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Police-Justice

"Cold cases": pour Me Seban, "il y a beaucoup plus de meurtres non élucidés qu’on ne veut bien le dire"

L'avocat Didier Seban dans son cabinet parisien, le 17 janvier 2020.

L'avocat Didier Seban dans son cabinet parisien, le 17 janvier 2020. - STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Le procès du tueur en série Jacques Rançon pour le meurtre et le viol d'une jeune femme en 1986 démarre ce mardi à Amiens. Interrogé par BFMTV.com, Me Didier Seban, spécialiste des affaires non-résolues, juge que la France ne va pas assez loin sur ces dossiers complexes.

Le "tueur de la gare de Perpignan", Jacques Rançon, est de retour devant les tribunaux ce mardi, pour le meurtre et le viol d'une jeune femme en 1986, dans la Somme. Son procès est une victoire pour Me Didier Seban, qui se bat depuis des années aux côtés de l'avocate Corinne Herrmann pour le faire juger.

Interrogé par BFMTV.com, l'avocat spécialiste des "cold cases" - il représente notamment la famille d'Estelle Mouzin - estime toutefois que la France ne va pas assez loin pour élucider ces affaires complexes.

Pourquoi vous êtes-vous spécialisé sur les "cold cases"?

On s’est rencontré avec Corinne Herrmann sur le dossier des disparues de l’Yonne, sept jeunes femmes handicapées qui avaient disparu dans la région d’Auxerre et dont personne ne s’était préoccupé. On a mené le combat pour que le dossier d’Emile Louis soit considéré comme non prescrit et qu’il soit jugé.

On a découvert à cette occasion combien il y avait de "cold cases" en France. La justice, qui fonctionne en tuyaux d’orgue, ne permettait pas de les élucider. Il y avait un problème d’organisation d’enquêtes criminelles en France. D’autres familles sont venues nous voir et peu à peu nous avons constitué une sorte de banque de données criminelles avec tous les dossiers que nous avons suivis. Malheureusement nous avions l’impression, jusqu’à récemment, que les choses ne bougeaient pas en France.

Une estimation établit le nombre de 250 à 300 affaires non-résolues en France. Est-ce juste selon vous?

C’est totalement faux. C’est ce que la justice a bien voulu considérer comme tel. Pour nous, ce sont sûrement en réalité plusieurs milliers. Dans les statistiques, on a coutume de dire qu’on élucide 80% des meurtres. Il y a environ 800 homicides par an en France, donc il y a environ 160 meurtres non élucidés chaque année. Si on multiplie sur vingt ans, on est plutôt sur l’ordre de 2000 meurtres.

A cela il faut ajouter les disparitions, qui sont la partie immergée de l’iceberg puisqu’une disparition n’est pas classée en meurtre tant qu’on n’a pas d’élément pour la classer comme tel. Dans le dossier Lelandais, lorsqu’il y a eu un appel à témoins, 900 familles se sont adressées au service de gendarmerie pour un proche disparu, ce qui montre l’ampleur du phénomène. Évidemment toutes ces disparitions ne sont pas des meurtres. Certains sont partis volontairement, d’autres ont subi des accidents, mais il y a beaucoup plus de meurtres non élucidés dans ces disparitions qu’on ne veut bien le dire. 250-300 est une vision très optimiste des cold cases.

Eric Dupond-Moretti s’est déclaré favorable à la création d’un pôle national, avec des magistrats spécialisés pour s’occuper des "cold cases". Est-ce une bonne nouvelle?

C’est une bataille que nous menons depuis très longtemps. Souvent dans les tribunaux, les juges d’instruction bougent très vite. Or ces dossiers de disparitions, de meurtres, nécessitent des enquêtes au long-cours, sur cinq, dix ans. La mémoire criminelle se perd dans les juridictions. Lorsque vous demandiez encore récemment à un procureur combien il y avait de meurtres non élucidés dans sa juridiction, bien souvent il était incapable de répondre. La connaissance du fait criminel ancien s’était perdue.

Ces juges spécialisés vont enfin rester sur du long terme, connaître les nouvelles techniques d’enquête, avec l’analyse de l’ADN qui a beaucoup évolué, l’archéologie criminelle, l’utilisation des bases de données…

La piste de la conservation obligatoire des scellés n’a en revanche pas été retenue à l'heure actuelle. Le gouvernement va-t-il assez loin?

C’est l’un des plus grands scandales, pas seulement pour trouver des auteurs, mais aussi pour innocenter des gens, que l’on ne conserve pas les scellés criminels en France. Et on les conserve dans des conditions scandaleuses.

Sur un prélèvement, on pouvait ne pas trouver d’ADN il y a quinze ans et en trouver une trace maintenant, grâce à une toute petite quantité de sang, de sperme, pour identifier, au niveau de la cellule, l’ADN de quelqu’un. On voit bien qu’on s’interdit de résoudre un certain nombre d’affaires et peut-être de revoir certains dossiers où des personnes ont été condamnées injustement.

Par Ambre Lepoivre et Esther Paolini