Apologie du terrorisme: ce que dit la loi et ce que changerait la proposition de LFI

Mathilde Panot et des députés La France insoumise à l'Assemblée nationale le 5 novembre 2024 - Thomas SAMSON / AFP
Une polémique qui agite les rangs du gouvernement mais aussi une partie de la gauche. Les insoumis ont déposé le 19 novembre dernier une proposition de loi pour abroger le délit d'apologie du terrorisme du code pénal et le réintégrer dans le droit de la presse.
Ce délit, aux contours très longtemps restreints, est devenu un délit de droit commun en 2014. L'explosion de son usage ces dernières années, et particulièrement depuis les attaques du Hamas contre Israël, pose question pour les juristes.
Un délit aux contours flous
Le code pénal ne définit pas ce qu'est l'apologie du terrorisme. Pour en avoir une définition précise, il faut se référer à la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Il s'agit de propos qui "présentent un acte de terrorisme ou son auteur sous un jour favorable".
Le site de l'administration française donne l'exemple d'une personne qui porterait un tee-shirt affichant l'inscription "née le 11 septembre, je suis une bombe" et qui pourrait être condamnée pour apologie du terrorisme en faisant référence aux attentats du 11 septembre 2001 sur le sol américain.
Autre cas, réel cette fois-ci: en avril dernier, la CGT du Nord avait publié un tract, depuis retiré, qui faisait directement écho aux attaques du Hamas contre Israël du 7 octobre 2023. On pouvait y lire: "Les horreurs de l'occupation illégale se sont accumulées. Depuis (le 7 octobre), elles reçoivent les réponses qu'elles ont provoquées".
Ces derniers mois, dans le contexte des attaques du Hamas contre Israël, des plaintes ont été déposées contre des dizaines de personnes dont notamment l'ex-candidat à la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, la présidente des députés LFI, Mathilde Panot, le porte-parole du NPA Philippe Poutou ou encore l'ancienne basketteuse Émilie Gomis.
Inscrit dans le code pénal et plus lourdement puni
Ce délit a été inscrit dans le code pénal en novembre 2014 par le ministre de l'Intérieur de l'époque Bernard Cazeneuve. Avant la loi de 2014, ce délit existait bien mais dans le droit de la presse, restreignant fortement ses contours.
Une personne sous le coup d'une accusation par la justice de délit d'apologie du terrorisme risquait 5 ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende comme le précise la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Concrètement, le placement en garde à vue est désormais simplifié et la comparution immédiate désormais possible. Les sanctions judiciaires encourues sont également alourdies: elles s'élèvent désormais à 7 ans d'emprisonnement et 100.000 euros d'amende. Le délai de prescription est également passé de 3 à 6 ans.
Cette loi a eu des effets incontestables: selon un rapport d'une commission d'enquête de l'Assemblée nationale, seules 14 condamnations ont été prononcés entre 1994 et 2014. Pour la seule année 2016, on a compté pas moins de 421 condamnations.
"Avant la loi Cazeneuve, l'apologie du terrorisme répondait à un cadre procédural extrêmement contraignant afin d'inciter les autorités à n'avoir recours à la voie contentieuse que pour les cas les plus extrêmes", précise auprès de Public Sénat Olivier Cahn, professeur de droit pénal à l'université de Cergy.
Des procédures judiciaires qui ont explosé après les attaques contre Israël
À la suite des attaques du Hamas, le garde des Sceaux d'alors, Éric Dupond-Moretti, avait d'ailleurs rédigé une circulaire enjoignant aux procureurs d’engager des poursuites sur cette base pour tout propos public "vantant les attaques" de l’organisation islamiste ou "les présentant comme une légitime résistance à Israël".
Le parquet de Paris compte en tout 386 saisines en lien avec le conflit entre Israël et le Hamas d'après des chiffres de l'AFP. Pour plusieurs juristes, la donne judiciaire a fortement évolué ces derniers mois.
"Normalement, ce délit doit viser les cas les plus graves, comme les encouragements à une action terroriste. Là, on est plutôt sur des propos critiques à l’égard de la position d’Israël, qui ne sont, en soi, pas constitutifs d’une apologie", regrette ainsi l'avocat Vincent Brengarth auprès du Monde.
Ce spécialiste représente Rima Hassan, députée européenne LFI, elle-même mise en cause dans plusieurs procédures liées au délit d'apologie du terrorisme.
La France condamnée
Un cas plaide dans le sens de son argumentation: la condamnation de la France en 2022 par la Cour européenne des droits de l'homme en la matière. Jean-Marc Rouilhan, cofondateur du groupe d'extrême gauche armée Action directe, avait qualifié de "très courageux" les auteurs de l'attaque contre Charlie Hebdo en 2015.
Résultat: une peine d'emprisonnement de huit mois. La juridiction européenne a condamné Paris pour "lourdeur de la sanction pénale", regrettant une "ingérence dans la liberté d'expression", "pas nécessaire dans une société démocratique".
Autant d'éléments qui poussent La France insoumise à vouloir supprimer du code pénal le délit d'apologie du terrorisme. Mathilde Panot a ainsi expliqué sur BFMTV dimanche vouloir "remettre" ce délit "au bon endroit" dans le droit en l'inscrivant de nouveau dans le code de la presse.
Il n'y aurait donc pas de disparition de ce délit mais un encadrement beaucoup plus précis qui entraînerait fort probablement une baisse du nombre des poursuites.
Si ce texte porté par le député insoumis Ugo Bernacilis a suscité la colère à droite dans les rangs du gouvernement par la voix du ministre de l'Intérieur (Bruno Retailleau) et du ministre de la Justice (Didier Migaud), la gauche n'a pas été tendre non plus.
Le premier secrétaire du PS Olivier Faure a critiqué la proposition de loi LFI, estimant qu'il était "impératif de protéger les libertés publiques mais aussi de protéger les Français du fanatisme et des appels à la violence et à la haine".
Un texte qui ne devrait aller nulle part
Pourtant, lors de la campagne des européennes, la convocation de Rima Hassan devant les juges, alors candidate pour LFI, avait largement déplu. "Les différends politiques" ne doivent pas "se régler devant la justice", avait déclaré à l’AFP Raphaël Glucksmann, tête de liste Parti socialiste-Place publique aux européennes.
Même son de cloche pour le Rassemblement national. "On ne devrait pas convoquer les opposants politiques", avait jugé le député Jean-Philippe Tanguy.
En attendant, la proposition de loi de La France insoumise n'a pour l'instant guère d'avenir. Elle n'est pas inscrite dans la niche des insoumis - prévue ce jeudi 28 novembre à l'Assemblée - qui leur donne la main sur l'agenda parlementaire pendant une journée, et on n'imagine guère d'autres partis politiques s'en emparer.