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De la Suisse à Singapour, le système Cahuzac devant les juges

Jérôme Cahuzac, le 23 juillet 2013.

Jérôme Cahuzac, le 23 juillet 2013. - Martin Bureau - AFP

L'ex-ministre du Budget doit s'expliquer ce lundi devant ses juges sur le compte caché qu'il possédait à l'étranger, d'abord en Suisse puis à Singapour.

Son mensonge retentissant avait été le premier accroc à la "République exemplaire". Trois ans après avoir ébranlé le début du quinquennat Hollande avec son compte caché à l'étranger, l'ancien ministre du Budget Jérôme Cahuzac, 63 ans, doit répondre lundi après-midi à ses juges, son procès venant tout juste de s'ouvrir.

L'ancien champion de l'orthodoxie budgétaire doit comparaître jusqu'au 18 février devant le tribunal correctionnel de Paris pour fraude fiscale et blanchiment, ainsi que pour avoir "minoré" sa déclaration de patrimoine en entrant au gouvernement en 2012.

A ses côtés, son épouse - dont il est séparé - Patricia Ménard et leurs conseillers: le banquier François Reyl et l'avocat Philippe Houman. La très discrète banque genevoise Reyl comparaît aussi, comme personne morale.

Une fraude "sophistiquée"

L'affaire débute en décembre 2012, quand Mediapart révèle que Jérôme Cahuzac a possédé un compte caché, d'abord en Suisse puis à Singapour. 117 jours plus tard, en mars 2013, le locataire de Bercy est acculé à la démission. L'enquête judiciaire, ouverte en janvier 2013, confirmera les informations du site fondé par Edwy Plenel. Les juges d'instruction Roger Le Loire et Renaud van Ruymbeke démontent ensuite les mécanismes d'une fraude fiscale décrite comme "obstinée", "sophistiquée" et "familiale".

A l'origine, Jérôme Cahuzac, chirurgien de formation, et sa femme Patricia Ménard, ont tenu ensemble une florissante clinique spécialisée dans les implants capillaires avant de se séparer. 

Entre 1992 et 2013, ils se livrent à des manoeuvres dont le récit, tel qu'il est fait par les enquêteurs, oscille entre roman de gare et manuel de délinquance financière internationale. Il s'agissait pour le couple de placer l'argent qui coulait à flot, de la clinique, mais aussi des activités de conseil de Jérôme Cahuzac auprès de laboratoires pharmaceutiques comme Pfizer.

Ouverture du compte en Suisse en 1992

En 1992, un premier compte est ouvert à l'UBS en Suisse par un "ami" rencontré "à l'occasion de rencontres sportives", l'avocat et figure de l'extrême droite Philippe Péninque. Puis un autre l'année suivante au nom de Cahuzac lui-même.

En 1998, tous les avoirs sont transférés auprès de la banque Reyl, à Genève. Devant les juges, Jérôme Cahuzac avait décrit son mode de fonctionnement avec Reyl. Lorsqu'il souhaitait effectuer des virements, il appelait la banque, où il n'est venu que trois fois: "J'appelais, je m'identifiais comme Birdie", un terme de golf. Il a utilisé ce nom de code pour se faire livrer 10.000 euros dans la rue, à Paris, deux fois, en 2010 et 2011, par un employé de l'établissement.

L'ancien ministre a également détaillé aux enquêteurs comment il a pu créditer son compte:

"Quelqu'un se présentait dans le pays où je me trouvais, auquel je remettais les espèces. J'imagine que mon compte était crédité, sans pour autant que je vérifie, car j'avais confiance."

Avoirs transférés à Singapour en 2009

En 2009, la Suisse devenant trop exposée, les quelque 600.000 euros qu'y détient Jérôme Cahuzac prennent la route de Singapour, en faisant un détour par une société-écran enregistrée aux Seychelles et mise en place par un intermédiaire basé à Dubaï.

Jérôme Cahuzac a expliqué avoir transféré ses fonds à Singapour sur les conseils de Reyl. "J'ai signé ce qu'ils m'ont donné à signer", a-t-il affirmé.

"Nous avons proposé Singapour en réponse à la demande de M. Cahuzac qui demandait une confidentialité accrue et un éloignement de la Suisse", a rétorqué François Reyl devant les juges.

La banque, qui nie toute illégalité de sa part, a expliqué s'être conformée aux lois suisses et notamment au sacro-saint secret bancaire, dont la violation est un délit en Suisse comme à Singapour.

Sa femme ouvre son propre compte en Suisse

Les époux Cahuzac ouvrent aussi ensemble un compte à la Al Bank of Scotland sur l'île de Man en 1997 pour déposer des chèques de leurs patients anglais. Patricia Cahuzac ouvre son propre compte en Suisse en 2007, sur fond de brouille avec son époux.

Jusqu'à la mère de l'ancien ministre, qui n'est pas elle-même mise en cause, mais dont les comptes servent à "blanchir", entre 2003 et 2010, quelque 200.000 euros de chèques établis par des clients de la clinique Cahuzac.

Il s'agissait d'une "gestion familiale", dira plus tard aux enquêteurs Patricia Cahuzac. L'argent a servi à payer des vacances somptuaires en Corse ou des appartements aux enfants à Londres.

Jusqu'à 7 ans de prison et 1M€ d'amende

Pour le journaliste Mathieu Delahousse, auteur d’une enquête sur le sujet, les époux Cahuzac ont vraisemblablement agi de concert.

"Ce qu’ils ont dit tous les deux devant les juges, en disant 'Mon dieu, j’ignorais ce que faisait l’autre'... Ma théorie, et elle est quand même corroborée par les faits c’est qu’à l’époque tous deux ont des comptes dissimulés. Tous deux ont des comptes avec des vases communicants. 'Si il m’arrive malheur tu pourras profiter du mien'", a-t-il détaillé sur BFMTV.

"Un jeu de poker menteur"

"Quand le couple explose, quand le divorce explose, ce qui est à l’origine de beaucoup de choses dans l’affaire, chacun reprend ses billes, fait semblant de ne pas savoir ce qu’a l’autre. Et effectivement il y a un jeu de poker menteur qui est terrifiant parce qu’il se situe dans un conflit familial très fort à la fin, qui est de savoir qui a de l’argent à Singapour, qui a de l’argent en Angleterre."

Depuis, Patricia Cahuzac a revendu les appartements et s'est acquittée d'un redressement de plus de deux millions. L'ancien ministre a lui aussi régularisé sa situation fiscale: fin 2013, le compte de Singapour sera fermé et les plus de 600.000 euros qu'il contenait rapatriés. Reste le marathon judiciaire: il risquent maintenant chacun une peine allant jusqu'à sept ans de prison et un million d'euros d'amende.

V.R. avec AFP