BFMTV
Rassemblement national

Entre "amour" et rupture, les relations sinueuses entre Jean-Marie et Marine Le Pen

Jean-Marie et Marine Le Pen à Fréjus le 7 septembre 2014

Jean-Marie et Marine Le Pen à Fréjus le 7 septembre 2014 - Valery HACHE / AFP

Les liens familiaux entre le cofondateur du Front national et sa fille s'étaient fortement distendus ces dernières années, après des décennies de compagnonnage politique. Elles s'étaient finalement réchauffées ces derniers mois.

Des liens tumultueux. Au cours de sa vie qui a toujours entremêlé politique et famille, Jean-Marie Le Pen, mort à 96 ans ce mardi 7 janvier, a entretenu des relations sous forme de montagnes russes avec sa fille Marine Le Pen. De l'enfance de cette dernière à la campagne présidentielle en 2022, retour sur leur feuilleton familial.

"Une nuit d'horreur"

Parmi les souvenirs qu'évoque régulièrement Marine Le Pen au sujet de son enfance, on trouve l'explosion de l'appartement de Jean-Marie Le Pen, devenue une cible pour l'extrême gauche après sa candidature à la présidentielle de 1974.

"Ma femme et mes trois filles" dont Marine Le Pen qui a alors 8 ans, "nous sommes retrouvés à la rue en pleine nuit", explique-t-il dans ses Mémoires.

"Il a fallu cette nuit d'horreur pour que je découvre que mon père faisait de la politique", confie des années plus tard Marine Le Pen dans À contreflots, son autobiographie.

"Et c'est là, à l'âge des poupées, que je prends conscience de cette chose terrible et incompréhensible pour moi: mon père n'est pas traité à l'égal des autres, nous ne sommes pas traités à l'égal des autres. Cela va devenir un élément majeur de ma propre construction", ajoute-t-elle encore.

"Un chagrin fou"

Quelques années plus tard, c'est le divorce de ses parents qui représente un traumatisme. Dans un contexte très houleux, Jean-Marie Le Pen refuse de payer la pension alimentaire de sa future ex-épouse. Sa femme Pierrette, qui vient de le quitter pour un journaliste qui écrivait une biographie sur son mari, lui intente alors un procès.

Le cofondateur du Front national déclare dans Playboy: "Si elle a besoin d'argent, elle n'a qu'à faire des ménages." En guise de réponse, sa femme posealors nue dans le magazine, déguisée en soubrette.

"Ce fut un chagrin fou pour ses filles", raconte des années plus tard la journaliste politique Catherine Nay dans son livre Tu le sais bien, le temps passe.

"Au fond, elle (Marine Le Pen, NDLR) n'a jamais pardonné à son père d'avoir provoqué cette situation. Elle reconnaît elle-même avoir été traumatisée", explique également l'ex-vice président du FN Jean-Claude Martinez dans À tous les Français qui ont déjà voté une fois Le Pen.

"Elle avait du cran"

L'ambiance parfois à couteaux tirés avec Jean-Marie Le Pen ne lui enlève cependant pas sa fierté. En 1985, Libération dévoile des témoignages de torture commises par son père pendant la guerre d'Algérie. Alors qu'il lui conseille d'éviter de se rendre au lycée quelques jours, Marine Le Pen, âgée de 17 ans, refuse de courber l'échine.

"La tête haute, les lèvres serrées, elle fend les rangs du lycée en semblant les défier du regard, prête à répliquer à la moindre allusion aux accusations qui visent son paternel", expliquent les journalistes David Doucet et Mathieu Dejean dans l'ouvrage La politique malgré elle.

"Une légende familiale entoure cet épisode. Jean-Marie Le Pen le raconte encore avec émotion: 'Elle a été en cours en levant les bras! Elle avait eu du cran'", avance encore le livre.

Après le bac, Marine Le Pen adhère au Front national et décide de faire des études de droit comme son père. Elle devient avocate pendant une poignée d'années avant de rejoindre le parti à la flamme. Encouragée par son père, la trentenaire devient conseillère régionale du Nord-Pas-de-Calais en 1998 avant de gagner ses galons de lieutenante à la faveur du départ de l'ex-dauphin de Jean-Marie Le Pen, Bruno Mégret.

Conseillère lors de sa campagne présidentielle en 2002 qui voit Jean-Marie Le Pen se qualifier au second tour à la surprise générale, c'est son père qui la pousse à prendre la lumière sur les plateaux de télévision avant de monter les échelons et de se rendre indispensable au RN. En dépit de fortes tensions avec des proches du Menhir, Marine Le Pen succède à son père à la tête du RN en 2011.

Le "suicide politique" de Jean-Marie Le Pen

C'est le début de son ascension politique et d'une décennie de relations orageuses entre le père et sa fille, qui cherche à normaliser le mouvement politique et à en faire un outil de conquête du pouvoir.

Provocations verbales, désaccord sur la ligne politique impulsée par le numéro 2 du Front national d’alors Florian Philippot, soutien à sa petite-fille, la députée Marion Maréchal... Jean-Marie Le Pen, devenu président d'honneur du FN en 2011, multiplie les dérapages qui embarassent sa fille, désormais comptable de ses sorties, et dénonce son "suicide politique".

Bien décidé à continuer de jouer sa propre partition, l'ex-candidat à la présidentielle se paie même le luxe de monter sur scène lors du traditionnel défilé du 1er-Mai en 2015, alors qu'il est persona non grata, avant de partir sans même écouter le discours de sa fille.

C'en est trop pour Marine Pen qui décide de l'exclure du parti. C'est le début d'un long feuilleton judiciaire et de violents échanges. Jean-Marie Le Pen demande ainsi à sa fille de "lui rendre son nom". Des années plus tard, elle confie sur BFMTV que cette période a "été compliquée pour elle affectivement".

Réconciliation pour ses 90 ans

Les choses finissent cependant par se tasser: la veille du second tour de la présidentielle de 2017, le cofondateur du Front national confie avoir participé au financement de la campagne de sa fille et assure qu'il votera bien pour elle tout en expliquant que "peut-être, elle a manqué de hauteur" lors de son débat avec Emmanuel Macron.

Un an plus tard, à l'occasion de ses 90 ans, Jean-Marie Le Pen réunit ses trois enfants et se réconcilie avec Marine Le Pen tout comme avec Marie-Caroline, bannie vingt ans plus tôt pour avoir rejoint Bruno Mégret, l'un des très proches de son père qui avait fait dissidence.

Sans s'empêcher toutefois de continuer à distiller ses piques. Dans le deuxième tome de ses Mémoires, en octobre 2019, le patriarche estime ainsi que Marine Le Pen commet "des fautes" parce qu'elle "n'a pas confiance en elle".

Lors de l'une de dernière prise de parole, en novembre 2021, Jean-Marie Le Pen affirme sur BFMTV soutenir sa fille dans la course à la présidentielle, tout en expliquant "avoir de la sympathie pour Éric Zemmour".

"L'amour" pour son père

Très discrète ces dernières années sur ses relations avec son père, Marine Le Pen avait indiqué qu'en cas de victoire à la présidentielle de 2022, son premier coup de téléphone serait pour lui.

Affaibli physiquement ces derniers mois, le Menhir n’a pas assisté au procès du RN en cours. Sa dernière apparition correspond à la diffusion en septembre 2024 d’une vidéo sur laquelle on le voit chanter tout sourire aux côtés des musiciens d’un groupe de de rock néonazi.

"Jean-Marie Le Pen est capable de réciter du Musset, mais peut ne pas savoir en quelle année nous sommes", expliquait alors Marine Le Pen à BFMTV, se disant garante "de la protection de la santé et de l'image" de son père. Fin novembre 2024, la patronne des députés RN évoquait "son amour" pour lui et reconnaissaît des "inquiétudes" quant à son état de santé.

Ce mardi, elle se trouvait dans l'avion qui la ramenait de Mayotte après sa visite dans l'archipel lorsqu'elle a appris le décès de son père.

Marie-Pierre Bourgeois