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Communication contrôlée ou élan de sincérité? Pourquoi les politiques aiment tant se confier à Karine Le Marchand

L'animatrice de télévision Karine Le Marchand, le 26 mai 2025

L'animatrice de télévision Karine Le Marchand, le 26 mai 2025 - Leo VIGNAL © 2019 AFP

L'émission Une ambition intime, dans laquelle les élus viennent se dévoiler face à Karine Le Marchand revient ce dimanche soir sur M6. Souvent vu par les politiques comme une façon de casser leur image désincarnée, le programme leur permet aussi de contrôler ce qu'ils souhaitent dévoiler de leur vie privée. Sans toutefois faire de miracle sur leur avenir électoral.

Un passage devenu obligé? Presque 10 ans après le lancement d'Une ambition intime, les politiques continuent de se confesser dans l'émission de Karine Le Marchand, entre larmes, photos de famille et visite de leur domicile. Ce dimanche soir, c'est notamment l'écologiste Sandrine Rousseau et le numéro 1 du Rassemblement national Jordan Bardella qui se dévoilent.

"Aujourd'hui, vous n'avez plus le choix. Si vous avez envie d'une carrière qui dure, que la présidentielle est dans votre tête, vous devez vous mettre à nu pour changer de statut dans le regard des gens", explique à BFMTV un ancien conseiller de Gabriel Attal.

Terrain très personnel

Le lancement de l'émission en octobre 2016 avait pourtant été très critiqué, accusée par exemple par l'ex-Premier ministre socialiste Jean-Marc Ayrault sur France inter de "copier la politique américaine". "C'est une émission désastreuse", avait encore jugé Roselyne Bachelot sur RMC, regrettant un programme qui la faisait "penser à Amour, gloire et beauté".

Il faut dire qu'à l'époque, Karine Le Marchand avait surjoué son rôle de "Madame tout le monde" allant à la rencontre des élus. L'animatrice de M6 avait ainsi assuré "ne pas aimer la politique".

"Je savais à peine qui était Jaurès quand j'ai commencé à travailler sur l'émission", confiait-elle dans Le Parisien. "Notre idée n'a jamais été de faire une interwiew politique mais de découvrir les personnalités qui se cachent derrière des parcours".

"On rêve de participer"

Et ça marche. Pour son premier numéro avec notamment Nicolas Sarkozy qui raconte comment Carla Bruni l'a poussé à reprendre contact avec son ex-femme Cécilia Attias et Bruno Le Maire qui confie avoir rencontré son épouse dans une auto-école, l'émission dépasse en moyenne les 3 millions de téléspectacteurs.

Quant à la venue de Marine Le Pen qui évoque notamment son enfance compliquée, elle dépasse les 4 millions, en dépit des accusations d'une partie de la gauche qui juge que Karine Le Marchand "banalise l'extrême-droite".

"Très vite, on a eu des gens qui nous ont appelé pour nous dire 'on rêve de participer à ça. Comment on fait?'. C'était parfois les mêmes qui avaient expliqué que c'était vraiment nul", raconte un ancien salarié de la société de production.

Comme Vivement dimanche

Avec l'espoir probable de réitérer le succès de Vivement dimanche dans les années 2000. À l'époque, Michel Drucker recevait régulièrement sur son canapé rouge des figures de la vie politique, devenant pour la campagne présidentielle de 2002 un rendez-vous incontournable, au point de pousser Lionel Jospin, alors candidat à se plier à l'exercice après l'avoir toujours refusé.

"Quand vous faisiez cette émission, dans les semaines qui suivaient, vous arriviez à gagner 4 à 6 points dans les sondages et vous en gagniez 2 ou 3 de façon durable", explique Jean-Luc Mano, ancien conseiller en communication de Nathalie Kosciusko-Morizet et de Christian Estrosi.

Aujourd'hui, presque toutes les figures qui sont ou ont été un temps présidentiables ont eu le droit à leur séquence émotion chez Karine Le Marchand, de François Bayrou à François Fillon en passant par Anne Hidalgo ou Valérie Pécresse.

"Utile pour l'image de quelqu'un de pas fun"

Avec toujours l'ambition de dépasser une personnalité désincarnée par une histoire qui ressemblerait à celles de leurs électeurs.

"C'est utile quand les gens ont l'image de quelqu'un de pas fun, un peu pénible, peut-être très compétent mais qui ne comprend rien au quotidien", résume un ancien membre de l'équipe d'une candidate à la présidentielle en 2022, passée par Une ambition intime.

En 2017, c'est par exemple François Fillon qui raconte sa passion des drones à Karine Le Marchand, ses problèmes avec l'autorité de ses professeurs quand il était enfant ou sa passion pour les ordinateurs.

Résultat? "Les téléspectateurs ont découvert que j'avais d'autres passions dans la vie que la politique. Je pense que cet équilibre est une qualité", avance alors l'ex Premier ministre de Nicolas Sarkozy en 2017 dans les colonnes de Paris Match. Passer dans le programme n'a cependant jamais provoqué de bond dans les sondages dans les jours qui suivent.

Le récit de drames intimes

L'émission peut aussi permettre à ses participants de faire passer quelques messages de société comme lorsque Marlène Schiappa, alors ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, avait parlé de sa fausse couche et du soutien que lui avait apporté le Premier ministre Jean Castex.

"Je n'avais pas prévu d'en parler parce que c'est douloureux et personnel", explique-t-elle avec le recul. "Mais Karine Le Marchand est fine psychologue. On ne peut rien lui cacher et cela m'a permis de sensibiliser sur un phénomène qui touche des milliers de femmes chaque année".

Mais le procédé a manifestement ses ratés. L'un des participants des premiers participants à Une ambition intime, Arnaud Montebourg, confie avoir "gardé un souvenir mitigé de sa participation".

Devant Karine Le Marchand, très ému, il y avait évoqué la naissance de la fille qu'il a eu avec Aurélie Filipetti, née après seulement 5 mois et demi de grossesse.

Un exercice très contrôlé

L'exercice peut d'ailleurs vite tourner à l'artificiel, notamment parce qu'aucune scène tournée avec les politiques n'est diffusée sans leur accord. C'est ce que le communiste Fabien Roussel qui fera partie de l'émission diffusée ce dimanche appelle "un contrat de confiance".

"À la fin, on a le dernier mot, dans le sens où si on ne veut pas que tel ou tel passage soit diffiusé, on peut le dire", a expliqué l'ex-candidat à la présidentielle lors d'une conférence de presse de M6.

"Je sais que les participants adorent dire qu'ils se sont sentis tellement en confiance qu'ils ont dit des choses qu'ils n'avaient jamais confiées à personne", tance un ex-communicant de Nicolas Sarkozy.

"La réalité, c'est qu'en général, vous avez évidemment réfléchi à ce que vous alliez dire et aux épisodes de votre passé que vous êtes prêt à dévoiler. La politique, c'est quand même un monde où vos adversaires vont exploiter vos faiblesses. Donc vous réfléchissez à deux fois avant de leur donner des billes", résume ce vieux routier des allées du pouvoir.

Le diagnostic est nuancé par la communicante Patricia Chapelotte pour qui "si vous n'avez pas envie de faire Une ambition intime, ça se verra et ce sera raté". "Si vous ne le sentez pas, n'y allez pas".

Certains ne sont pas forcés à l'instar d'Emmanuel Macron ou Gabriel Attal qui n'ont jamais voulu participer à l'émission. Sans compter que l'émission ne fait pas de miracle: à l'exception de François Bayrou, aucun des participants n'est rentré à l'Élysée ou Matignon. À ce jour.

Marie-Pierre Bourgeois