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"Chiraquiens" contre "réformistes": Dans les coulisses des derniers arbitrages de la réforme des retraites à l'Élysée

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INFO BFMTV - Deux camps se sont affrontés mardi soir à l'Élysée au cours d'une réunion destinée à trancher les dernières pierres d'achoppement de la réforme des retraites.

La scène se déroule au rez-de-chaussée de l'Élysée. Dans le salon des ambassadeurs, habituellement dévolu à l'hebdomadaire conseil des ministres. Emmanuel Macron y a réuni une vingtaine de personnes mardi soir à partir de 21 heures et jusque tard dans la soirée.

L'objectif de ce rendez-vous nocturne: rendre les derniers arbitrages de la réforme des retraites, qui était dévoilée ce mercredi midi par Édouard Philippe. Autour de la table face aux jardins de l'Élysée, les ministres au portefeuille concerné par les retraites, Christophe Castaner, Jean-Michel Blanquer, Agnès Buzyn, Gérald Darmanin, Bruno Le Maire et le haut-commissaire aux retraites Jean-Paul Delevoye. Édouard Philippe, en première ligne dans la réforme, est évidemment présent.

Mais aussi quelques indéboulonnables de la majorité comme François Bayrou, Richard Ferrand, Gilles Le Gendre, François Patriat, Stanislas Guerini et Patrick Mignola, le chef de file des députés MoDem au Palais-Bourbon.

Un jeu d'alliance inattendu

C'est Édouard Philippe qui prend la parole en premier, avant de la céder à chacun. Rapidement, deux "camps" émergent. Selon nos informations, c'est un affrontement inattendu qui se dessine. Les "chiraquiens" d'un côté, les "réformistes" de l'autre, confie un député LaREM. Un clivage qui n'est pas celui habituellement observé entre les ministres estampillés à droite et ceux issus de la gauche.

Au cœur des débats: l'âge pivot. Faut-il évoquer dans le discours du Premier ministre cet âge d'équilibre de 64 ans? C'est prendre le risque de braquer le puissant patron de la CFDT Laurent Berger, qui s'était jusque-là tenu à l'écart de la bronca.

"C'est le 'Et en même temps du Président!", se félicite alors un pilier de la majorité. "Exigence de l'équilibre financier et solidarité redistributive." Face à ça, les "chiraquiens" en présence forment une alliance de circonstance. Richard Ferrand, François Bayrou, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin alertent Emmanuel Macron.

"Pour sauver la réforme des retraites, il faut renvoyer les mesures d'équilibre à plus tard", raconte un conseiller ministériel.

Dimanche, lors d'une première réunion à l'Elysée, Bruno Le Maire s'était remémoré son expérience dans le gouvernement Villepin en 2006, lors du CPE, et avait rappelé à quel point le pays est inflammable.

Politiques et technocrates

Face à ces vieux routiers de la politique, les "technos" de l'Élysée et Matignon montent au créneau. Édouard Philippe, le secrétaire général de l'Élysée Alexis Kohler et le directeur de cabinet du Premier ministre Benoît Ribadeau-Dumas plaident pour "un discours de vérité, raisonnable".

"On dit la vérité, abonde un ministre. Il y a d’importantes mesures sociales à destination des oubliés de la solidarité. Nous serions irresponsables de ne pas dire comment cela tient financièrement."

Le débat fait rage et dure. Emmanuel Macron tranche. Il valide l'expression "bonus-malus" autour de 64 ans. "Il a dit qu’il voulait que ce soit une loi d’équilibre, d’équilibre sociétal et d’équilibre financier", raconte un participant à BFMTV. "Il y a une honnêteté de la part de Macron et Philippe. Ils y croient, c'est sincère", défend un député proche du président.

Pour un élu de la majorité, cet arbitrage cache un objectif clair: "Clouer le bec aux Républicains et passer pour des réformateurs en vue de 2022." Un conseiller de l'exécutif s'emporte: "Ils ont décidé, certes en fonction de l'intérêt général, mais pas en politiques! Ils ont pris le risque de tout perdre", regrette-t-il.

"On a bougé!"

Au lendemain de la réunion, terminée peu avant une heure du matin, l'aile gauche de la majorité commence déjà à grincer des dents en coulisses. "Il va falloir se battre à l'Assemblée" afin d'amender le texte. "C'est une erreur idéologique", poursuit un député en colère. 

À Matignon, on se défend, jugeant avoir fait des concessions à destination des syndicats: 

"On a bougé, ce n'est plus en 2025 l'âge pivot mais deux en plus tard en 2027", soutient-on. "Le projet d'aujourd'hui ne ressemble pas au projet initial", affirme un proche d'Édouard Philippe. 

"Ça peut nous coûter très cher"

Mais pour quelle raison ce dernier a-t-il évoqué les 64 ans dans son discours? "Parce que c'est la condition d'équilibre. C'est dans nos lignes depuis le début. On nous l'aurait reproché si on ne s'était pas positionné", ajoute cette même source, qui souligne deux points du discours d'Édouard Philippe. Il a dit "que ça se ferait sauf si les partenaires sociaux proposent d'autres solutions" et "que ça serait très progressif".

"Autour de la table, on sait qu'on prend le risque de perdre Berger, mais une partie de notre électorat nous attend sur l'équilibre budgétaire", argue l'un des convives du salon des ambassadeurs. "Personne n'est contre l'équilibre, mais c'est une question de tactique. (...) Le problème, c'est que le Premier ministre a fait de l'équilibre budgétaire une mascotte. Mais si la CFDT rentre maintenant en opposition frontale, ça peut nous coûter très cher", poursuit-on. 

Prophétique? Quelques minutes après le discours d'Édouard Philippe au Conseil économique, social et environnemental, le patron de la centrale, avait d'ores et déjà réagi, lapidaire: "Il y avait une ligne rouge dans cette réforme, (...) cette ligne rouge est franchie." 

La CFDT réunissait cet après-midi son bureau national pour décider de son action dans les jours et semaines à venir. Le couperet, pressenti, est tombé peu avant 20 heures: la confédération bascule dans le camp des opposants et appelle désormais "à se mobiliser le 17 décembre". 

Le service politique de BFMTV avec Clarisse Martin