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Conférences, politique et affaires judiciaires: Nicolas Sarkozy, la vie après l'Élysée

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Près de quatre ans après le départ de Nicolas Sarkozy de l'Élysée, Ligne Rouge revient sur la nouvelle vie de l'ancien président de la République, reconverti dans le privé avec l'arène politique toujours à l'œil.

18 octobre dernier, Nicolas Sarkozy est à Bruxelles. Il est attendu pour s'exprimer devant des cadres et chefs d'entreprise de la capitale belge. Face à son public qui semble acquis à sa cause, l'ancien président de la République disserte sur l'actualité, cite Nelson Mandela et ne résiste pas à une plaisanterie sur Greta Thunberg qui suscite l'hilarité de son auditoire.

Cela fait quatre ans que l'ancien président de la République, mis en échec par François Hollande en 2012, a quitté la vie politique. Il a bien tenté de revenir en 2016 en guignant la victoire à la primaire de la droite et du centre, mais cette fois, c'est son ancien Premier ministre François Fillon qui lui a infligé un camouflet.

"La politique lui a beaucoup donné, c'est ce qu'il pense, mais en même temps lui a beaucoup pris. Et donc je crois que sa décision était prise déjà dans son for intérieur depuis pas mal de temps", estime Brice Hortefeux, fidèle parmi les fidèles, bien qu'un contrôle judiciaire leur interdise depuis le printemps 2018 d'entrer en contact.

"Ce qui est important, c'est de renaître"

"On garde les mêmes goûts, on essaie de s'améliorer, mais ce qui est important, c'est de renaître", souligne Nicolas Sarkozy. Sa renaissance à lui, elle s'est notamment faite dans les juteuses conférences qu'il dispense à travers le monde et dans les conseils d'administration de grandes entreprises.

Mais l'ancien président de la République n'est jamais loin derrière l'homme reconverti dans le privé. Un jour, il est interpellé pour une réaction sur la réforme des retraites par quelqu'un qui lui donne du "M. Sarkozy". L'intéressé, qui tient manifestement à ce que son passé élyséen soit honoré, se retourne et lâche, glacial: "Comment vous m'avez appelé?", puis passe son chemin.

Dans sa nouvelle existence comme dans l'ancienne, Nicolas Sarkozy voyage beaucoup. Mais à présent sur des vols commerciaux, au milieu d'autres passagers. Parfois en compagnie de personnalités, comme au cours de ce vol Paris-Toulouse, où il prend place dans l'habitacle au côté du ministre de l'Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, pour se rendre à une cérémonie d'hommage en mémoire des victimes de Mohamed Merah à l'école Ozar Hatorah. Des déplacements tels que celui-ci, il en effectue une trentaine chaque année.

Privilèges et (nombreux) visiteurs

En tant qu'ancien chef de l'État, Nicolas Sarkozy dispose de bureaux. Les siens se trouvent rue de Miromesnil, dans le VIIIe arrondissement de la capitale. Un appartement au premier étage, de onze pièces et 300 mètres carrés. Un lieu "où vous pourrez trouver en allant le voir un grand médecin ou un grand avocat parisien", précise Camille Pascal, l'un de ses anciens conseillers.

Des locaux pris en charge par l'État, à l'instar de ses deux cuisiniers et sept collaborateurs. Pour s'entourer, Nicolas Sarkozy a choisi des fidèles. Il a conservé son ancienne attachée de presse élyséenne, Véronique Waché. L'ancien préfet de police de Paris, Michel Gaudin, est devenu son directeur de cabinet. 

"Nicolas Sarkozy n'aime pas beaucoup le changement. Il n'aime pas beaucoup le changement dans ses entourages, dans ses habitudes, et donc il n'aime pas beaucoup le changement dans son décor quotidien", analyse Ludovic Vigogne, journaliste politique à L'Opinion

Littérature et succès de librairie

Un changement toutefois s'est opéré chez lui. Il serait plus à l'écoute de ses interlocuteurs, selon le sénateur sarkozyste Pierre Charon. Nouveauté également, l'ancien chef de l'État parle désormais régulièrement littérature:

"Le dernier déjeuner ça tournait autour de Madame Bovary et de Guy de Maupassant", relate le journaliste et producteur Charles Villeneuve.

Des livres, Nicolas Sarkozy en a écrit plusieurs. Son dernier opus, Passions, est le plus autobiographique des huit. Et sa promotion constitue aussi une manière de prendre la lumière, en allant de librairies en librairies dédicacer ses ouvrages. À Neuilly-sur-Seine, commune qu'il a dirigée pendant vingt années, une habitante lui dit espérer qu'il revienne bientôt. Une autre, qui déclare avoir 84 ans, lui lance un "je vous aime M. Sarkozy!"

Passions s'est vendu à près de 280.000 exemplaires depuis sa sortie en juin dernier. "Vous vous rendez compte que quand vous faites un livre, les gens le lisent et en plus ils viennent pour vous en parler. C'est merveilleux non?", dit Sarkozy. "Ça montre quand même la profondeur d'un lien", ajoute celui qui garde un œil acéré sur la courbe des ventes de son dernier-né.

"Il m'appelle tous les jours. Heureusement que tous les auteurs ne font pas ça, parce que sinon je crois que j'aurais du mal à lire des textes", raconte son éditrice Muriel Meyer.

Une image lissée avec le temps?

Ce succès, alors qu'il était considéré comme le président le plus clivant de la Ve République, Nicolas Sarkozy s'en délecte. Son image semble s'être lissée. Avec le temps? En septembre dernier, un sondage le plaçait en tête des personnalités politiques préférées des Français.

Une popularité que l'essayiste et conseiller politique Alain Minc analyse à l'aune du système politique hexagonal.

"Nous sommes dans une monarchie républicaine élective, (...) il demeure un vrai magnétisme des anciens monarques."

Ces "monarques" d'ailleurs ne sont pas oubliés par l'État: sitôt leur départ de l'Élysée, ils bénéficient chaque mois d'une pension à hauteur de 6220 euros brut, en dehors des bureaux et collaborateurs dont ils fixent librement la rémunération, sans plafond. Un dispositif "tout à fait contestable" pour l'ancien député socialiste René Dosière, spécialiste des finances publiques. 

Pour savoir combien coûtent les anciens présidents de la République aux contribuables, la députée socialiste du Puy-de-Dôme Christine Pirès-Beaune a adressé une requête à Matignon, qui a mis quatre mois à lui répondre, sans inclure les frais de sécurité. Nicolas Sarkozy arrive en tête avec 828.000 euros en 2018, François Hollande le suit avec 804.000 euros et Valéry Giscard d'Estaing complète le podium avec 710.000 euros. Mais Nicolas Sarkozy n'a pas voulu se contenter de ce statut "d'ex".

Conférences et conseils d'administration

Depuis 2012, il donne des conférences, et siège au conseil d'administration du groupe Accor mais aussi à celui du groupe de casinos et hôtels Barrière. Chacun des deux groupes étant dirigé par une connaissance de longue date. Une nouvelle vie beaucoup plus lucrative que la précédente. C'est la première fois qu'un ancien président de la Ve République intègre le conseil d'administration d'une grande entreprise française.

Michel Sapin, ancien ministre de l'Économie de François Hollande, à l'origine d'une loi sur la moralisation de la vie publique, voit plutôt d'un mauvais œil cette reconversion.

"Je considère qu'on a tellement fait pour l'intérêt général que c'est très compliqué ensuite de séparer un intérêt général passé et peut-être à venir. Il n'y a pas de conflit d'intérêt au sens juridique du terme mais il peut y avoir un conflit d'intérêt au sens intellectuel du terme", estime l'ancien ministre.

Nicolas Sarkozy mène une nouvelle vie. Mais il porte toujours une attention particulière à l'actualité et à celle de sa famille politique, Les Républicains. En octobre 2019 par exemple, il s'est rendu à Provins, en Seine-et-Marne, fief électoral de Christian Jacob, qui allait être élu président du parti une semaine plus tard. Une visite hautement politique même s'il souligne à cette occasion qu'il n'en fait plus, et qu'il est venu par "amitié".

"Venir lui baiser la babouche, c'est mieux"

Cette influence que Nicolas Sarkozy cultive discrètement, elle se manifeste aussi dans les visites qu'il reçoit dans ses bureaux du VIIIe arrondissement. Rue de Miromesnil défilent fidèles historiques, ministres de droite mais aussi de nouvelles figures comme Pierre-Henri Dumont, député Les Républicains. Passage obligé?

"Venir lui baiser la babouche, c'est mieux", lâche Pierre Charon. "C'est toujours quelqu'un qui tire un peu les ficelles", pour Ludovic Vigogne.

Nicolas Sarkozy reçoit beaucoup, mais conserve aussi des inimitiés. Avec François Hollande par exemple. Sarkozy n'a pas pardonné à son prédécesseur son comportement lors de la passation de pouvoir en 2012, lorsque ce dernier l'a salué sur le perron de l'Élysée sans le raccompagner jusqu'à son véhicule avec son épouse Carla Bruni. Et l'ancien président, froissé, ne manque pas une occasion de le critiquer.

Un comportement aux antipodes de celui qu'il observe avec Emmanuel Macron. En public, il se montre bienveillant avec lui, et ce dernier semble bien lui rendre. Emmanuel Macron lui témoigne régulièrement son attention pour les vœux, son anniversaire, ou même lors du décès de la mère de Nicolas Sarkozy, où il a envoyé deux motards le jour de l'enterrement. Il l'a également chargé de plusieurs missions de représentation, comme l'investiture de la présidente géorgienne Salomé Zourabichvili ou l'intronisation de l'empereur japonais.

Le temps des affaires judiciaires

Nicolas Sarkozy reviendra-t-il en politique? Pour l'heure il l'exclut catégoriquement.

"Moi je lui dis, 'j'ai trouvé le slogan de ta future campagne, c'est: si c'est le chaos, c'est Sarko'", s'amuse le publicitaire Jacques Séguéla.

Pour l'heure, le retour en politique semble compromis par les affaires judiciaires. Nicolas Sarkozy est mis en cause dans trois dossiers distincts, et a bénéficié d'un non-lieu dans un quatrième, l'affaire Bettencourt. Il y a d'abord l'affaire Bygmalion, mise au jour en 2012, qui recouvre un système de fausses factures pratiqué pendant la campagne présidentielle de 2012. Nicolas Sarkozy a toujours affirmé n'avoir jamais été au courant. 

Il y a ensuite l'affaire des soupçons de financement libyen qui pèsent sur la campagne présidentielle de 2007. Une machination orchestrée par l'ancien régime de Kadhafi pour Sarkozy. La troisième est celle dite "des écoutes", découverte fortuitement par le juge Serge Tournaire, et qui porte sur des soupçons de corruption et trafic d'influence. En octobre prochain, Nicolas Sarkozy sera le premier président à comparaître devant la justice pour ces chefs d'accusation.

Fabrice Babin, Benjamin Duhamel, Manuel Odinet, Myriam Alma avec Clarisse Martin