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Procès

"J'avais besoin de comprendre": au procès de Frédéric Péchier, le docteur à l'origine de l'affaire témoigne

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Ce mercredi 17 septembre, le Dr. Balon est revenu sur l'arrêt cardiaque de sa patiente, et l'analyse des poches de perfusion devant la cour d'assises du Doubs. Une réaction qui marquera le début de l'affaire Frédéric Péchier.

11 janvier 2017, parking de la clinique Saint-Vincent de Besançon. Anne-Sophie Balon peine à reprendre ses esprits. Le cœur de sa patiente, Sandra Simard, 36 ans, vient subitement de s’arrêter sur la table opératoire. Impensable pour l’anesthésiste-réanimatrice au regard du dossier de sa patiente: elle est en bonne santé et ne présente aucun facteur de comorbidité. Anne-Sophie Balon décide du transfert de celle-ci vers le CHU après une longue réanimation.

Plus tard dans la journée, "je prends ma petite voiture pour aller la voir, car, la dernière fois que je la vois, elle est sur une planche à masser", explique Anne-Sophie Balon, anesthésiste-réanimateur référent de Sandra Simard, devant la cour d’assises du Doubs où se tient le procès de Frédéric Péchier. L'ancien anesthésiste-réanimateur est accusé de l’empoisonnement de 30 patients, dont 12 mortels. "J’avais besoin de comprendre, de savoir ce qu’il s’était passé. Je ne pouvais pas rester comme ça", poursuit celle qui n’avait jusqu’alors jamais connu d’arrêt cardiaque sur table.

"Tout se passait bien"

Le 11 janvier 2017, Sandra Simard est la première patiente de la journée à passer au bloc opératoire pour une intervention du dos. L’anesthésie est une quasi-banalité au regard de son dossier médical.

"J’étais postée sur deux salles. Mon infirmier anesthésiste était dans la salle et il a préparé l’anesthésie", relate le Dr. Balon. "Sandra Simard est conduite au bloc pour procéder à l’induction anesthésique." La manipulation se passe sans encombre, et l’opération commence. Le Dr. Balon quitte la salle pour se rendre dans la seconde pièce où elle est affectée.

"Tout se passait bien jusqu’à ce qu’on m’appelle en urgence à 8h56", relate le docteur. Elle ne sait pas encore qu’elle parlera de cet appel huit ans plus tard devant une cour d’assises. "On me dit qu’il faut que je vienne vite en salle."

Anne-Sophie Balon arrive. Un rapide coup d’œil lui permet de faire un premier point de situation : le débit cardiaque est bon. "Il me donne cinq peut-être même dix secondes de répit."

Le tracé se modifie. Dr Balon se tourne vers son infirmier anesthésiste pour comprendre la situation. Le cœur de Sandra Simard s’arrête. "Je commence la réanimation, je la masse", poursuit-elle. "Le temps se fracture, ce n’est plus le même." Anne-Sophie Balon masse encore et toujours Sandra Simard et lui injecte une dose d’adrénaline. "Je demande le cardiologue de garde et personne d’autre car je n’ai pas les loisirs de faire ça."

Un homme entre alors dans la salle: Frédéric Péchier. "Il arrive avant le cardiologue de garde, injecte, ce que je comprends être a posteriori, du gluconate de calcium et quitte la salle." S’en suivent 50 minutes de réanimation avant que soit prise la décision de transférer Sandra Simard au CHU de Besançon.

"C’est usuel qu’on ne s’adresse pas d’abord à vous pour décider d’un acte médical", l’interroge la présidente. "C’est une démarche plutôt étonnante, ce n’est pas habituel", lui répond Anne-Sophie Balon. "Normalement, on discute, on échange des informations capitales."

Est-elle surprise par l’utilisation du gluconate de calcium par Frédéric Péchier? "A ce moment, il y a une part de confraternité. Je suis sur la retenue. Le gluconate, bien sûr que ça m’a choquée." Son timing aussi. "L’administration précoce et le fait qu’il envisage et qu’il pense hyperkaliémie (un excès de potassium, ndlr)." Le gluconate de calcium et son usage par Frédéric Péchier sont au cœur de ce procès fleuve.

Me Randall Schwerdorffer, avocat historique de l’ancien anesthésiste et désormais seul à assurer sa défense, entre en jeu. Il rappelle qu’un autre médecin est venu en renfort sur la réanimation de Sandra Simard sans que ce dernier ne soit appelé. Il relève une différence entre la réponse de Sandra Balon à la cour et celle apportée aux enquêteurs, rappelant qu’elle avait expliqué aux policiers que le Dr. Péchier avait annoncé à haute voix son intention d’injecter du gluconate de calcium.

Récupérer les poches de perfusion

Le 11 janvier 2017, le Dr. Balon "reprend ses esprits" après l’arrêt cardiaque de sa patiente. Elle se rapproche de ses confrères pour revenir sur cet EIG. "On débrief avec les docteurs sur ce qu’il vient de se passer." Le Dr. Balon récupère le tracée du cœur de sa patiente, rédige un rapport circonstancié, et rencontre la famille de Sandra Simard. "On explique ce qu’il s’est passé, on explique qu’on n’a pas compris grand-chose."

Anne-Sophie Balon monte dans sa voiture et se rend au service réanimation du CHU à la rencontre du professeur Pili-Floury. "Je lui dis: 'écoute, je n’ai pas compris'." Elle lui montre les tracés. La réponse tombe: "ça, ça doit te faire penser à une hyperkaliémie", lui répond le professeur.

Elle ne veut pas y croire. "Mon cerveau me dit 'non erreur'", détaille-t-elle à la cour. "Je lui dis non car il n’y a pas de contexte." Les séquestres ont-ils bien été récupérés, lui demande-t-il. "Je lui dis que oui", poursuit le docteur. "Même les poches?" Anne-Sophie Balon ne sait pas. "Il faut les récupérer", lui conseille-t-il.

Le docteur fonce vers sa voiture et appelle une collègue pour que ces poches de perfusion soient récupérées. Deux jours plus tard, elle apprend que les six poches utilisées pour l’opération de Sandra Simard ont été récupérées.

"Je suis la procédure, je les fais analyser. Je passe un coup de fil à un médecin et je lui explique que je voudrais lui envoyer un soluté." Anne-Sophie Balon s’installe en salle de réveil et réalise des prélèvements sur les poches récupérées. Equipée de petites seringues, elle récupère les produits au fond des poches et les transvase dans de petits tubes. Les prélèvements sont envoyés. "Le vendredi 13 se finit", ironise Anne-Sophie Balon.

Trois jours plus tard, les résultats tombent : un taux de potassium 100 fois supérieur à la normale a été identifié dans l’un des prélèvements. Anne-Sophie Balon attribuera à la poche incriminée un numéro: 6. Après une telle découverte, "on est sidéré", confie-t-elle à la barre.

Elle contacte la directrice de la clinique Saint-Vincent. Par précaution, toutes les poches sont retirées du bloc. L'information n'est pas diffusée à l'ensemble des équipes. Le Dr. Balon reste très discrète et n'en parle pas à ses confrères. "Je ne l'ai même pas dit au professeur qui m'a demandé de faire les dosages", affirme-t-elle. La police est prévenue. Frédéric Péchier sera placé en garde à vue deux mois plus tard. "J’étais grandement soulagée", confie Anne-Sophie Balon.

"Cette intoxication (au potassium, Ndlr) ne peut pas être accidentelle?", l’interroge l’une des avocates générales. "Non", répond le Dr. Balon. Les questions se poursuivent: "Est-ce le résultat d’un empoisonnement?" Réponse: "oui".

"Grandement soulagée"

Au cours de l’instruction, Frédéric Péchier l’accusera d’avoir pollué la poche a posteriori pour masquer une erreur médicale. "On peut dire tout et son contraire, on peut tout envisager", dit-elle à la cour. "Le professeur Pili-Floury est mon complice du coup vu qu’il me met sur la piste? Ensuite, il y a le personnel de la clinique, qui ne travaille pas pour moi, mais qui rentre dans ce jeu. Et j’ai un tas de complices pour couvrir mon éventuelle erreur, ils sont tous hyper sympas avec moi et me sauvent la mise."

Et de rappeler: "Je suis anesthésiste, je suis assurée. S’il y avait une erreur, je l’aurais assumée. J’ai prêté serment." Longuement réanimée, Sandra Simard passera cinq jours dans le coma et s'en sortira avec de nombreuses séquelles.

Charlotte Lesage