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"Le temps passe et rien n'imprime": la campagne présidentielle très discrète de Yannick Jadot

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En difficulté dans les sondages, le candidat - invité ce mardi de Face à BFM - assume sa stratégie politique décalée, liée à l'ADN des écologistes. Au risque de se faire oublier des électeurs?

"On s'ennuie, on s'ennuie, on s'ennuie. J'aime vraiment beaucoup Yannick mais le temps passe et rien n'imprime." La citation, signée d'un sénateur écologiste, donne une idée du vague à l'âme qui règne au QG de Yannick Jadot, invité ce mardi soir de Face à BFM. Face à une campagne qui ne décolle pas, les cadres d'Europe Écologie Les Verts refusent de baisser les bras. Mais chez certains, le cœur n'y est déjà plus.

Ces dernières semaines, une séquence a tout de même remonté le moral aux troupes écologistes, celle de l'eurodéputé s'adressant directement à Emmanuel Macron en plein Parlement européen. "Vous resterez dans l'Histoire le président de l'inaction climatique", lui a lancé l'élu vert à la tribune fin janvier.

"C'était très réussi. On a vu qu'il était en campagne, à fond, qu'il avait beaucoup de courage", se réjouit Marine Tondelier, porte-parole de la campagne auprès de BFMTV.com. Pourtant, ces belles images n'ont pas fait remonter la courbe des études d'opinion.

Le député européen reste un candidat parmi les autres à gauche: Yannick Jadot n'est crédité que de 4,5% des intentions de vote dans le dernier sondage réalisé par Elabe pour BFMTV et L'Express avec notre partenaire SFR - loin derrière Jean-Luc Mélenchon (10%) et à peine plus que Fabien Roussel (4%) et Christiane Taubira (3,5%).

Pire, alors que sa victoire à la primaire lui avait offert un tremplin, la courbe des sondages ne fait que descendre depuis le mois de novembre, comme le montre l'Élyséemètre, l'agrégateur de sondages de BFMTV.com.

La peur de se lancer dans l'inconnu?

"Les gens ont vu la droite et la gauche au pouvoir", note Sandra Regol, la secrétaire nationale adjointe d'EELV. "Et d'une certaine façon, personne ne sait ce que donne un écologiste à l'Élysée. Ça produit une sorte d'attentisme alors qu'on sent une attente très forte sur le terrain."

Le climat s'est en effet imposé parmi les préoccupations des Français: 77% de la population pense que le réchauffement climatique doit constituer une priorité absolue, d'après le baromètre France 2025 de ViaVoice pour Radio Classique, publié en janvier. Dans l'optique de la présidentielle, c'est le pouvoir d'achat qui domine assez largement dans les préoccupations du moment, mais l'environnement et l'écologie figurent à la quatrième place des thèmes prioritaires des électeurs, cités par 24% des sondés dans un récent sondage Elabe pour BFMTV et L'Express avec notre partenaire SFR.

"Les Français se sentent concernés par l'écologie, c'est devenu une évidence", analyse Daniel Boy, spécialiste de l'écologie politique. "Mais le temps de l'écologie politique n'est pas encore venue. Yannick Jadot a beau faire une campagne très consensuelle, ils ne semblent pas encore prêts à lui laisser les clefs du pouvoir."

À EELV, pas de "candidat magique"

Au-delà du contexte politique, certains pointent également la culture politique d'Europe Écologie Les Verts, loin de la figure d'un homme ou d'une femme providentielle qui pourrait sauver le pays.

"Nous faisons les choses avec sérieux mais nous ne sommes pas dans la folie de l'incarnation politique permanente. L'idée d'un candidat magique qui va sauver la France, c'est exactement ce dont meurt la politique"' souligne Delphine Batho, l'ancienne concurrente de Yannick Jadot pendant la primaire, depuis devenue sa porte-parole.

Mais dans une campagne parasitée par le Covid-19 qui rend plus compliqué le tractage ou le porte-à-porte, les images télévisées des meetings pourraient peser plus lourd dans la compétition présidentielle. Certains d'entre eux ont d'ailleurs été vus comme des tournants de campagne présidentielle comme en 2007 lorsqu'à la Porte de Versailles, Nicolas Sarkozy a présenté son parcours de "petit Français de sang mêlé" ou encore quand François Hollande a jugé que "son ennemi, c'était la finance" au Bourget en 2012.

"C'est vrai qu'on peut se priver de belles images à la télé mais soyons honnêtes, on n'a jamais eu beaucoup de monde dans nos salles, sans que ça nous empêche de faire de très bons scores aux municipales ou aux européennes", décrypte encore le député européen David Cormand.

Les cadres du parti jugent d'ailleurs le Forum des possibles, le nom donné aux petits rendez-vous publics en extérieur en plein centre-ville qu'affectionne le candidat, efficace. À Rennes la semaine dernière, ce format a réuni plusieurs centaines de personnes, tout comme à Lille fin janvier.

"On s'emmerde, non ?"

Plus que le contexte sanitaire qui empêcherait un déroulé "classique" de campagne, certains mettent en cause directement la personnalité de Yannick Jadot, à l'instar de Sandrine Rousseau.

"On s’emmerde, non?", se demandait-elle en novembre dans L'Obs. Avant d'ajouter: "Yannick a un côté trop sage. (…) Ce qui nous faudrait, c’est un type qui met les pieds dans la boue, un rockeur qui donne envie de passer une nuit à Woodstock avec lui."

Hormis une petite phrase très commentée, quand il qualifie Eric Zemmour de "juif de service pour les antisémites", Yannick Jadot ne parvient pas à faire parler de lui alors même que des éléments dans son parcours montrent un certain goût pour l'action coup de poing. En 2005 par exemple, il a participé à une opération de Greenpeace en pénétrant en Zodiac dans une base de sous-marins nucléaires. Le geste lui a valu d'être condamné pour "atteinte aux intérêts supérieurs de la Nation".

David Cormand reconnaît de son côté un candidat qui "n'a pas le goût du buzz"... mais pour le meilleur. "Avant, on disait qu'on allait supprimer le défilé du 14-Juillet, d'accord (une proposition de la candidate des écologistes Eva Joly en 2012 NDLR)... Ça ne nous a pas empêché de perdre la présidentielle avec 2,31% des voix."

Dernier grief: son refus de faire campagne pour la Primaire populaire. "On était vraiment pas loin de Christiane Taubira. Ça ne nous aurait pas fait de mal de la gagner", lâche, dépité, un membre des Jeunes écologistes. Les critiques sur le sujet se font cependant mezza voce au sein du parti. Le porte-parole Alain Coulombel a été écarté de ses fonctions pour avoir manifesté son désaccord sur la stratégie.

La situation pourrait cependant évoluer. Les équipes des deux candidats se sont rencontrés pour discuter d'un éventuel ralliement, sans succès pour l'instant. Les négociations pourraient toutefois reprendre. De quoi moins s'ennuyer.

Marie-Pierre Bourgeois