Jordan Bardella sera-t-il le grand gagnant du départ annoncé de François Bayrou?

Jordan Bardella au Parlement européen le 9 juillet 2025 - Jean-Christophe VERHAEGEN / AFP
La sagesse populaire dit souvent que l'histoire ne repasse pas les plats. Et pourtant, depuis l'annonce du vote de confiance pour François Bayrou lundi dernier, Jordan Bardella s'y essaie. Après s'être imaginé à Matignon dans la foulée de la dissolution-surprise de juillet 2024, avant de finalement perdre le second tour, le président du RN se verrait bien retenter sa chance.
"Je plaide pour un retour aux urnes, que ce soit par la dissolution ou la démission d'Emmanuel Macron", a expliqué Jordan Bardella ce jeudi devant l'université d'été du Medef.
"Nous sommes prêts à incarner cette alternance, que ce soit dans le cadre d'une élection législative victorieuse ou d'une élection présidentielle", a encore précisé deux jours plus tôt sur TF1 celui qui fêtera ses 30 ans en septembre.
Si pas grand-monde au Rassemblement national ne croit vraiment à une éventuelle démission d'Emmanuel Macron, la dissolution est dans toutes les têtes. L'occasion est trop belle pour la laisser passer et permettrait cette fois-ci de ne pas subir des élections anticipées comme cela avait été le cas à l'été dernier.
Le RN avait beau avoir assuré depuis 2022 préparer un "plan Matignon", plusieurs de ses candidats s'étaient pris les pieds dans le tapis, entre propos racistes, prises de positions polémiques et prestations catastrophiques dans les médias locaux.
Mais promis, cette fois-ci, le parti est vraiment prêt. Pour parvenir à faire entrer Jordan Bardella sous les ors de la République, la manœuvre est facile - sur le papier du moins. Obtenir 289 députés ou au moins suffisamment pour qu'une majorité puisse s'établir avec la droite, qui jusqu'ici s'y est toujours refusée, et parvenir à faire ensuite adopter un budget.
"Pas de calcul politique"
Pour montrer son envie de gouverner, plus question non plus pour le jeune homme de réclamer une majorité absolue pour accepter d'être nommé à Matignon et s'assurer d'avoir les mains libres.
"François Bayrou ne fait que proposer des choses qu'on entend depuis 45 ans. Il faut donc qu'on puisse arriver aux manettes et changer la donne très vite, sans calcul politique derrière", exhorte le député RN Philippe Ballard, porte-parole du parti.
Exit donc l'ancien directeur du RN Gilles Pennelle, jugé responsable du fiasco, bonjour les députés Thomas Ménagé et Julien Odoul chargés de pré-investir les candidats. La tâche semble cette fois-ci facilitée: l'immense majorité des 123 députés sortants seraient d'abord réinvestis.
Des candidats aux législatives surveillés comme le lait sur le feu
Quant aux autres candidats, ils sont presque déjà passés par un "protocole de sélection assez strict", comme l'explique le député européen Aleksandar Nikolic, délégué national aux fédérations. Média-training, vérification des comptes sur les réseaux sociaux, formation sur la tenue des comptes de campagne...
"On ne laisse rien au hasard. Je pense que personne ne vérifie autant ses candidats pour les législatives que nous aujourd'hui dans aucun autre parti", insiste encore Aleksandar Nikolic.
Seules 60 circonscriptions sur 577 se cherchent encore un candidat. Les députés d'Éric Ciotti, désormais allié de Marine Le Pen à l'Assemblée, se verraient de leur côté accorder quelques circonscriptions de plus qu'en 2024, leur renvoyant la charge de choisir leurs propres candidats.
Jordan Bardella "cramé" après Matignon?
Si une éventuelle dissolution avait bien lieu dans les prochaines semaines et que le RN en sortait gagnant, resterait cependant à s'assurer qu'une arrivée au pouvoir de Jordan Bardella sera vraiment une bonne nouvelle pour lui.
"Franchement, si c'est pour se cramer à Matignon parce qu'on a très peu de leviers et à peine un an pour relever la France avant une présidentielle catastrophique juste derrière, je ne suis pas sûr que ça en vaille la peine", s'inquiète un député RN.
Plusieurs précédents, dans des contextes politiques pourtant moins ardus, pourraient donner matière à réfléchir à Jordan Bardella, de Jacques Chirac qui avait largement perdu la présidentielle en 1981 après son passage à Matignon, en passant par Manuel Valls qui n'avait même pas réussi à se qualifier pour la présidentielle à l'issue de la primaire socialiste en 2016.
D'autres réfutent tout cynisme. "On n'a jamais été dans ce genre de démarche", défend le député Charles Alloncle, un proche d'Éric Ciotti. "Si on a l'opportunité d'aller au gouvernement et de redresser la France, on le fera avec honneur".
Clarifier la situation judiciaire de Marine Le Pen
La dissolution aurait également un gros avantage pour la présidente des députés RN Marine Le Pen, sous le coup d'une peine d'inéligibilité avec application immédiate. Sur le papier, en dépit de son appel devant la justice, elle ne doit pas pouvoir se présenter en cas de nouvelle élection et s'expose à un refus administratif en cas de candidature aux législatives.
Mais elle a déjà promis d'utiliser "tous les recours possibles" devant le Conseil constitutionnel pour juger de la conformité de cette peine avec la Constitution. Elle espère ainsi qu'une question prioritaire de constitutionnalité pourrait lui permettre de concourir à de nouvelles élections tant qu'aucune peine définitive n'aura été prononcée.
Cette stratégie permettrait aussi à la triple candidate présidentielle de purger l'incertitude sur ses chances de concourir à nouveau pour la présidentielle de 2027, sans devoir attendre l'été 2026 et son procès en appel.
"Imaginez, on arrive à fatiguer Jordan Bardella à Matignon et on récupère une Marine Le Pen libre comme l'air pour 2027. On pourra dire bravo l'artiste à Emmanuel Macron", s'esclaffe d'avance un député pas forcément fan du président du RN.