Élue, Marine Le Pen aurait-elle les moyens de gouverner?

Les dirigeants du Front national ne cessent de le répéter depuis des mois: présidente de la République, Marine Le Pen aurait toutes les troupes à disposition pour exercer pleinement son pouvoir.
Selon certains connaisseurs de l'appareil d'Etat, il faut au moins 500 personnes de confiance pour faire "tourner" les ministères et assurer le lien avec l'administration au sens large. Un chiffre que beaucoup imaginent compliqué à atteindre pour le Front national.
Les technocrates de Marine Le Pen
Pour convaincre les sceptiques, le FN a donc lancé en 2016 le collectif des "Horaces", chargé d’alimenter sa présidente en notes. Son porte-parole, l’énarque Jean Messiha, décrit au micro de BFMTV la composition de cette association:
"Ce sont aussi bien des hauts fonctionnaires, des patrons de grandes entreprises, des cadres dirigeants de grands groupes du CAC 40 et des anciens membres de cabinets ministériels. Donc des gens d’expérience, qui constitueront le noyau dur de l’exercice du pouvoir, une fois que Marine sera élue".
Le collectif, qui compterait une centaine de membres à l’heure actuelle, reçoit "entre deux et cinq" candidatures par semaine, selon une confidence de Jean Messiha au journal L’Opinion.
Des chiffres toutefois invérifiables. Le grand commis de l’Etat refuse de livrer des noms, arguant des représailles auxquelles s’exposeraient les fonctionnaires ou cadres du privé revendiquant leur soutien au Front national.
Pas de grand "coup de balai" dans l’administration
L’administration française, présumée loyale et neutre politiquement, est par définition assez stable. Contrairement à ce qui se pratique aux Etats-Unis à chaque alternance (avec le fameux spoil-system). Interrogé par BFMTV, le politologue Jean-Yves Camus explique:
"Je ne vois pas l’arrivée éventuelle au pouvoir du Front national comme une sorte de grand chamboulement à l’américaine, où quand un président est élu, des milliers voire des dizaines de milliers de postes sont remplacés du jour au lendemain par des gens qui ont une autre connotation politique".
Dès lors, difficile pour Marine Le Pen de mettre à exécution sa menace exprimée lors d’un meeting à Nantes, fin février. Évoquant sa convocation par la justice dans l’enquête sur les emplois présumés fictifs du FN au Parlement européen, elle avait prévenu:
"Dans quelques semaines, ce pouvoir politique aura été balayé par l’élection. Mais ses fonctionnaires, eux, devront assumer le poids de ces méthodes illégales, car elles sont totalement illégales. Ils mettent en jeu leur propre responsabilité. L’Etat que nous voulons sera patriote".
Des propos qui avaient suscité une levée de boucliers du côté des représentants de magistrats ou de policiers, y compris de la part du droitier syndicat "Alliance".
Le système français apparaît donc à double-tranchant pour Marine Le Pen. Si la présidente du FN pourrait s’appuyer sur la technostructure déjà en place, il ne s’agirait pas forcément d’une armée de serviteurs dévoués à sa cause.
Offensive de charme auprès des fonctionnaires
A moins que Marine Le Pen ne décide de s’inspirer directement du système américain en remplaçant un maximum de serviteurs de l’Etat, elle devra donc faire avec les troupes à sa disposition. Ces fonctionnaires pourraient-ils être tentés de freiner l’action de la nouvelle locatrice de l’Elysée? Pas nécessairement.
Contrairement à l’époque de Jean-Marie Le Pen, sa fille a réussi à rallier à ses idées bon nombre de membres de la fonction publique. Environ 22% d’entre eux voteraient FN au premier tour de l’élection présidentielle, annonçait le Cevipof dans une note publiée en février.
Un chiffre en nette progression, même s’il cache de grosses disparités: Marine Le Pen séduit particulièrement les agents des catégories B et C de la fonction publique (les plus basses), beaucoup moins ceux de catégorie A. Mais chez les policiers et les militaires, la leader frontiste fait carton plein, avec 47,8% d’intentions de vote!
Ses discours enflammés contre le "démantèlement des services publics" ont semble-t-il fini par payer. De même que ses promesses de recrutement de fonctionnaires (sauf dans les collectivités territoriales).
Des démissions à prévoir?
En revanche, nul doute que Marine Le Pen devrait faire face à des démissions, sitôt installée à l’Elysée. Plusieurs grands serviteurs de l’Etat ont d’ores et déjà annoncé qu’ils abandonneraient leur fonction en cas d’alternance au profit du FN.
Ainsi de Thierry Dana, l’ambassadeur de France au Japon, qui a mis de côté son devoir de réserve pour déclarer qu’il se mettrait "en réserve de toute fonction diplomatique". Florian Philippot, le bras-droit de Marine Le Pen, lui avait répondu dans un tweet bravache:
"Eh bien démissionnez, pas de problème. On mettra un ambassadeur de France au Japon qui, lui, parle japonais".