Attaque de la préfecture de police: comment une habilitation "Secret Défense" est-elle attribuée?

Image d'illustration - - Thomas Coex - AFP
Jeudi, un agent administratif de la Préfecture de police de Paris a réussi à faire pénétrer un couteau au sein de l'institution, avec lequel il a tué quatre personnes. Malgré une perquisition de son domicile, les motivations entourant ce geste restent floues pour le moment. Informaticien, l'homme de 45 ans était employé à la Préfecture depuis 1993, et avait été affecté en 2003 au service très sensible de la Direction du Renseignement de la Préfecture de police de Paris (DRPP).
"Son travail consistait à travailler sur les systèmes d'information, il y avait donc là une habilitation 'Secret Défense', la plus haute au sein de la police", explique Driss Aït Youssef, président de l'institut Léonard de Vinci, spécialiste des questions de sécurité.
Cette habilitation, selon lui, devait "théoriquement montrer que cet individu ne présentait pas de problèmes de moralité incompatibles avec des fonctions de traitement d'informations sensibles".
- Qu'est ce qu'une habilitation "Secret Défense"?
Pour accéder à une information classée "Secret Défense", deux critères doivent être remplis, selon le Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SDGSN): "La nécessité impérieuse, évaluée par l’autorité hiérarchique, d’accéder à cette information pour la bonne exécution d’une fonction ou d’une mission précise", et "l’habilitation de sécurité, soit l’autorisation d’accéder à des informations classifiées au niveau requis".
Quand une personne est habilitée "Secret Défense", c'est donc à un certain niveau (il en existe trois) et sur des dossiers précis, relatifs à sa mission seulement. Cela limite le nombre de personnes ayant accès à des informations sensibles.
En donnant et en renouvelant cette autorisation à des agents, l'administration se porte garante "auprès de l'ensemble des collègues et du public sur la protection des données" confiées explique sur BFMTV Noam Anouar, délégué syndical VIGI Police, ex-membre de la Direction du renseignement. S'exprimant plus précisément sur le cas de Michael Harpon, l'auteur présumé de l'attaque de la Préfecture de police de Paris, il ajoute que cette autorisation donne "accès au personnel, aux armes et aux locaux".
- Comment un agent peut-il l'obtenir?
Pour qu'une personne obtienne cette habilitation, l'autorité hiérarchique "déclenche une procédure destinée à vérifier si la personne visée peut, sans risque pour la défense et la sécurité nationale ni pour sa propre sécurité, connaître, dans l’exercice de ses fonctions, des informations classifiées au niveau précisé dans la demande", explique le SGDSN.
Le demandeur doit d'abord remplir un dossier avec de nombreuses informations personnelles, incluant l'identité des membres de sa famille, le passif judiciaire ou encore les contacts de tous ses proches. Il est vérifié si ces personnes sont référencées dans un fichier de la police (antécédents judiciaires, mais aussi radicalisation). S'en suit une enquête de sécurité qui permet de vérifier sur le terrain toutes les informations fournies avant une décision finale du chef de service.
- Comment sont contrôlés les agents habilités?
L'habilitation secret défense est réévaluée en cas de doute sur le comportement d'un agent.
"Si on détecte des comportement qui sont incompatibles avec le fait de servir au sein d'un service de renseignements, ça déclenche des enquêtes, il y a un contrôle interne. Si vous commencez à avoir des dettes de jeux ou des comportements sociaux anormaux vous êtes de toute façon l'objet d'une enquête interne", explique Guillaume Farde, consultant sécurité pour BFMTV.
Il précise qu'à la Préfecture de Police, environ 1000 agents travaillent à la DRPP et plusieurs centaines de personnes s'occupent de ces enquêtes internes, "c'est très contrôlé un service de renseignements".
Et même si aucun comportement anormal n'est détecté, une enquête est tout de même renouvelée tous les cinq ans.
- Quelles sont les failles de cette habilitation?
Mais ce dispositif ne peut garantir une parfaite étanchéité.
"En cinq ans il peut se passer beaucoup de choses, sachant que les gens ont quand même une capacité de dissimulation et d'intelligence qui peut leur permettre parfois de se soustraire aux surveillances", déclare Noam Anouar.
Le syndicaliste évoque le cas d'un sous-directeur de la DRPP "mis en cause pour vol de numéraire", d'un autre "qui fait l'objet d'une condamnation de dix mois avec sursis".
"Globalement, l'habilitation 'Secret Défense' c'est quelque chose d'assez flou", déclare Noam Anouar, très critique sur le sujet, "personne ne peut en définir les contours, la nature des critères etc...".
La sanction pour avoir trahi son habilitation, et laissé fuiter volontairement des données ayant un caractère de secret de la défense nationale est lourdement punie: de sept ans d'emprisonnement et de 100.000 euros d'amende, selon l'article 413-10 du Code Pénal. Si la fuite a lieu "par imprudence ou négligence, l'infraction est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45.000 euros d'amende".