
Clement MAHOUDEAU © 2019 AFP
RÉCIT. Mort d’Émile: des gardes à vue des proches aux révélations du procureur, les 48h où l’affaire a pris un tournant criminel
Le soleil est levé depuis quelques minutes ce matin du mardi 25 mars. La journée s'annonce ensoleillée à La Bouilladisse, commune tranquille d'un peu plus de 6.000 âmes située à une trentaine de kilomètres de Marseille. Un village des Bouches-du-Rhône au charme provençal avec pour décor la montagne de Regagnas, l'attraction des cyclistes et randonneurs de la région.
Il est 6h30 quand des gendarmes passent le portail métallique de ce mas aux crépis ocre et volets verts. Ils s'apprêtent à arrêter Philippe et Anne Vedovini, les grands-parents maternels du petit Émile. L'enfant de 2 ans et demi a disparu en juillet 2023 au Haut-Vernet (Alpes-de-Haute-Provence), un hameau à 170 km de là. Son crâne a été retrouvé huit mois plus tard sur un chemin de cette même commune.
Philippe et Anne Vedovini sont placés en garde à vue. Tout comme deux de leurs dix enfants. Il s'agit d'un oncle et d'une tante du petit garçon, tous les deux majeurs. Le motif? Homicide volontaire et recel de cadavre. Ce sont les premières interpellations depuis la disparition de l'enfant. Un rebondissement spectaculaire et un brusque virage qui recentre l'enquête sur le premier cercle familial du garçonnet.
Des perquisitions sont menées à La Bouilladisse. La voiture du grand-père, une Hyundai bleu marine, ainsi qu'un van pour le transport des chevaux, recouvert d'un film plastique transparent, sont saisis.
"On retient notre souffle"
Ces interpellations étaient "programmées", assure le procureur de la République d'Aix-en-Provence. Elles s'inscrivent "dans une phase de vérifications et de confrontations des éléments et informations recueillis lors des investigations réalisées ces derniers mois". Car pour les enquêteurs, cela ne fait aucun doute: Émile n'a pas pu disparaître seul.
Au Haut-Vernet, c'est un coup de tonnerre. "Quatre membres de la famille qui sont suspectés, c'est quand même bouleversant", s'inquiète un habitant auprès de BFMTV. "Je sais depuis très longtemps que la vérité sera très dure à entendre", présage un autre sur BFM DICI.
"La vérité nous fera très mal."

Certains redoutent en effet un scénario auquel ils ne veulent pas croire depuis le début de l'affaire. C'est le cas d'une autre résidente du hameau. Elle confie sa "peur" à BFM DICI.
"La peur de découvrir une vérité qui peut-être est pire que celle que l'on avait imaginée."
Ambiance tout aussi pesante à La Bouilladisse. Certains habitants décrivent une famille repliée sur elle-même depuis le drame et murée dans le silence. "Depuis deux ans, ils sont tendus", témoigne auprès de Libération Alain, un voisin des grands-parents. Il décrit "des gens qui vivent dans leur coin, avec l'école à la maison".
"La vérité" attendue sur le drame
Mais au soir des obsèques du garçonnet en février dernier, ils diffusent un communiqué. "Le temps du silence doit laisser place à celui de la vérité. Nous ne pouvons plus vivre sans réponse." Un message qui contraste avec la gravité des motifs de placement en garde à vue.
Mardi, leurs auditions se succèdent et s'enchaînent. "Être placé en garde à vue, ça ne veut rien dire", modère l'avocate de Philippe Vedovini. "Ma cliente n'attend rien de plus que la vérité sur ce drame", assure la défense de la grand-mère.
Ces gardes à vue ont-elles quelque chose à voir avec cette imposante jardinière saisie à proximité de la chapelle du Haut-Vernet le 13 mars dernier? La section de recherches de Marseille a passé plusieurs heures dans le hameau. Selon plusieurs sources concordantes, l'analyse n'a toutefois pas été déterminante dans le déclenchement des gardes à vue. Le procureur confirmera que la jardinière "ne comportait aucun élément de nature à faire progresser les investigations".

Mais alors, la famille et les grands-parents sont-ils d'une manière ou d'une autre impliqués dans la mort d'Émile?
Car le jour de sa disparition, Émile était sous la surveillance de son grand-père. Il était arrivé la veille dans la résidence secondaire de ses grands-parents pour passer des vacances au Haut-Vernet avec d'autres membres de sa famille. Ce samedi 8 juillet 2023, il est 17 heures, le petit garçon vient de se réveiller d'une longue sieste et sort de la maison. Son grand-père est dehors, en train de ranger le coffre de sa voiture - du matériel pour construire un enclos pour ses chevaux.
Vers 17h15, le patriarche se rend compte que l'enfant a disparu et se met à le chercher. Émile est aperçu pour la dernière fois par deux voisins, seul dans une rue descendante du Haut-Vernet, puis se volatilise. Le grand-père signale sa disparition à 18 heures.
"Il gueule sur tout le monde"
Le profil de cet homme - décrit comme franc, rigoureux et droit par certains, mais aussi autoritaire, sanguin et colérique par d'autres - questionne à nouveau à l'annonce de son placement en garde à vue. Car la personnalité de ce kinésithérapeute et ostéopathe de 59 ans intrigue.
"Il gueule sur tout le monde", décrit le cousin d'un agriculteur avec qui il a eu une altercation le matin même de la disparition d'Émile - un échange houleux pour une histoire de travaux. "Il a hurlé de bon matin sur mon cousin et m'a même réveillé", raconte-t-il à BFM DICI en octobre 2023. "Ce n'est pas la première fois."
Et le passé de Philippe Vedovini refait à nouveau surface. Car ce catholique traditionaliste a été visé par des accusations de violences lorsqu'il était plus jeune et encadrait les pensionnaires de l'institut catholique de Riaumont (Pas-de-Calais), institut au cœur d'un scandale de maltraitance et de violences sexuelles, comme le révèle Le Canard enchaîné.
Quand il est entendu à ce sujet en 2018, il reconnaît avoir, à l'époque, "parfois donné des gifles, mais ce n'était pas souvent".
"Les coups de pied, oui, j'en ai mis au derrière (...). Les coups de poing, j'en ai mis quelques fois, mais par exemple au niveau des épaules."
Dans une rare interview accordée à Famille chrétienne en septembre 2023, il se défend de cette image d'homme brutal. "Forcément je passe pour un dominateur qui terrorise tout le monde. Tout cela est faux mais je m'en moque."
"Mais alors, je vais où?"
En parallèle des gardes à vue, de nombreux témoins sont auditionnés. Et à l'issue des premières 24 heures, les quatre gardes à vue sont prolongées. "Monsieur Vedovini a répondu aux questions des enquêteurs, il collabore, il n'y a pas de problème particulier", affirme son avocate.
"Il est évident que pour une grand-mère qui a perdu son petit-fils dans des circonstances aussi dramatiques, être entendue sur cette affaire est forcément une épreuve", poursuit la défense d'Anne Vedovini.
Que s'est-il passé ce 8 juillet 2023? Émile s'est-il perdu? A-t-il été victime d'un accident? Une personne est-elle directement responsable de sa mort?
Il est un peu plus de 4h30 du matin ce jeudi 27 mars quand le directeur d'enquête, à la tête de la cellule Émile, annonce à Philippe Vedovini que sa garde à vue est levée. Il semble perdu. "Mais alors, je vais où?" demande-t-il, déboussolé après quarante-deux heures de garde-à-vue et dix-sept heures d'audition. Un silence. "Chez vous maintenant", lui répond son avocate.
Les grands-parents, l'oncle et la tante de l'enfant sont libérés. Sans qu'aucune charge ne soit retenue contre eux. Après des heures "tendues et éprouvantes", comme les décrivent leurs avocats, Philippe et Anne Vedovini rentrent dans leur mas de la Bouilladisse, rejoints par leur famille, y compris les parents d'Émile.
"Le doute persiste"
À la Bouilladisse, l'issue de ces deux jours où l'on a cru entrevoir le dénouement de l'affaire s'éloigne. "Finalement, on n'est pas plus avancé", témoigne une habitante pour BFMTV. "On pensait qu'on allait avoir une réponse" mais "le doute persiste."
Malgré tout pour les enquêteurs, l'intervention d'un tiers dans la disparition de l'enfant reste "probable", annonce le procureur de la République après la levée des gardes à vue. D'autant que le crâne d'Émile présente les traces d'un "traumatisme facial violent". Pour la première fois, l'éventuelle cause de la mort de l'enfant est évoquée.

Ce qui est certain, c'est qu'Émile ne s'est pas perdu. Impossible. Ses ossements ont été déplacés peu de temps après leur découverte. Autre révélation glaçante: son corps n'a pas été enseveli et il ne s'est pas décomposé dans les vêtements qui ont été retrouvés sur ce sentier de randonnée.
Faut-il rappeler que son corps a été retrouvé à près de 2 km du hameau, soit vingt-cinq minutes de marche pour un adulte dans une zone escarpée et isolée. Comment un enfant de 2 ans et demi y serait parvenu seul?
Celui ou celle qui a déplacé le corps d'Émile a donc voulu faire croire que l'enfant s'était perdu. Ce qui a d'ailleurs été un temps une des hypothèses des enquêteurs. Mais alors, qui a causé sa mort? Qui, dans ce hameau où tout le monde se connaît, a caché son corps? Et qui l'a transporté jusqu'à ce chemin?
Malgré les quelque 287 auditions de témoins depuis le début de l'enquête il y a vingt mois, les 285 hectares ratissés et les 27 véhicules analysés, on ne sait toujours pas ce qui est arrivé à Émile. Le procureur a toutefois précisé que la piste intra-familiale n'était toujours pas refermée, sans qu'aucun suspect ne soit toutefois à ce stade identifié.