Justice: les repentis mieux protégés que les témoins en France

La protection des témoins: cette expression renvoie dans l'imaginaire collectif aux thrillers américains, lorsqu'une personne amenée à témoigner dans un dossier sensible doit changer d'identité et déménager avec sa famille. Si ce dispositif est une réalité outre-Atlantique, il n'existe toujours pas en France. Or, ce manque a été mis en lumière jeudi par la détresse d'une jeune femme, rencontrée par RMC. Sonia (*) est celle qui a permis aux enquêteurs de localiser le terroriste Abdelhamid Abaaoud à Saint-Denis, quatre jours après les attaques de Paris. Indemnisée financièrement, la jeune femme se sent pourtant menacée depuis, et oubliée des autorités.
"On est dans un vide juridique", confirme une source policière, jointe par BFMTV.com. "Elle ne rentre pas dans le cadre législatif prévu pour les repentis. Les autorités ne peuvent pas lui donner une nouvelle identité et de nouveaux papiers. D'ailleurs, dans la police, lorsque nos collègues se sentent menacés, on provoque une mutation, après une enquête interne qui confirme l'existence du danger. Mais il n'y a pas non plus de statut particulier pour eux. Alors que pour les repentis, si..."
Qui sont les repentis?
Les repentis sont un statut très encadré par la loi, et très récent. Le décret d'application de ce dispositif, créé en 2004 dans la loi Perben II, n'est paru que dix ans plus tard, en 2014. "Il a été mis en place par rapport aux affaires corses et marseillaises, où l'omerta régnait, et où les seules infos ne pouvaient que venir de l'intérieur", poursuit le policier.
Ainsi, d'après l'article 132-78 du Code de procédure pénale, "la personne qui a tenté de commettre un crime ou un délit est exempte de peine si, ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, elle a permis d'éviter la réalisation de l'infraction et, le cas échéant, d'identifier les autres auteurs ou complices."
Sur décision de la commission nationale de protection et de réinsertion, le repenti peut alors se voir attribuer une nouvelle identité, un nouveau logement aux frais de l'Etat, voire une protection policière. Si aucun chiffre officiel n'a été publié, le statut de repenti n'a été accordé qu'à très peu de reprises depuis 2014, selon nos informations.
Or, dans le cas présent, Sonia n'a commis aucune infraction. "Elle est le bon citoyen, et pourtant, elle est moins protégée qu'un repenti", s'agace-t-on.
Le témoignage sous X, insuffisant dans certains cas
Sur le plan juridique, un dispositif existe néanmoins pour protéger les témoins comme Sonia: dans leur déposition, ils peuvent déclarer comme domicile l'adresse du commissariat, ou témoigner sous X. Dans ce cas, le nom de la personne n'apparaît pas dans le dossier de la procédure, auquel peuvent accéder les mis en examen grâce à leurs avocats. Lors du procès, elle peut témoigner par vidéo interposée, avec une déformation de la voix.
"Mais il n'y a pas de risque zéro, puisque si la personne mise en examen conteste cet anonymat, dans l'exercice des droits de la défense, l'identité de ce témoin peut être révélée", indique à BFMTV.com Béatrice Brugère, ancienne juge antiterroriste, vice-procureur au TGI de Paris, et présidente de FO Magistrats. Ce recours n'est toutefois possible que si le témoin en question accepte la levée de son anonymat, pour que son audition continue à figurer au dossier.
Autre faiblesse de ce dispositif: "Il ne prévoit aucune protection personnelle, comme c'est le cas pour les repentis", insiste la magistrate.
Mais la situation pourrait évoluer prochainement: ce statut devrait être créé dans le projet de loi de réforme de la procédure pénale, qui était justement présenté ce mercredi en conseil des ministres. Affaire à suivre.
(*) prénom modifié