Procédure "Mélanie": comment la parole des enfants victimes ou témoins de violences est recueillie lors d'enquêtes?

Deux enfants qui se tiennent la main en septembre 2021 (illustration) - Fred TANNEAU / AFP
Les enfants peuvent détenir, malgré eux, la clé d'une énigme. Leur parole, elle, peut contribuer à la résolution d'un dossier criminel. Dans l'affaire Jubillar, Louis, l'enfant aîné du couple, a livré aux enquêteurs des informations précieuses sur la nuit de la disparition de sa mère, Delphine Jubillar.
En France, les gendarmes appliquent le protocole NICHD (National institute of child heath and human development) pour recueillir la parole de jeunes victimes ou témoins mineurs. Un protocole plus connu du grand public sous l'appelation: audition "Mélanie", qui tire son nom de la première enfant entendue dans le cadre d'une première expérimentation à la Réunion. Une procédure mise en place dans le cas de l'audition du jeune Louis.
"Beaucoup d'empathie"
"Son objectif est de recueillir la parole des enfants victimes en réduisant considérablement les questions suggestives", explique le major Dayane à BFMTV. Pour y parvenir, les gendarmes suivent les étapes de ce protocole utilisé dans plusieurs autres pays du monde.
Le protocole Mélanie se veut progressif. Les étapes qui le composent ont pour objectif de créer un lien de confiance entre l'enfant et le gendarme - qui a suivi une formation sur la base du volontariat.
"Notre démarche est empreinte de beaucoup d'empathie. Notre rôle consiste aussi à rassurer et à réconforter l'enfant", souligne le major Dayane. "Lors de l’entretien, nous évoquons les événements dont il a été victime, et tout au long de l’échange, l’enquêteur adopte une attitude bienveillante et attentive."
L'enfant est d'abord mis en confiance lors de la phase dite d'accueil. "Elle est dans la majorité des situations le moment où l’on va rencontrer le mineur pour la première fois", détaille le major Dayane. "L'accueil et la mise en confiance conditionnent la qualité de l'échange qui suivra."
"On ne se présente pas par notre grade, mais par nos prénoms pour le mettre en confiance", poursuit le formateur. "On lui explique notre fonction, que l'on est gendarme et que notre rôle est de protéger les enfants."
Les présentations passées, les gendarmes font découvrir la salle dans laquelle l'enfant sera entendu. Ces pièces se veulent chaleureuses, des jouets peuvent s'y trouver. Une autre partie plus neutre, servira au lieu de l'audition. Elle est équipée d'une caméra et d'un micro, l'échange étant filmé et enregistré.

Une seconde salle, attenante à la première, accueille le matériel technique, mais également un autre enquêteur qui suivra aussi l'entretien. Ces deux salles sont séparées par une vitre. En France, en 2024, la gendarmerie disposait de 342 salles "Mélanie". Ces espaces peuvent également être implantés dans un environnement hospitalier qui permet une prise en charge transversale de l'enfant.
"Relation de travail"
Une fois ce nouvel environnement apprivoisé, l'enfant est invité à s'installer dans la salle. La phase pré-déclarative débute alors. "On s'assure de son état avant de débuter l'entretien", détaille le major Dayane. Les faits pour lesquels l'enfant doit être entendu ne sont pas immédiatement abordés.
"Le développement de la relation de travail est l'une des étapes de cette phase et la mise en confiance de l'enfant se poursuivra tout au long de l'entretien", poursuit le gendarme. Pour apprendre à mieux le connaître, le gendarme lui pose différentes questions.
"On lui demande ce qu'il aime faire et ensuite, on lui demande de nous parler de quelque chose d'agréable qui lui est arrivé. On aborde aussi quelque chose de désagréable qui pourrait lui être arrivé sur un lieu différent du lieu de commission des faits."
Une "présentation des règles de base" est également effectuée par le gendarme. Les règles suivantes sont expliquées à l'enfant: "je ne comprends pas, je ne sais pas, je corrige l’enquêteur, je dis la vérité", détaille le gendarme.
"S'il ne comprend pas certaines choses, le mineur doit le signaler. On lui dit qu'il ne doit pas hésiter à nous interrompre si on fait une erreur."
Après s'être assuré de la bonne compréhension de ces règles par l'enfant, l'enquêteur aborde en douceur la phase déclarative, c'est-à-dire les faits qui justifient sa présence ici, par la phrase suivante: "Maintenant que je te connais un peu, je veux parler de la raison pour laquelle tu es ici aujourd'hui, je t'écoute", détaille le major Dayane.
Les faits sont évoqués à l'aide de questions ouvertes. "On va lui dire: 'décris moi', 'explique moi'... On ne lui suggère pas les choses", affirme le major Dayane. Au cours de cet entretien, le gendarme doit s'assurer du sens des mots choisis par l'enfant.
"C'est la force de ce protocole. On s'appuie sur ses mots, sa conception", explique le gendarme. "Si une enfant parle de 'sa nenette' par exemple, je vais m'assurer de comprendre avec ses mots."
Le but est d'obtenir du mineur auditionné "un récit le plus riche et le plus authentique possible sur l’agression, en utilisant les mots qu’il a prononcés, en s'adaptant à ses capacités et en évitant de l'influencer".
Tout au long de cette phase, le gendarme s'assure de consolider la relation de confiance établie avec l'enfant. "Cela implique de lui apporter un soutien verbal constant, tout en prenant compte de ses éventuelles inhibitions, de sa détresse ou des conflits qu'il pourrait exprimer", expose le gradé.
Les gendarmes disposent également d'outils pour briser l'omerta familial, par exemple, sans culpabiliser l'enfant. Ils invitent par exemple l'enfant à confier ce "secret" qu'un adulte lui a peut-être demandé de conserver précieusement. "Ces outils de communication nous permettent de ne pas le culpabiliser, on le rassure", appuie le major Dayane.
Attitudes, expressions, ton
Le vocabulaire de l'enfant n'est pas le seul à retenir l'attention des gendarmes. "On tient aussi compte aussi bien ses propos que ses attitudes, ses expressions et son ton, son débit de parole", confirme le major Dayane. "On prête une très grande attention au volet émotionnel. On tient compte de son attitude."
Une fois ces informations récupérées s'ouvre le dernier volet du protocole Mélanie: la phase de clôture. "C'est le moment où on va ramener l'enfant à la réalité", schématise le gendarme. "On va évoquer avec lui quelque chose de plus plaisant, un sujet neutre." L'enfant est remercié pour sa précieuse aide.
"On lui demande s'il a autre chose à nous dire ou s'il a des questions à nous poser", poursuit le gradé. "On va également lui donner la possibilité de pouvoir nous contacter."
Il n'existe pas de durée idéale d'entretien. "On s'applique à tenir compte du temps de l'enfant. On s'adapte à sa capacité de concentration et on fait en sorte de recueillir le maximum d'éléments dans un temps efficace et en fonction de sa fatigue." S'il s'applique principalement aux mineurs, le protocole "Mélanie" peut également être utilisé pour l'audition d'adultes avec un retard cognitif.