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Politique

Ces grands incendies qui ont embrasé le débat politique dans l'histoire de France

Notre-Dame de Paris en feu

Notre-Dame de Paris en feu - Ludovic Marin / AFP

Les responsables politiques ont, pour l'essentiel, conservé une gravité et une retenue bienvenues au moment d'évoquer l'incendie de Notre-Dame de Paris. Il n'empêche que ce dernier mobilise le débat public et que le président de la République s'est engagé personnellement à veiller à la reconstruction rapide de l'édifice. Par le passé, plusieurs incendies ont eu des répercussions politiques directes dans notre histoire.

La classe politique, majorité ou opposition, a su observer dans sa grande majorité la retenue et la gravité exigées par la terrible circonstance de l'incendie de Notre-Dame de Paris lundi soir. Mais, après que le discours d'Emmanuel Macron censé tirer les leçons de la crise politique et sociale en cours a été reporté par la force des choses, le drame mobilise la scène publique ces jours-ci. Emmanuel Macron a ainsi promis une reconstruction rapide, d'ici cinq ans, de la cathédrale dédiée à la Vierge Marie. 

Si ce type de catastrophes est inédite pour Notre-Dame de Paris, d'autres incendies ont investi le débat politique dans notre histoire. 

Le "Bal des ardents" sombre dans la folie furieuse 

Le premier exemple nous ramène aux dernières heures d'un XIVe siècle aux airs de cauchemar éveillé, entre guerre de Cent ans, peste noire et processions étranges de mouvements apocalyptiques comme celui des flagellants.

Le 28 janvier 1393, une fête est donnée à Paris, en présence du jeune roi de France, 24 ans, et de la fine fleur de la noblesse. Connue plus tard sous le nom de "Bal des ardents", elle s'inscrit dans un contexte très particulier. En août 1392, Charles VI, qui mène alors une petite troupe dans une forêt près du Mans, en route vers la Bretagne, est interpellé par un vagabond qui lui assure que sa suite prévoit de le trahir. Quelques heures plus tard, entendant un simple cliquetis métallique, le monarque pique un fard, et charge ses propres hommes. Il en tue quatre avant d'être maîtrisé. Cette crise de folie convainc son entourage qu'il faut désormais le divertir pour soulager son esprit tourmenté. 

C'est pourquoi, au mois de janvier suivant, son épouse Isabeau de Bavière décide de profiter du remariage d'une de ses dames de compagnie pour amuser la prestigieuse galerie. Afin d'égayer encore la soirée, Charles VI et cinq de ses amis se déguisent en "sauvages". On appelle ça un charivari, une "mômerie". Le costume revêtu, complété par un masque, est simple: il est fait de lin enduit de poix, recouvert de plumes et de poils d'étoupe. Simple, et hautement inflammable. On le sait d'ailleurs très bien et c'est la raison pour laquelle on mouche les torches de la salle avant l'entrée des fêtards déguisés. Sur ce, Charles VI et ses amis, qui contrairement à lui sont enchaînés entre eux, font leur entrée dans la pièce, en criant et en dansant. 

Double problème: Louis d'Orléans, frère du roi, et son oncle Jean de Berry pénètrent à leur tour dans la salle, ignorant qu'il ne faut pas allumer de torche, et déjà passablement ivres. Louis d'Orléans croit alors bon de s'éclairer pour essayer de reconnaître les "sauvages" et les embrase en approchant le flambeau. Ils sont quatre à mourir, quatre comparses déguisés qui n'ont pas réussi à rompre leur chaîne. Charles VI réchappe grâce à sa tante, la duchesse de Berry, âgée de seulement quinze ans, qui étouffe les flammes dans les plis de sa robe.

La mésaventure déplaît fortement aux Parisiens qui ne comprennent pas qu'on ait exposé à un tel danger un roi déjà atteint psychologiquement. On critique les conseillers du roi et le duc d'Orléans qu'on juge responsables. Le gouvernement prend peur, d'autant plus qu'une poignée d'années auparavant, les Parisiens se sont révoltés contre l'administration fiscale.

En 2013, l'historien Didier Le Fur revenait sur les ondes de France Inter sur les conséquences dans l'opinion de cette soirée désastreuse, et signalait que Charles VI avait dû faire pénitence en public à Notre-Dame de Paris tandis que Louis d'Orléans versait des fonds pour l'édification d'une chapelle expiatoire. L'événement a irrémédiablement altéré la vie du souverain, de plus en plus éloigné du pouvoir, alternant entre phases de lucidité (de plus en plus courtes) et crises de folie furieuse (de plus en plus fréquentes). 

Le Bal des ardents
Le Bal des ardents © Gravure attribué à Philippe de Mazerolles, via Wikimedia Creative Commons

Deux autres incendies, bien différents et bien plus récents, cités par un article très documenté paru mardi sur le site de L'Opinion, ont également marqué les consciences hexagonales. 

Du bazar au chaos 

Evénement mondain au moins autant que vente humanitaire à destination des plus pauvres, le Bazar de la Charité est le rendez-vous de la bonne société de confession catholique à la fin du XIXe siècle. Le 4 mai 1897, sa treizième édition bat son plein, dans son fief rupin du 8e arrondissement parisien, à deux pas de ce qu'on appelle alors l'avenue d'Antin et qui est pour nous aujourd'hui l'avenue Franklin Roosevelt. 

On s'y presse, on se coudoie lors de cette seconde journée du Bazar. L'atmosphère est irrespirable. Le spectacle qui s'offre aux regard de l'aristocratie et haute bourgeoisie philanthropes est, de plus, très étroit car les organisateurs ont choisi de représenter une rue médiévale. Mais le dernier cri côtoie ce monde disparu. On introduit en effet un cinématographe dans l'enceinte. Cette machine révolutionnaire va hélas transformer l'artère du Moyen-Âge en tombeau. Cherchant à recharger en éther la lampe de projection de l'appareil, un technicien enflamme les vapeurs dégagées en craquant une allumette. Un rideau, puis tout, prend feu. Le décor s'effondre sur les visiteurs prisonniers du brasier: 121 morts. Dans son édition du 5 mai, Le Figaro évoque évidemment "la catastrophe d'hier". on y trouve cette description:

"On vit un spectacle inoubliable dans cet immense cadre de feu formé par l'ensemble du bazar, où tout brûle à la fois, boutiques, cloisons, planchers et façades, des hommes, des femmes, des enfants se tordent, poussant des hurlements de damnés, essayant en vain de trouver une issue, puis flambent à leur tour et retombent au monceau toujours grossissant de cadavres calcinés". 

La discussion politique s'emballe vite. Georges Clemenceau ne s'apitoie pas très longtemps sur le sort de ces "représentants des castes dégénérées", tandis que lors de la cérémonie officielle tenue à Notre-Dame de Paris, le père Ollivier voit dans la tragédie la main de Dieu frappant une République d'incroyants, s'étant détournée des valeurs de l'Eglise. On est en pleine période d'affrontement entre catholiques parfois désignés comme "calotins", et militants de la laïcité dépeints parfois en "antireligieux" zélés. La loi sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat suivra huit ans plus tard. 

Le sinistre au lendemain du drame.
Le sinistre au lendemain du drame. © Photo parue dans Le Monde illustré, via Wikimedia Creative Commons.

Le feu et les Radicaux 

Le 28 octobre 1938, Marseille accueille le congrès du puissant Parti radical. Edouard Dalladier, président du Conseil et donc chef du gouvernement, ainsi qu'Edouard Herriot, président de la Chambre des députés, ont fait le déplacement. Albert Sarraut, ministre de l'Intérieur, est également là. Mais, bien vite, le rendez-vous politique va passer au second plan. Les Nouvelles galeries s'enflamment.

Et s'il ne s'agit pas de jeter ces grandes huiles politiques sur le feu, celles-ci sont cependant aux premières loges de la catastrophe. Les pompiers apparaissent comme désorganisés, démunis, malgré leur grand courage, et les policiers sont débordés, peinant à contenir la foule. 73 personnes trouvent la mort, pour beaucoup des salariés des Nouvelles galeries. Les causes du drame restent obscures, bien que le crime organisé soit parfois accusé. 

Devant le bûcher, et durant la confusion, Edouard Dalladier sort quant à lui de ses gonds: "Il n'y a-t-il donc pas de chef, pas un homme pour diriger? C'est lamentable!" Les cendres à peine refroidies, on décide en tout cas que le maire Henri Tasso, engagé à gauche, ne commandera plus. Il est démis de ses fonctions. L'affaire ressemble avant tout à une manœuvre politique: les Radicaux viennent de rompre avec le Front populaire, mettant fin de fait à cette expérience longue de deux ans et demi, dont Henri Tasso défend le bilan.

L'incendie lègue par ailleurs un héritage à Marseille. La ville est toujours protégée par le corps des marins-pompiers à ce jour, après qu'on les a appelés en renfort, depuis Toulon, pour étouffer le feu des Nouvelles galeries. 

Robin Verner