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Voyage au bout du mystère: la danse macabre d'Elisa Lam

L'hôtel Cecil à Los Angeles

L'hôtel Cecil à Los Angeles - Jim Winstead via Wikimedia Creative Commons.

Elisa Lam, une étudiante canadienne partie début 2013 en vadrouille sur la côte ouest américaine, a fini par échouer dans un hôtel de Los Angeles à la sinistre réputation. C'est là qu'elle est retrouvée morte deux semaines après avoir disparu. Entre temps, la police a choisi de diffuser les dernières images d'Elisa Lam en vie. Captée dans l'ascenseur de l'hôtel, la vidéo a suscité l'effroi... et toutes sortes d'hypothèses.

Une intrigante disparition ne laissant derrière elle qu'un corps et une série de questions insolubles, d'étranges images de surveillance, vacillant à l'extrême limite des berges de l'explicable: l'affaire Elisa Lam a tout pour enflammer les esprits, à l'heure, finalement si peu cartésienne, où ce n'est plus le bon sens mais les vidéos virales qui apparaissent comme la chose la mieux partagée au monde.

Le "Cecil"

Ramenés en quelques mots, les faits semblent presque banals. En janvier 2013, une étudiante canadienne du nom d'Elisa Lam, âgée de bientôt 22 ans, en vadrouille sur la côte ouest américaine, séjourne à Los Angeles. Le 31 janvier, elle disparaît, corps et biens. Près de trois semaines plus tard, on la découvre flottant à la surface de l'une des citernes desservant l'hôtel où elle s'était volatilisée.

Entre ces deux pôles, le LAPD, la célèbre police de Los Angeles, alors en quête d'informations permettant de retrouver la jeune fille, a partagé une captation de vidéosurveillance, enregistrée dans l'ascenseur de l'établissement au jour fatidique, comme on divulgue un secret trop lourd à porter, un bruit trop effrayant à garder pour soi. Les enquêteurs ne le savent pas encore, ou plutôt n'en sont pas encore sûrs, mais il s'agit là des dernières images d'Elisa Lam en vie. Et sans doute d'une des bandes les plus troublantes jamais diffusée par une institution officielle.

Au moment de raconter cette histoire, il faut bien commencer par remarquer qu’elle débute et se termine là où elle n’aurait pas dû se dérouler: à l’hôtel Cecil. C'est peu dire que l'endroit a mauvaise réputation. Cette méchante bâtisse couleur sable impose ses 14 étages à deux pas de Skid Row, qu’on pourrait traduire par "le coin des amochés", quartier connu pour son immense population de sans-abris, la criminalité et la drogue qui forment le terrible cortège de la misère la plus noire. L'hôtel promène sur les environs une ombre rendue plus épaisse encore par son propre passé. Toile de fond de plusieurs homicides et suicides depuis son ouverture dans les années 20, il a même été l'antre du tueur en série autrichien Jack Unterweger en 1991. Mais aussi de l'assassin Richard Ramirez qui a occupé une chambre au dernier étage en 1985, à l'époque même de ses crimes; surnommé le "Night Stalker" ("le harceleur de la nuit") il écoutait Night Prowler (Rôdeur de la nuit) d'AC/DC dans sa voiture lors de ses équipées meurtrières. C'est là qu’Elisa Lam débarque le 26 janvier 2013.

Derniers signes de vie 

Elisa Lam est étudiante à l’Université canadienne de Colombie britannique de Vancouver, où ses parents venus de Hong Kong se sont installés avant d'ouvrir leur restaurant. Enfin étudiante, l'est-elle encore? Il semble qu'à l’orée de cette seconde partie d'année scolaire, elle ne soit inscrite nulle part. Grâce à la presse américaine, on connaît en revanche son voyage à coups de bus et de trains le long de la Côte ouest avec davantage de précision. Avant Los Angeles, elle a vu San Diego et ses églises hispaniques. Après, elle espère bien jeter un œil sur Santa Cruz, l'une des capitales mondiales du surf qu'elle doit d'ailleurs rallier le 31 janvier en quittant l'hôtel Cecil. Seulement le 31 janvier, c'est aussi le jour où la silhouette d'Elisa Lam s'évanouit dans la nature.

Ses parents n'étaient déjà pas rassurés devant le départ solitaire de leur fille dans de si lointaines vacances, alors ils sont franchement effrayés lorsque celle-ci rompt ce même 31 janvier la promesse qu’elle leur a faite en quittant Vancouver: les appeler chaque soir. Ils atterrissent à Los Angeles dans les premiers jours de février et poussent le LAPD à s'intéresser à ce dossier, délicat par nature, de disparition d'une personne majeure. Mais les investigations patinent et les témoignages sont rares. Oh, il y a bien Katie Orphan, propriétaire du Last Bookstore, immense librairie de la ville, qui dit l'avoir vue dans son commerce, le 31 janvier, achetant des "livres et de la musique" pour ses proches, comme elle l'a expliqué depuis auprès de CBS. Mais c’est à peu près tout. Si Katie Orphan est l'une des dernières personnes à avoir vu Elisa Lam, elle ne remarque rien d'anormal.

Mais ce n'est pas à l'air libre, ni sous le soleil baignant les rues de Los Angeles et qu’on imagine inonder la librairie, que gît le mystère Elisa Lam. C'est bien entre les murs de l’hôtel que la vie de l’étudiante a connu son dernier et spectaculaire épisode. Et, sans nouvelles de la jeune fille, la police va décider de diffuser ce dernier en mondovision en le mettant en ligne sur son site internet.

Elisa Lam
Elisa Lam © photo diffusée par le LAPD via Wikimedia Creative Commons.

Troublante vidéo

C'est une vidéo d'environ quatre minutes. On y voit Elisa Lam entrer dans l'ascenseur du Cecil. L'heure est imprécise, car le minuteur qui figure sur la partie inférieure de la vidéo est illisible. La Canadienne appuie sur un bouton avant de s'immobiliser mais la cabine ne bouge pas. Puis, elle se blottit contre la paroi de l'ascenseur de façon à ne pas être repérée depuis le couloir. Elle passe pourtant une tête dans le corridor peu après, en regardant furtivement à gauche et à droite. La voyageuse se sent à l’évidence traquée. Elle finit par regagner la sécurité de l'ascenseur où elle appuie cette fois-ci frénétiquement sur les différents boutons mais à nouveau rien ne se passe. Elle sort une nouvelle fois et la scène prend une tonalité presque irréelle. Elisa Lam ploie, joue curieusement des bras, retourne ses mains, semblant parler et se courber devant un interlocuteur invisible.

Encore quelques instants et elle quitte le champ de la caméra de surveillance en prenant le couloir à gauche. L’ascenseur se manifeste alors, ses portes s'ouvrant et se fermant plusieurs fois sur cette énigme.

Elisa Lam retrouvée 

La publication de cette vidéo troublante ne permet cependant pas d’en savoir plus sur la destinée d’Elisa Lam et les jours filent tandis que la vie continue à l’hôtel Cecil. Là-bas, les pensionnaires ont d'ailleurs leurs propres soucis. Ils font en effet état de problèmes de débit d'eau dans les chambres et évoquent parfois même sa couleur suspecte. Sabina Baugh, touriste britannique ayant résidé à ce moment-là au Cecil avec son mari Michael, s'en est ouverte auprès de CNN:

"La douche, c'était horrible. Quand on tournait le robinet, l'eau sortait noire pendant deux secondes, puis elle retrouvait une couleur normale. (…) L'eau avait un goût étrange, sucré, écœurant. C’était vraiment un goût très bizarre."

Les réclamations s'accumulent, par conséquent le 19 février, comme le note le Los Angeles Times, la direction missionne son employé de maintenance, Santiago Lopez, pour qu’il se rende sur le toit et inspecte les quatre citernes abreuvant les chambres de l'immeuble. Il observe que la trappe du réservoir principal est ouverte. Il jette alors un œil: le cadavre d'une jeune femme flotte, à 25 centimètres environ du sommet du contenant, et son visage est tourné vers le haut. Elle est nue, ses vêtements dérivent à ses côtés, ainsi qu'une montre et la carte d'accès d'une chambre d'hôtel. Sur place, les pompiers doivent vider puis percer l'une des parois de la citerne pour extraire le corps. Certes, il faudra attendre le 21 juin suivant et les résultats de l'autopsie pour en apprendre davantage mais le triste sort d'Elisa Lam ne fait désormais plus aucun doute.

Le mot du légiste 

Le fait qu'Elisa Lam ait pu parvenir jusqu'au toit ne lasse pourtant pas d'intriguer. Pour se retrouver là, il faut en effet passer par une porte sécurisée que seuls les employés de l'établissement peuvent déverrouiller et une issue de secours dont l'alarme se déclenche quand on la franchit. Lors de sa propre ascension, Santiago Lopez a d'ailleurs dû désactiver l'alarme.

Mais c'est à des questions plus brûlantes encore que les médecins légistes tâchent d'apporter des réponses, en s'échinant quatre mois au-dessus de la dépouille. Dans le rapport d'autopsie que BFMTV.com a consulté, le texte mentionne entre autres, des "coulées de sang dans les tissus sous-cutanés autour de l'orifice de l'anus". Un viol? Non, l'étude relie plutôt ce phénomène à "la décomposition modérée" qui s’est emparée du cadavre. Nous avons pu contacter par mail Jason P. Tovar, le médecin légiste qui a examiné le corps d'Elisa Lam à son arrivée à la morgue et a cosigné le rapport d’autopsie. Il précise à ce propos:

"Quand elle a été découverte dans le réservoir, madame Lam flottait donc le visage vers le haut. Cette position a permis aux fluides présents dans son organisme d’être drainés vers l'arrière du corps. Outre la décomposition, cette coulée est le résultat de ce processus".

Le rapport pose qu’il n’y a pas "de blessure traumatique externe" ni de "trace de blessure interne". La conclusion du texte affirme ensuite: "Les examens toxicologiques n'ont montré aucune intoxication liée à la drogue ou à l'alcool." On trouve pourtant traces de plusieurs substances dans le sang de l'étudiante. "La victime souffrait d'un désordre bipolaire en raison de quoi elle bénéficiait d’un traitement", explique le document qui statue "la victime est morte noyée".

Psychose

L'état psychique de leur fille était pour les parents d’Elisa Lam une raison supplémentaire de se ronger les sangs. Celle-ci était en effet bipolaire et avait déjà connu des accès psychotiques. Cette dimension donne un autre écho à la déclaration faite par la gérante de l'hôtel, Amy Price, à la justice selon laquelle Elisa Lam a été conduite d'une chambre partagée à une chambre individuelle après que ses colocataires de circonstances se sont plaints de son "comportement bizarre".

Bipolarité, conduite erratique, traces de produits dans son sang, tous ces éléments incitent à interroger le rôle potentiel de sa médication dans l’ultime acte de l'existence de la victime. Le médecin légiste Jason P. Tovar nous en dit plus sur la pharmacopée repérable dans le corps d'Elisa Lam: "Les examens toxicologiques ont identifié les médicaments prescrits, à la fois dans le sang et le foie. Bien que le volume de médicaments présents dans son sang ne puisse jamais être connu dans la mesure où l’échantillonnage était limitée en raison de la décomposition, leur présence montre qu'elle suivait son traitement". L'expert, qui remarque qu'en dehors des articles de sa liste de prescription on n'a retrouvé trace d'aucun autre produit dans le cadavre, poursuit cependant:

"Sans quantification des médicaments dans le sang, il est impossible de déterminer si elle suivait sérieusement son régime de prescription. Toutefois, si on s'en tient au nombre de pilules retrouvées dans ses flacons, il semble qu'elle n'en prenait pas assez. Mais, il ne s'agit que des flacons qu'on a découverts. Elle en avait peut-être utilisé d'autres avant de les jeter."

Et des effets secondaires auraient-ils pu avoir altéré la santé mentale de la touriste? "Les médicaments trouvés dans son corps servent à traiter la bipolarité et sont utilisés pour empêcher les sautes d'humeur associées à ce trouble. Mais dans la mesure où ce n'est pas mon domaine d'expertise, je ne connais pas d’effet secondaire potentiel à ces médicaments", nous répond Jason P. Tovar.

Fantasmes 

Six ans après, les zones d'ombres entourant cette affaire restent nombreuses: la raison et la nature de la conduite d'Elisa Lam dans l’ascenseur, la manière dont elle est montée sur les toits puis le motif de sa chute dans la citerne. D'autant que la machine à fantasmes s'est bien évidemment emballée. La spéculation la plus troublante tient au nom du test de dépistage de la tuberculose menée dans le quartier de Skid Row au moment de l’affaire: LAM-ELISA. La coïncidence est frappante mais elle n’en est pas moins une simple coïncidence. LAM est l'acronyme de lipoarabinomannan et ELISA celui de enzyme-linked immunosorbent assay c'est-à-dire en français "dosage d'immunoabsorption par enzyme liée". Et on trouve des références à la méthode LAM-ELISA depuis au moins 2009, soit bien avant les faits.

Mais c'est un air de famille qui a le plus retenu l'attention des internautes obsédés par le dossier. Les similitudes entre la disparition puis la mort d'Elisa Lam et le film horrifique Dark Water, dont l'original japonais est sorti en 2002 et le remake américain en 2005, sont notables, car dans l’œuvre cinématographique également, des pensionnaires, en l’occurrence une mère et sa fille, d’un bâtiment sont gênés par le débit et la couleur noirâtre de l’eau qui circule dans leur appartement, avant de découvrir le corps d’une fille, tombée là accidentellement, dans le réservoir situé sur le toit.

Et le schéma s’est inversé. L'affaire Elisa Lam a notamment inspiré l'écriture de la cinquième saison de la série American Horror Story.

"Spéculations" 

Jason P. Tovar comprend la notoriété de l'affaire mais tient à refroidir les esprits:

"Ni les investigations, ni l'autopsie n'ont identifié de signe d'un crime ou d'un suicide. Au bout du compte, il s'agit seulement de l'histoire tragique d'une mort accidentelle. Et il faut prendre les spéculations autour de cette affaire justement pour ce qu'elles sont: des spéculations."

La victime, elle, repose loin de sa légende sans doute impénétrable à jamais, veillée par la mémoire familiale. L'Hôtel Cecil a changé de nom depuis plusieurs années, louant dorénavant ses chambres en tant que Stay On Main. Cette maison, qui en avait pourtant vu d'autres, a préféré faire peau neuve cette fois.

voyage au bout du mystère (5/5)

BFMTV.com vous propose cet été de revivre d'authentiques voyages dans l'inconnu et l'inexplicable. Disparitions soudaines, morts défiant toute logique apparente, cadavres refusant de livrer leurs secrets et parfois jusqu'à leur nom, les faits-divers regorgent d'histoires restées sans réponse. Nous avons sélectionné cinq de ces drames, parmi les plus troublants. Voici le cinquième épisode de notre série.

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Robin Verner