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Police-Justice

"Irresponsable et sans impact": pourquoi l'idée de peines minimales contre les casseurs après le sacre du PSG divise

Aurore Bergé, Bruno Retailleau, Gérald Darmanin et François Bayrou à l'Assemblée nationale le 18 mars 2025

Aurore Bergé, Bruno Retailleau, Gérald Darmanin et François Bayrou à l'Assemblée nationale le 18 mars 2025 - Thomas SAMSON / AFP

Après les violences et débordements en marge de la victoire du PSG en Ligue des champions ce samedi 31 mai, le ministre de la Justice a dénoncé des peines trop légères à l'encontre des premiers casseurs jugés lundi. Il dit vouloir durcir la loi en instaurant notamment une condamnation minimum.

Les casseurs écoperont-il forcément de peines de prison ferme à l'avenir? Si cette idée est loin d'être actée, c'est l'une des propositions lancées par Gérald Darmanin sur les réseaux sociaux après les débordements en marge de la victoire du PSG, samedi 31 mai.

À la date de ce mercredi 4 juin, 24 personnes ont été déférées pour être jugées en comparution immédiate. Huit ont été condamnés à des peines de prison allant de cinq mois avec sursis à 15 mois ferme avec mandat de dépôt. Le tribunal en a relaxé deux autres, estimant que "les éléments n'étaient pas suffisants pour établir les faits de violences" qui leur étaient reprochés. Les procédures ont été classées sans suite pour 91 majeurs et 2 mineurs.

Lundi, à l'issue d'une première journée de comparutions immédiates, les auteurs de dégradations avaient tous écopé de peines avec sursis. Des condamnations jugées trop légères par le ministre de la Justice mardi, au vu de la gravité des faits.

"Une partie des condamnations pour violences, notamment commises à l'encontre forces de l'ordre et pour destructions de biens, ne sont plus à la hauteur de la violence que connaît notre pays", écrit le Garde des Sceaux sur le réseau social X.

Le ministre estime qu'il "faut faire évoluer radicalement la loi" et durcir le traitement que la justice réserve aux casseurs. Pour ce faire, il avance trois mesures: la suppression des aménagements de peines obligatoires, la suppression du sursis et la mise en place d'une condamnation minimum systématique.

Avant même de faire l'objet de propositions de lois, ces "solutions" sont loin de convaincre dans les rangs des magistrats, directement concernés. "Ce n'est pas parce qu'on change l'échelle des peines que l'on va résoudre le problème", commente Alexandra Vaillant, secrétaire générale de l'Union Syndicale des Magistrats (USM).

"Tant qu'on dissocie la réflexion sur les peines de la réflexion sur les moyens de la justice, on n'arrivera à rien", ajoute-t-elle.

"Le sursis est une véritable peine"

Même constat chez Manon Lefebvre, secrétaire nationale au Syndicat de la Magistrature. Elle rappelle que le ministre de la Justice avait déjà annoncé, dans une lettre adressée aux magistrats début mai, sa volonté de supprimer le sursis et d'instaurer des peines minimales. "Il se sert des événements du week-end pour ressortir ces propositions. Il veut un durcissement total, de l'immédiateté", résume-t-elle.

La magistrate souligne pourtant l'importance de maintenir le sursis dans le régime des peines, là où le Garde des Sceaux estime que les condamnés ne comprennent pas la valeur de cette condamnation. "Il faut juste bien leur expliquer", indique Manon Lefebvre.

À titre d'exemple, une personne condamnée à un an de prison avec sursis n'ira pas en détention. Mais cette notion de "sursis" fonctionne comme un avertissement.

"Le sursis est une véritable peine. En cas de nouvelle condamnation, il peut être révoqué et devenir une peine d'emprisonnement. Et si la personne condamnée à une peine de sursis ne commet pas de nouvelle infraction, c'est que l'avertissement aura fonctionné", conclut-elle.

Pour Manon Lefebvre comme pour Alexandra Vaillant, de l'USM, ce sursis est important, notamment pour les primo-délinquants. "Qu'est-ce qu'on va faire des personnes condamnées pour la première fois, dont le casier judiciaire était vierge jusqu'ici? Où va-t-on les mettre?", interroge cette dernière, rappelant les chiffres de la surpopulation carcérale. Au 1er mai, la surpopulation carcérale atteignait 133,7%.

Les peines planchers, "faible effet dissuasif"

Dans la même lignée, le retour des peines minimales que souhaite Gérald Darmanin ne permettrait pas d'endiguer la récidive, indiquent les deux magistrates.

Mesure emblématique du mandat de Nicolas Sarkozy, mises en place entre 2007 et 2014, les "peines planchers" à l'encontre des délinquants récidivistes n'avaient eu qu'un "faible effet dissuasif", comme le soulignait une étude en 2024. Selon ces travaux, cette menace des "peines planchers" n'a pas réellement empêché les primo-délinquants de repasser à l'acte.

"Elles avaient créé le retour d'une incarcération massive. Revenir à des peines planchers aujourd'hui, alors qu'on est arrivé à un stade jamais atteint en matière de surpopulation carcérale, c'est irresponsable et sans impact démontré sur la récidive", commente Manon Lefebvre.

Pour régler le problème de la surpopulation, le ministre de la Justice propose de créer de nouvelles places en détention. Inutile, d'après les syndicats de magistrats. "Toutes les données statistiques démontrent que cette solution est un échec et que le nombre de places supplémentaires ne fait qu'accroître le nombre de personnes incarcérées", écrit le Syndicat de la Magistrature dans une lettre ouverte à Gérald Darmanin.

D'après Alexandra Vaillant, mettre l'accent sur la réinsertion auprès de détenus nécessitent un accompagnement au long cours, un travail sur le projet professionnel notamment. Des moyens importants, tant en termes de places qu'en termes de personnel, que la justice est aujourd'hui incapable de proposer. "Quand on a un tel taux de surpopulation, on prépare mal la sortie des détenus. Il y a donc un risque potentiel de récidive", détaille-t-elle.

Personnaliser la peine, "un principe constitutionnel"

Surtout, insistent les magistrates, cette proposition d'instaurer des peines minimales contrevient à un principe fondamental en matière de justice: personnaliser la peine selon le profil du prévenu, son parcours et les faits qui lui sont reprochés.

"Chaque dossier est différent, chaque personne a un passé pénal différent. En fonction des faits et de la personnalité, on décide quelle peine est la plus adaptée", lance Alexandra Vaillant.

"C'est un principe constitutionnel: il faut que le juge ait suffisamment de pouvoir décisionnel. Si vous ne le lui donnez pas, remplacez-le par une IA ou un robot, et les peines seront automatiquement prononcées", insiste-t-elle.

Et parce que la Constitution protège cette individualisation des peines, la proposition du Garde des Sceaux risque d'être retoquée par le Conseil constitutionnel.

Bayrou et Retailleau favorables aux peines minimales

Loin d'avoir l'approbation du personnel judiciaire, les annonces de Gérald Darmanin ont cependant convaincu plusieurs autres membres du gouvernement. Questionné au sujet des peines minimales à l'Assemblée nationale, François Bayrou s'est dit favorable à cette mesure.

"Là où dans la loi sont inscrites des peines maximales, qu'on puisse inscrire aussi des peines minimales", a lancé le Premier ministre mardi 3 juin.

Sur RTL, ce mercredi matin, le ministre de l'Intérieur a pour sa part encouragé une véritable "révolution pénale" à l'encontre des auteurs d'incivilités, à l'image des dégradations commises après la victoire du PSG. "Je ne me contente pas de la réponse sécuritaire (...). Ce n'est pas là que ça se passe désormais, il faut des réponses judiciaires et technologiques, il faudrait nous permettre pour mieux déceler les visages d'utiliser la reconnaissance faciale, de façon très encadrée", exprime-t-il au micro de nos confrères.

Dans le reste du paysage politique, les annonces n'ont pas provoqué les même réactions. Olivier Faure (PS) a déclaré sur X que, selon lui, les propositions du ministre "ne résolvent rien": "La peine doit être un moyen de faire en sorte que ces jeunes prennent conscience de leur acte et ne le reproduisent pas." Manuel Bompard (LFI) a pour sa part pointé du doigt des "propositions contre-productives et démagogiques" sur TF1. Quant à Jean-Philippe Tanguy (RN), il a accusé Gérald Darmanin de "venir piller le programme du RN" sur BFMTV ce mercredi.

Invité sur TF1 mardi, Gérald Darmanin a réaffirmé sa volonté de voir ces propositions mises en place, souhaitant qu'un projet ou une proposition de loi voie le jour dès la rentrée. Dans une interview sur France Inter en 2021, il affichait pourtant son scepticisme face aux peines planchers instaurées sous Nicolas Sarkozy, soulignant que les juges pouvaient y déroger et que "seulement 30% de ces peines étaient appliquées". "Ça ne marche pas", avait-il déclaré. Force est de constater que l'avis du ministre sur la question a évolué.

Elisa Fernandez