Affaire Fillon: la loi sur la prescription des délits financiers a poussé le PNF à accélérer

Elle est à l'origine de la décision du Parquet national financier d'ouvrir une information judiciaire dans le cadre de l'affaire Fillon. La loi a été adoptée le 16 février dernier par l'Assemblée nationale, quelques jours avant la fin de cette session parlementaire. Elle fixe un seuil de 12 ans au-delà duquel les délits financiers et économiques ne peuvent plus être poursuivis. Ce vote en pleine affaire Fillon entre en collision avec l'actualité par coïncidence, dans la mesure où cette disposition a été introduite au Sénat en octobre dernier, comme le rapporte Le Monde, plusieurs semaines donc avant l'éclatement de la polémique. Le coauteur de la loi, le député Georges Fenech ("Les Républicains") a d'ailleurs été le meneur des "frondeurs" à droite.
Un garde-fou très flou
Il n'empêche, cette loi a eu une conséquence directe sur l'instruction de l'affaire soulevée autour de soupçons d'emplois fictifs dans la famille Fillon puisque certains des faits portés à la connaissance de la justice étaient d'ores et déjà antérieurs à ce délai de prescription. Avec celui-ci, tout un pan de la controverse pouvait être oblitéré pour les enquêteurs:
"Cela pourrait avoir un impact sur l’affaire Fillon puisqu’on sait que les faits remontent à 1998. Donc, ça veut dire que tous les faits entre 1998 et 2005 pourraient être prescrits", explique Sarah-Lou Cohen, chef du service police-justice de BFMTV.
Les représentants ont cependant pris des précautions pour que la loi, une fois en vigueur, ne soit pas rétroactive: "Les parlementaires avaient prévu un garde-fou dans un article, l’article 4: 'La présente loi ne peut avoir pour effet de prescrire des infractions qui, au moment de son entrée en vigueur, avaient valablement donné lieu à la mise en mouvement ou à l’exercice de l’action publique'", poursuit Sarah-Lou Cohen.
"Sauf que cet article est très flou et que les magistrats du Parquet national financier s’arrachent les cheveux pour savoir si la mise en mouvement de l’action publique concerne des actes d’enquête. C’est-à-dire si un procès-verbal dressé par un officier de police judiciaire dans les prochains jours peut être considéré comme tel".
Pour éviter cette zone d'ombre, le Parquet financier vient de décider l'ouverture d'une information judiciaire pour "détournements de fonds publics et abus de biens sociaux" ce vendredi soir. Il faut dire que le temps pressait. La promulgation de la loi est en effet prévue pour "mardi prochain", selon les informations de Sarah-Lou Cohen.
L'incompréhension d'un magistrat
Le magistrat Serge Portelli, président de chambre à la cour d’appel de Versailles, également membre du syndicat de la magistrature classé à gauche, déplore cette mesure des législateurs sur notre antenne: "C’est un recul fantastique dans la lutte contre la corruption. Il n’y a guère qu’en France qu’on des choses pareilles." Pour Serge Portelli, cette initiative est à rebours des réformes des délais de prescription dans les autres domaines de la société:
"Alors que la loi essaye d’allonger les délais de prescription dans toutes les matières pour chercher à renforcer la répression de davantage de crimes et délits. Il y a un secteur dans lequel on dit: ‘non, on va faire l’inverse réduire le délai de prescription.’ Et cette délinquance, c’est quoi ? C’est la délinquance de corruption, la délinquance en col blanc."