Vaccination obligatoire: un sujet explosif pour le gouvernement, avant la présidentielle

Dans un centre de vaccination contre le Covid-19 à Paris, le 27 novembre 2021 - STEPHANE DE SAKUTIN © 2019 AFP
Alors que plusieurs pays européens prennent le chemin de la vaccination obligatoire et que l'Europe redevient l'épicentre de l'épidémie de Covid-19, la France s'y refuse. À quelques mois de l'élection présidentielle, le débat serait-il trop sensible alors que la plupart des pays qui ont adopté la mesure venaient d'élire de nouveaux dirigeants? Éléments de réponse.
"Pas le choix de la France"
La France a beau affronter une cinquième vague avec des indicateurs qui repassent au rouge (+60% de nouvelles contaminations en une semaine), pas question pour le gouvernement d'ouvrir cette séquence. "Je ne crois pas à la vaccination obligatoire pour ce vaccin. Je crois beaucoup plus au travail de conviction par la transparence qu'à l'obligation", jugeait déjà Emmanuel Macron dans un entretien à Brut il y a un an, en décembre 2020.
"L'obligation vaccinale n'est pas le choix que la France a fait", a répété mercredi le ministre de la Santé, Olivier Véran.
"C'est une vraie question, une question qui est essentiellement politique", a jugé de son côté Jean-François Delfraissy, le président du Conseil scientifique, sur BFMTV-RMC ce jeudi matin.
La situation gouvernementale des pays européens qui déploient ou envisagent l'application de la vaccination obligatoire lui donne raison. En Allemagne et en Autriche, ce sont à chaque fois deux dirigeants fraîchement élus qui s'engagent sur ce terrain.
L'Autriche, l'un des pays de l'Union européenne le moins vacciné, particulièrement touché en novembre dernier par une nouvelle vague, a annoncé l'obligation de se faire vacciner à compter du 1er février 2021. "Malgré des mois de persuasion, nous n'avons pas réussi à convaincre suffisamment de gens à se faire vacciner", a souligné Alexander Schallenberg, le chancelier, élu le 11 octobre dernier.
En Allemagne, alors que la vaccination obligatoire n'a pas été au menu des débats lors des dernières élections, le futur chancelier Olaf Schloz la défend. "À titre personnel, j’y suis favorable" a ainsi glissé le futur dirigeant allemand qui entre en fonction la semaine prochaine, très loin donc des propos de l'exécutif français.
La crainte d'une mobilisation dans la rue
"On ne va pas sur ce terrain chez nous parce qu'il y a bien sûr une prudence indéniable d'Emmanuel Macron à l'approche de 2022. Je crois qu'il a été échaudé par les manifestations contre le pass sanitaire, relativement importantes en plein été. Le gouvernement a vu que les obligations étaient mal vues par toute une partie de la population", juge ainsi Antoine Bristielle, professeur agrégé de sciences sociales et directeur de l'observatoire de l'opinion de la Fondation Jean Jaurès auprès de BFMTV.com.
Les manifestations anti-pass sanitaire ont, par exemple, réuni jusqu'à 237.000 personnes dans toute la France le 7 août dernier d'après le ministère de l'Intérieur.
"C'est très compliqué d'envisager une vaccination obligatoire à quelques mois seulement d'une élection. Ça peut remettre une pièce dans la machine à buzz et à contestation On risque une forme de cristallisation dans la rue sur un sujet hautement explosif", nous rapporte également Bruno Cautrès, chercheur en science politique au CNRS.
Impossible à contrôler
D'autres arguments pèsent dans la balance.
"Si on déployait la vaccination obligatoire en France, on serait bien incapable de vérifier que les gens se sont vraiment fait vacciner. Elle fonctionne pour les bébés parce qu'on arrive à contrôler leur effectivité mais comment faire pour contrôler tous les adultes? C'est bien évidemment impossible. On peut faire des contrôles inopinés dans la rue mais cela n'aurait pas grand-sens", avance Benjamin Morel, docteur en science politique à l'ENS Paris-Saclay après de BFMTV.com.
Alors qu'une dizaine de vaccins sont obligatoires pour les enfants de 0 à 2 ans depuis 2018, ces vaccinations sont requises pour pouvoir être admis en crèche, à la garderie ou à l'école maternelle. L'obligation vaccinale des soignants, elle, est contrôlée par les employeurs.
Le gouvernement compte également capitaliser sur le relatif succès du pass sanitaire: "La vaccination obligatoire contredirait l'efficacité du pass. Le gouvernement veut faire passer le message pendant la campagne présidentielle qu'il a réussi à freiner les vagues successives grâce à cet outil et le pari qu'a fait Emmanuel Macron le 12 juillet dernier quand il a fait le choix de le déployer très largement", décrypte Bruno Cautrès.
Un outil peu efficace
La France a également l'un des taux de vaccination les plus élevés d'Europe. 77,1% des Français ont reçu au moins une dose et 75,5% deux doses d'après les chiffres du ministère de la Santé. En Autriche, avant l'annonce d'un confinement réservé aux non-vaccinés en octobre dernier qui a créé une ruée sur les centres de vaccination, 65% des adultes avaient reçu au moins une dose.
En Allemagne, avec 68,5 % de sa population adulte totalement vaccinée, le pays se situe dans la moyenne de l’Union européenne. Mais des fortes disparités existent entre Länder. La Saxe, par exemple, compte 57% d'habitants complètement vaccinés.
"On voit bien que nous ne sommes pas du tout dans la même configuration. Dans ces territoires, il peut y avoir des réticences liées à l'Histoire là où en France, on a joué massivement le jeu", analyse Antoine Bristielle.
L'efficacité de la vaccination obligatoire se pose enfin, estime Benjamin Morel. "Avec la vaccination obligatoire, on parviendrait peut-être à convaincre 5% de la population en plus de se faire vacciner. Mais il y a un noyau dur qui ne resterait pas vacciné, même avec une obligation", avance ainsi le politologue.
Malaise des candidats
"Derrière la vaccination obligatoire, il n'y a plus rien, plus aucune tactique. C'est l'arme de dernier recours", juge également Bruno Cautrès.
Preuve que le sujet est hautement sensible, les candidats à la présidentielle hésitent. Alors que le groupe socialiste a déposé une proposition de loi en faveur de l'obligation vaccinale, Anne Hidalgo la défend du bout des lèvres.
"Il faut pousser à la vaccination. Aller jusqu'à la vaccination obligatoire? Pourquoi pas", a expliqué la maire de Paris au micro de France info le 28 novembre dernier. Même son de cloche du côté du candidat écologiste, Yannick Jadot, qui s'y déclare favorable "en dernier recours".
Sur les bancs des LR, Valérie Pécresse l'appelle de ses voeux. "La vaccination obligatoire contre le coronavirus, ça me semblerait nécessaire", a estimé Valérie Pécresse le 16 novembre 2020 sur BFMTV-RMC. Son concurrent au congrès LR préfère lui plutôt "convaincre que contraindre" en évoquant la vaccination obligatoire des soignants.
Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon y sont, eux, totalement opposés.