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Police-Justice

Etat d'urgence: le Conseil constitutionnel tranche sur le contrôle du juge judiciaire

Une camionnette de police devant le Conseil constitutionnel, le 23 décembre 2015 à Paris.

Une camionnette de police devant le Conseil constitutionnel, le 23 décembre 2015 à Paris. - Kenzo Tribouillard - AFP

Saisis par la Ligue des droits de l'Homme, les "Sages" se prononcent ce vendredi sur deux dispositions de l'état d'urgence décrété après les attentat de novembre: les perquisitions administratives et les interdictions de réunion.

Perquisitions administratives, interdictions de réunion: le Conseil constitutionnel dira vendredi si ces deux dispositions de l'état d'urgence, décrété après les attentats du 13 novembre, sont conformes à la Constitution ou s'il faut instaurer un contrôle du juge judiciaire.

Le Conseil Constitutionnel est saisi de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) déposées par la Ligue des droits de l'Homme (LDH). Elles visent les articles sur les interdictions de réunion et les perquisitions, notamment de nuit, de la loi de l'état d'urgence de 1955, modifiée dans la foulée des attentats du 13 novembre.

Selon la LDH, ces dispositions portent une atteinte grave et manifestement illégale à certaines libertés fondamentale garanties par la Constitution comme "le droit d'expression collective des idées et opinions", le droit "au respect de la vie privée" et à la règle, fixée par l'article 66, selon laquelle l'autorité judiciaire est "gardienne de la liberté individuelle".

"Vous êtes à la croisée des chemins"

"Vous êtes à la croisée des chemins. La disparition du juge d'instruction est en train de s'opérer sous nos yeux sous le masque de la lutte antiterroriste", a lancé aux "Sages" l'avocat de la LDH Patrice Spinosi à l'audience du 11 février.

"Et la décision que vous rendrez engagera la procédure pénale de demain. Si vous validez la constitutionnalité des perquisitions administratives dans le cadre de l'état d'urgence, il n'existera plus aucun frein à l'introduction d'une telle mesure dans notre droit d'une façon pérenne", a-t-il prévenu.

L'avocat se référait à la réforme en cours de la procédure pénale qui renforce les pouvoirs du juge administratif au détriment du juge judiciaire.

A l'audience, le représentant du gouvernement Thierry-Xavier Girardot s'est prononcé pour le rejet des deux QPC, estimant que les mesures visées n'étaient en rien contraires à la Constitution.
"L'inviolabilité du domicile n'est pas une composante de la liberté individuelle dont l'autorité judiciaire assure le respect", a-t-il fait valoir en expliquant que la prérogative de ce juge se limite au respect "du principe selon lequel nul ne peut être arbitrairement détenu".

Les assignations à résidence déjà validées

En décembre, les "Sages" avaient déjà validé les dispositions de la loi sur l'état d'urgence consacrées aux assignations à résidence alors que les plaignants estimaient qu'elles contrevenaient à la liberté constitutionnelle d'aller et venir.

La décision du Conseil constitutionnel, l'une des dernières rendues sous la présidence de Jean-Louis Debré qui quittera ses fonctions début mars, est très attendue par le gouvernement qui entend inscrire l'état d'urgence dans la Constitution. Ce régime d'exception instauré en novembre après les attentats a été prolongé mardi jusqu'à fin mai par le parlement.

"Une fois la perquisition opérée, le mal est fait"

Elle sera également scrutée par les magistrats et les avocats qui ont dénoncé un recul du rôle du juge judiciaire vis-à-vis du juge administratif. "Pourquoi l'autorité judiciaire est-elle ainsi évitée?", s'est récemment interrogé le président de la Cour de cassation Bertrand Louvel avant de réclamer avec la représentante des présidents des cours d'appel, Dominique Lottin, un grand débat sur la place du juge judiciaire dans le droit français.

"Le juge judiciaire et le juge administratif n'ont pas la même mission, le premier est un juge de l'autorisation qui intervient en amont et le second un juge du contrôle qui agit a posteriori", a rappelé devant les "Sages" Me Spinosi. "Mais, une fois la perquisition opérée, le mal est fait, on ne peut plus revenir en arrière", a-t-il souligné.

"La question de la présence du juge judiciaire est l'enjeu principal des QPC", a souligné auprès de l'AFP l'avocat qui a également développé à l'audience d'autres arguments d'inconstitutionnalité. Selon lui, "il n'existe dans la loi aucun régime particulier relatif aux perquisitions des données informatiques, leur conservation et leur destruction".

"Or, dit-il, c'est précisément sur ce point que le Conseil constitutionnel a censuré en juillet les mesures de surveillance internationales de la loi renseignement". "S'agissant enfin des interdictions de réunion, on est face à un encadrement quasi inexistant de la part du législateur", estime l'avocat.

V.R. avec AFP