"Un flou général": à la Japan Expo, l'inquiétude des comédiens de doublage et des artistes face à l'IA

"IA dans le doublage - une menace pour l'humain", tel était l'intitulé d'une conférence organisée à la Japan Expo, le 6 juillet dernier. Le sujet de l'intelligence artificielle générative, qui permet de créer des voix, des musiques, des vidéos mais aussi des œuvres d'art est dans tous les esprits.
Sur les stands de l'événement réunissant les fans de manga et d'animés, il n'est pas rare de croiser un artiste affichant un encart pour préciser qu'aucun élément à la vente n'a été généré par IA. Un constat qui tranche avec certains autres stands, plus importants, qui en font l'usage parfois ouvertement, et parfois non.
"Pas de règles"
"Il n'y a pas de règles," charge une artiste sous couvert d'anonymat à BFMTV, "j'aimerais qu'on puisse exclure les stands qui abusent de l'IA pour vendre parfois très chèrement des objets, alors qu'il n'y aucune création."
À cette inquiétude s'ajoute la peur que l'intelligence artificielle ne vienne les remplacer ou ne vole leur travail.
"J'ai fait en sorte que Meta ne puisse pas entraîner ses modèles sur mes dessins," explique Cynthia*, dont le compte Instagram a plus de 300.000 abonnés, "mais ça n'empêche pas d'autres IA de venir écumer ce que je fais."
Dans les allées des panneaux "No AI" pullulent, souvent face à des grossistes. "Un stand, ça coûte cher, et si je dois en plus engager un artiste, ce n'est plus le même prix", nous justifie-t-on sur un stand où l'IA est clairement visible sur des bouteilles de bières ou des affiches de cinéma.
"Il y a un flou général bien entretenu par ceux qui en abusent," estime Julien*, dessinateur de bandes-dessinées. Sur son stand, il n'hésite pas à informer les fans et curieux qui viennent le voir: "N'oubliez pas que ce qui fait l'âme d'un dessin ou d'une création, c'est qu'elle sort d'un esprit humain." Face à lui, Fanny, mère de famille accompagnée de son enfant de 9 ans, accueille favorablement ce discours: "On a besoin de nos artistes."
Pour ne pas se faire berner par l'IA
Certains visiteurs de la Japan Expo expliquent également s'être fait parfois avoir: "J'avais trouvé un stand sympa avec de jolis dessins, j'en ai acheté un au prix d'un dessin original, et une amie artiste m'a ensuite montré qu'il s'agissait d'un dessin généré par IA," regrette Julie.
S'il est de plus en plus difficile de reconnaître un dessin fait par IA, ce n'est pas pour autant impossible. Des artistes donnent quelques astuces: "Il faut d'abord regarder le dessin au global, si celui-ci est irréaliste, par exemple avec des couleurs ou des proportions étranges. Ensuite, jetez un œil aux traits. L'IA a parfois tendance à ne pas les finir, ou à faire réaliser des mouvements bizarres au personnage qu'il génère. Enfin, le nombre de doigts, l'absence d'une cohérence sur certains accessoires, peuvent permettre de confirmer," estime l'un d'eux.
"Il n'y a pas de solution miracle, mais ça permet déjà d'évacuer les plus évidents. C'est cependant plus difficiles sur les petits goodies comme les portes clefs," abreuve un second.
La crainte des comédiens de doublage
Du côté des comédiens de doublage aussi, l'inquiétude grandit. Le milieu observe une grève très suivie, notamment pour critiquer de nouvelles conditions dans les contrats. En début d'année 2025, il est apparu que Electronic Arts imposait aux comédiens de son jeu Apex Legends de pouvoir faire entraîner ses IA sur leur voix. Face au refus de l'éditeur américain, un retrait des voix françaises a été réalisé, faute de pouvoir leur faire dire des dialogues inédits des nouvelles saisons.
"Je ne connais aucun comédien qui est pour l'IA," explique à Tech&Co Arnaud Laurent, comédien de théatre et de doublage, qui incarne en version française Natsu Dragnir, de l'animé Fairy Tail. "Mais attention, on n'est pas contre l'IA dans le sens où c'est une avancée technologique, elle est là, elle va continuer à avancer, mais il faut pouvoir légiférer pour protéger et éviter les excès."
Face aux stars hollywoodiennes qui ont fait grève pendant de longs mois, paralysant les studios et tournages, les comédiens de doublage sont moins connus, et donc moins de poids: "Ils ont un appui très fort par rapport aux comédiens de doublage," regrette-t-il, "si avec les conventions, on est devenu un peu connu, le rôle du comédien de doublage est dans l'ombre, ça complexifie l'approche."
Comme Brigitte Lecordier, que Tech&Co avait pu interroger en 2024, la Japan Expo sert aussi à montrer l'importance du métier aux fans qui viennent demander des dédicaces ou des photos: "A notre échelle, on peut faire des grèves, et aussi dire que le public a quelque chose à perdre. Ils ne se rendent pas tous compte de l'impact que ça peut avoir. Si dans 15 ans, tout le monde est remplacé par l'IA, il n'y aura plus grand monde dans les allées de la Japan Expo."
Si le ministère de la Culture, en premier lieu Rachida Dati, n'ont jamais clairement répondu aux demandes des comédiens de doublage, quelques annonces ont toutefois été faite pour "protéger la liberté de création". Un plan annoncé en décembre et révélé le 6 juillet 2025, veut mettre entre les mains des professionnels du monde de la culture des clés de compréhension en cas "d'atteintes" sur ce sujet.
Rachida Dati, ministre de la Culture, a évoqué clairement l'intelligence artificielle dans un discours prononcé le 2 juillet dernier, dans lequel elle explique comprendre les inquiétudes, mais y voir aussi "des opportunités". Elle a également appelé à signer des accords plutôt que "d'aller au contentieux."
*Les prénoms ont été modifiés à leur demande.