche, etc. D'un côté, des solutions sont bricolées pour y répondre concrètement, fidélisant par là même ces électeurs potentiels, et de l'autre, une solide machine de communication est mise en place. Un petit journal, Objectif 92, est imprimé pour faire la promotion du candidat, Patrick Balkany. 

"Je faisais les affiches, les tracts, le matériel, je les écrivais, je les mettais en page", raconte Isabelle Balkany, vite surnommée "maman": elle adopte vite l'habitude de faire à manger aux colleurs d'affiches lorsqu'ils rentrent tard de leur besogne. 

La méthode fonctionne à plein, Patrick Balkany remportant les municipales de 1983 à Levallois-Perret dès le premier tour, avec plus de 51% des voix. Une victoire à laquelle, selon la légende, son épouse aurait réagi en disant la chose suivante, une coupe de champagne à la main: "Maintenant il va falloir que ça rapporte!" 

L'intéressée nie l'anecdote, rapportée par des grognards de la chiraquie comme Jean-François Probst: 

"C'est tellement peu moi, (...) c'est grotesque et c'est calomnieux. Ça me blesse, ça me blesse vraiment." 

• Premiers abus de pouvoir

Dès les années 1990, les Balkany ont eu à répondre de leurs arrangements avec la légalité. Entre 1986 et 1995, trois employés municipaux travaillent régulièrement aux domiciles du couple (gouvernante, valet de chambre, jardinier...), qu'il s'agisse de la propriété cossue de Giverny, qui compte un terrain de tennis et une piscine, ou de l'appartement de 500 mètres carrés à Levallois-Perret. 

En 1996, alors que Patrick Balkany part pour une autre femme, le couple est condamné à 15 mois de prison avec sursis pour prise illégale d'intérêts. Aujourd'hui, Isabelle Balkany reconnaît et dit regretter leur "erreur". Frappé d'inéligibilité, son époux s'exile pendant un an aux Antilles. Elle finit par le rejoindre, reconstituant de fait le tandem. Ce dernier prendra néanmoins un peu de temps avant de se réinsérer dans la vie des Levalloisiens. Aux législatives de 1997, c'est Isabelle Balkany qui se présente. Elle est laminée dès le premier tour. 

"Patrick est quelqu'un qui aime les gens. (...) C'est naturel chez lui et les gens le sentent", explique aujourd'hui la perdante. "Moi c'est tout le contraire. J'ai du mal à aller vers les gens, j'ai l'impression que je les dérange. Donc je suis la plus mauvaise candidate de la terre." 

Rendez-vous est donc pris pour les municipales de 2001. Patrick Balkany y est réélu en conquérant, au grand dam de son prédécesseur RPR, Olivier de Chazeaux (1995-2001): "Il gère la ville comme un supermarché, (...) les contribuables sont des clients." Un terme qu'Isabelle Balkany assume totalement. Elle l'a longtemps dit, "nos administrés sont avant tout des consommateurs".

• Garder le pouvoir

Le tandem transforme la ville et arrose ses électeurs de cadeaux. Les familles avec enfants et les seniors sont particulièrement choyés. Au conseil municipal, l'opposition est muselée. Patrick et Isabelle Balkany coupent le micro des conseillers les plus remuants durant les débats. 

En 2014, nouvelles élections. Le 26 janvier, alors que le couple est de nouveau dans le collimateur de la justice pour avoir dissimulé au fisc deux propriétés à l'étranger, il fait campagne dans les rues de Levallois-Perret. Lorsqu'il est interrogé sur le sujet par un journaliste, Patrick Balkany sort de ses gonds: "Cassez-vous!", lui lance-t-il

Malgré les tentatives de son épouse de le ramener au calme, le maire dérobe la caméra du journaliste: "Je la garde parce que vous nous faites chier!" Après avoir réussi à interrompre l'esclandre, Isabelle Balkany s'excuse face caméra auprès du média en question. 

• La déchéance

C'est que le pire est à venir. Les policiers ont accumulé beaucoup d'éléments à charge. Cette fâcheuse habitude de tout payer avec des billets de 500 euros, indisponibles dans les distributeurs classiques, et d'en laisser traîner dans leurs domiciles. Le couple ne puise par ailleurs jamais d'argent dans son compte personnel. Et puis il y a le Riad à Marrakech, la villa Pamplemousse dans les Antilles. 

Si Patrick a le cuir très épais, Isabelle a beaucoup de mal à supporter que l'on fouille dans sa vie privée. Elle est la première à craquer en garde à vue. Elle y explique que les propriétés ont été achetées avec de l'argent de la famille Smadja. 

• Le procès

Le 13 mai 2019 s'ouvre le procès pour fraude fiscale et blanchiment; Patrick Balkany s'y présente seul. Son épouse et première adjointe a fait une tentative de suicide 12 jours avant en avalant une forte dose de médicaments. C'est lui qui l'a découverte inanimée. La veille, Isabelle Balkany avait exprimé sa profonde lassitude dans un billet publié sur Facebook. 

"J'ai eu un burn out complet, lié au fait que je travaille beaucoup, à la fatigue, à 4 ans d'une instruction totalement à charge. (...) J'en avais marre de recevoir des insultes", raconte-t-elle aujourd'hui à BFMTV. 

Le 13 septembre dernier, les deux époux apparaissent tous deux à l'audience, en se tenant la main, pour entendre la décision. 23 minutes plus tard, ils en ressortent séparément. Interrogée sur cette décision de justice, Isabelle Balkany martèle qu'aucun centime n'a été dérobé aux Levalloisiens. Elle reconnaît une "faute" dans le fait d'avoir soustrait 4 millions d'euros à l'État français. Une faute, précise-t-elle toutefois, qui "ne doit pas être sanctionnée avec disproportion". Ce qui est le cas, selon elle. Et la morale, dans tout cela? 

"Y a pas de morale générale. (...) C'est l'évaluation de chacun sur la morale. (...) Ma morale personnelle, je n'ai pas à vous en parler, ça me regarde", répond l'élue avec aplomb.

• Inoxydables?

Condamnée à 10 ans d'inéligibilité comme son marie, Isabelle Balkany a fait appel de la décision. Elle n'exclut pas de défendre son nom aux prochaines élections municipales, celles de 2020, malgré la situation ubuesque que cela créerait (un candidat incarcéré, pour commencer).

"On a surtout envie de continuer, c'est notre vie, et je me dis que si je m'arrête..." Elle laisse une longue pause, ses yeux s'embuent légèrement. "Ce serait une espèce de vide dans ma vie." 

Deux jours après leur condamnation, la première adjointe à la mairie, qui a pris l'intérim de Patrick Balkany, a été soutenue par 250 Levalloisiens venus la voir à l'Hôtel de Ville. "2020, 2020!", criaient-ils. De quoi enchanter "maman", accueillie en rock-star. Mais est-ce suffisant pour constituer un socle électoral? 

Dans quatre jours, un autre verdict est attendu, celui du volet "corruption" du dossier dans lequel est impliqué le couple. Le parquet a requis contre Isabelle Balkany quatre ans de prison avec sursis et 500.000 euros d'amende. De quoi obérer davantage encore les chances du système Balkany de redémarrer un jour.

Yves Couant, Régis Desconclois, Fanny Morel et Soline Caffin, avec Jules Pecnard