BFMTV
Politique

40 ans après le 10 mai 1981, se revendiquer de Mitterrand a-t-il encore un sens?

François Mitterrand en haut des marches du Panthéon, le 21 mai 1981, plus d'une semaine après sa victoire historique

François Mitterrand en haut des marches du Panthéon, le 21 mai 1981, plus d'une semaine après sa victoire historique - AFP / BFMTV

Élu après avoir patiemment uni son camp tout en asséchant les communistes, François Mitterrand a légué une culture de gouvernement au PS.

Au début, l'éloge d'usage. "Le 10 mai '81, ce n'est pas seulement le souvenir d'un homme. C'est le souvenir d'un élan populaire incroyable", s'émeut Olivier Faure. Quatre décennies après la victoire de François Mitterrand à l'élection présidentielle, le premier secrétaire du Parti socialiste nous livre sa lecture et son souvenir de ce moment historique. Il compare la liesse d'alors à celle du 12 juillet 1998, lorsque la France s'est saisie pour la première fois de la Coupe du monde de football. "Tout devenait possible", résume-t-il.

Au plan politique, Olivier Faure loue avant tout la capacité de son lointain prédécesseur à bâtir "l'unité du peuple de gauche" et, une fois élu, à "objectivement changer la vie" des Français à travers des réformes sociales d'ampleur. Cinquième semaine de congés payés, 39 heures, retraite à 60 ans... Celles-ci égrenées, on l'interroge sur la fascination qu'exerce encore le premier président socialiste de la Ve République. Olivier Faure marque une pause.

"Est-ce qu'il faut être fasciné... Il a été un modèle pour beaucoup et je comprends parfaitement qu'il le soit encore. Mais je n'aime pas beaucoup l'idée d'être fasciné. C'est toujours un peu curieux d'avoir des gens qui disent n'avoir ni Dieu ni maître, qui ensuite sont dans une forme de culte de la personnalité. Ce n'est pas mon genre", assume le patron du PS, fidèle à sa placidité.

"Tout cela est obsolète"

Ainsi va le rapport un peu doux-amer qu'entretient aujourd'hui la gauche, du moins celle qui a eu l'expérience des manettes du pays, avec François Mitterrand. Au vu de sa situation actuelle, caractérisée par le rétrécissement et la fragmentation, a-t-elle encore un intérêt à célébrer la mémoire de Tonton? Ne jette-t-elle pas ainsi une lumière crue sur l'impossibilité, liée à divers facteurs, de reproduire dans les années à venir le succès du 10 mai 1981?

Un sympathisant socialiste brandissant la Une du lendemain de la victoire de François Mitterrand, le 11 mai 1981
Un sympathisant socialiste brandissant la Une du lendemain de la victoire de François Mitterrand, le 11 mai 1981 © AFP

"Ce qu’avait compris Mitterrand et que ne comprend pas la gauche actuelle, c’est qu’être un homme politique de gauche, c’est raconter une histoire, avoir des racines, affronter des défis", avance Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS de 2015 à 2018. Une période sombre pour le socialisme, qui voyait son socle électoral s'évaporer à mesure que François Hollande mettait en œuvre des réformes jugées trop libérales. Et l'ex-député de Paris, grand admirateur de François Mitterrand, de poursuivre:

"Tout cela est obsolète, puisque désormais la pensée dominante c’est l’écologie, donc le catastrophisme. C'est une pensée moderne, du moment. Aujourd’hui un patron de parti, il a trois tweets à faire par jour sur les événements qui se succèdent. Je réfléchis dix fois plus depuis trois ans que je ne le faisais lorsque j'étais premier secrétaire. Les leaders n’en ont plus le goût, n'ont plus le goût de l'Histoire. Ils estiment que tout ça c’est dépassé, que les Français s’en foutent. Et les médias sont à l’unisson." Bigre.

Même s'il le fait moins fréquemment qu'il y a quelques années, Jean-Luc Mélenchon est de ces dirigeants de gauche qui revendiquent toujours une filiation les rattachant à François Mitterrand. Prompt à afficher ses émotions, le chef de file de La France insoumise a fait part auprès de L'Obs de son "dégoût" lorsque Emmanuel Macron, le 8 janvier dernier, s'est rendu à Jarnac 25 ans après la mort de l'ancien président. À ses yeux, l'héritage mitterrandien ne saurait être escamoté par la famille libérale.

"Je me sens héritier d’un projet et d’une manière d’être", affirmait Jean-Luc Mélenchon dans cette interview. "Ce qui me restera de lui, c’est son attention aux autres. Il était d’une extrême courtoisie. Sur le plan politique, l’opiniâtreté, ne pas lâcher prise. Et puis, l’idée de la France. Ce n’était pas si répandu dans notre famille."

Chacun voit midi à sa porte

Pourtant en macronie, certains n'hésitent pas à entretenir la flamme mitterrandienne. À leur façon. Par exemple Clément Beaune, secrétaire d'État aux Affaires européennes, voit dans ses propres fonctions une continuité avec le travail accompli par le socialiste.

"L'héritage européen, les grandes réformes, les grands travaux... Tout cela est à son actif. Et je n'aime pas le terme, mais il a également su faire la synthèse du social et du sociétal", observe-t-il. Comme Emmanuel Macron aimerait pouvoir le revendiquer s'il parvenait à faire adopter la PMA pour toutes.
François Mitterrand avec son labrador, Baltique, après l'ascension de la roche de Solutré, le 7 juin 1987
François Mitterrand avec son labrador, Baltique, après l'ascension de la roche de Solutré, le 7 juin 1987 © AFP / Pascal Pavani

L'avantage des icônes, c'est qu'elles permettent à chacun de voir midi à sa porte. "C'est comme la droite avec le général de Gaulle: on en prend le meilleur", reconnaît Olivier Faure. Son homologue du Parti communiste, Fabien Roussel, dont la candidature à l'élection présidentielle de 2022 a été définitivement entérinée dimanche, multiplie depuis plusieurs mois les allusions à 1981.

"Ce que je retiens de Mitterrand, ce sont les grandes avancées des premières années, acquises grâce au poids qu'avait le PCF", déclarait-il récemment auprès de BFMTV.com.

Rappelons qu'à l'époque, les 15% recueillis par Georges Marchais ont été vécus par les communistes comme un coup de massue. Ils marquent le début d'une lente et inexorable déliquescence du PCF, dont des bataillons d'électeurs ont été absorbés par le PS avant de se tourner, petit à petit, vers le Front national. Pour Fabien Roussel néanmoins, l'exemple de 1981 valide la stratégie que lui-même souhaite mettre en œuvre.

"Il essaie de se déculpabiliser pour justifier une candidature communiste en 2022, puisqu'en 81 il y avait Marchais", réagit auprès de nous un poids lourd socialiste. "C'est la fameuse théorie du rateau: plus il y a de dents, plus on ramasse. Mais quand les dents sont toutes plus courtes les unes que les autres..."

"Une part de romance"

Les années passant, les tête-à-queue idéologiques et les manquements personnels de François Mitterrand au pouvoir sont moins sujets à débat. Le tournant de la rigueur de 1983, la substitution du projet européen à l'idéal socialiste, la désindustrialisation de la France, les affaires, les écoutes... La part d'ombre du Sphinx, son art consommé de la tactique, son cynisme politique assumé, tout cela est désormais admis, connu, voire intégré au récit de son épopée.

"Un peu de ruse ne nuit pas", minimise Olivier Faure lorsqu'on évoque ces sujets avec lui. "Mitterrand est entré dans le roman national, et dans ce roman, il y a une part de romance", ajoute-t-il.
François Mitterrand et le chancelier allemand Helmut Kohl, le 28 mars 1987 à Chambord
François Mitterrand et le chancelier allemand Helmut Kohl, le 28 mars 1987 à Chambord © AFP / Philippe Bouchon

Là où le premier secrétaire socialiste - comme Jean-Luc Mélenchon d'ailleurs - en veut à l'ancien chef de l'État, c'est pour son refus de faire évoluer notre système institutionnel. Contempteur acharné de la Ve République dès sa fondation, l'auteur du Coup d'État permanent a endossé presque aussi bien que le général de Gaulle le costume de monarque républicain.

"C'est bien son tort. On a besoin d'une démocratie qui respire davantage et on ne peut plus considérer que notre destinée doit être déterminée par un seul", estime Olivier Faure, d'après qui les récentes révélations sur le génocide rwandais sont une éclatante illustration des dérives de notre système. Or, la gestion de cet événement tragique est l'une des taches de l'ère Mitterrand.

Aux prises avec l'Histoire

À l'instar de son prédécesseur, Emmanuel Macron s'est coulé sans difficulté dans le moule institutionnel. Il l'avait même théorisé en amont. C'est d'ailleurs le rapprochement que fait François Patriat, ancien socialiste devenu "macronolâtre" autoproclamé, entre ses deux présidents de cœur.

"Il y a du Mitterrand en Macron dans l’appropriation de la fonction, la hauteur de vue, la stature internationale. Ils ont aussi la même façon de 'manager' les équipes, qui n'est pas toujours brillante d'ailleurs", raille le sénateur de Côte-d'Or.

L'actuel locataire de l'Elysée est-il pour autant un héritier de François Mitterrand? Dans la geste présidentielle, peut-être, mais pas davantage. La gauche, faute de champion qui puisse enclencher une dynamique suffisamment forte pour estomper les tensions qui la minent, ne semble pas en mesure de produire un successeur. "Il n'y a plus de calibre aujourd'hui. Il n'y a plus de gueule", tranche Gérard Colé, l'ancien conseiller en communication de François Mitterrand. Pour Jean-Christophe Cambadélis, il y a un problème plus fondamental encore:

"Nous n’avons plus d’hommes ou de femmes qui sont aux prises avec l’Histoire. C'est terminé. Comme le général de Gaulle, François Mitterrand faisait sienne l'idée que 'le président ralentit le pas'. Aujourd'hui, tous nos candidats accélèrent le pas. Ils ne savent plus attendre. Et puis il y a la question du charisme. Mitterrand se faisait appeler président avant même d’être élu. Quand il arrivait dans une salle de fumeurs, tout le monde éteignait sa cigarette."
Jules Pecnard Journaliste BFMTV