Alcool au volant: cette marge d’erreur qui pose question

Santé Publique France révèle des données concernant la consommation d'alcool en France. - Photo d'illustration BFMTV
8%, un petit chiffre qui semble susciter ces derniers jours des discussions au ministère de l’Intérieur, si l’on en croit Le Canard Enchaîné cette semaine. Selon l’hebdomadaire, une réunion de l’Unité de coordination de la lutte contre l’insécurité routière (UCLIR) la semaine dernière portait sur la marge d’erreur des éthylomètres. Les discussions autour de cette contrainte technique et légale sont loin d'être nouvelles, mais relancées, à la suite d'un arrêté du Conseil d’Etat de 2018.
Une marge d'erreur retenue
Comme les radars de vitesse, les éthylomètres - ces appareils qui mesurent l’alcoolémie des conducteurs - disposent d’une marge d’erreur. Or, contrairement aux radars de vitesse, cette marge d’erreur n’est pas immédiatement appliquée lorsque la sanction est relevée. Il n’existe pas d’alcoolémie relevée, et d’alcoolémie retenue, inscrites sur le formulaire de contravention, contrairement à ceux prévus pour la vitesse.
Cette marge d’erreur des éthylomètres est clairement définie à l’article 15 d’un arrêté du 8 juillet 2003. Pour les alcoolémies égales ou supérieures à 0,40 milligramme par litre d’air expiré (l’équivalent de 0,8 gramme par litre de sang), la marge d’erreur est de 8%.
A ce taux d’alcoolémie (ou au-delà), le contrevenant risque un retrait de 6 points, une suspension administrative de son permis, mais aussi une peine de prison et 4.500 euros d’amende. Il se voit aussi retirer immédiatement son permis, et ce pour 72 heures, le temps que le préfet puisse prendre le cas échéant un arrêté de suspension administrative du permis. Cette suspension administrative peut aller jusqu’à 6 mois.
Prendre en compte immédiatement la marge d’erreur de 8% peut donc avoir des conséquences importantes. Avec 8% de marge, la suspension de permis n’est effective que pour une alcoolémie retenue de 0,43 milligramme. Et non plus 0,40 ou 0,41 milligramme, comme aujourd’hui où la marge d’erreur n’est pas prise en compte.
Un arrêté du Conseil d'Etat de juin dernier
C’est là qu’intervient l’arrêt de 2018 du Conseil d’Etat (administratif), qui fait écho à un arrêt de la Cour de Cassation (pénal).
"La Cour de Cassation écrit dans son arrêt que les magistrats au pénal ‘peuvent’ tenir compte de la marge d’erreur. La Conseil d’Etat écrit lui que les juges administratifs ‘doivent’ en tenir compte. Concrètement, si le préfet prend un arrêté de suspension provisoire du permis de conduire de 2 mois par exemple, en invoquant cet arrêt de 2018, la marge d’erreur est prise en compte. Si le préfet prend un arrêté de suspension, il peut être débouté devant le tribunal administratif, en vertu de cet arrêté. Le conducteur peut conserver son permis si l’alcoolémie relevée le jour du contrôle est inférieure à 0,43 milligramme, en tenant compte de cette marge d’erreur", explique Maître Eric de Caumont, avocat spécialiste du droit routier.
L’automobiliste peut toujours être poursuivi devant le tribunal de police au pénal, mais non plus pour un délit, mais une contravention. Dans les faits, cela fait longtemps que la marge d’erreur est prise en compte. Mais elle ne l’est que devant le tribunal pénal, soit souvent plusieurs mois de suspension administrative de permis plus tard.
"Les magistrats prennent en compte lors de l’audience, nous explique Maître Iosca, avocat spécialiste en droit routier, qui rappelle que ce genre de cas est très commun. Comme le doute bénéficie au prévenu au pénal, avec la marge d’erreur, le délit peut alors être requalifié, en contravention, si l’alcoolémie retenue passe sous les 0,40".
"La marge d’erreur n’est pas un cadeau, ce n’est pas une tolérance, tient à rappeler Maitre de Caumont. Il s’agit d’une application de la loi pour éviter de condamner à tort".
En date, rien n’indique qu’une modification des textes soit dans les tuyaux pour rentre automatique cette prise en compte de la marge d’erreur.