BFMTV
People

"On a vécu une descente aux enfers": dans les coulisses de "La Nuée", le film fantastique événement

Le film de genre "La Nuée"

Le film de genre "La Nuée" - Capricci - Les Jokers

Petit cousin de Petit Paysan et d'Alien, La Nuée marque le renouveau du cinéma de genre en France. Son réalisateur Just Philippot raconte le tournage éprouvant de ce film sur des sauterelles suceuses de sang.

Ce mercredi 16 juin sort au cinéma un film à ne pas manquer, une des propositions de cinéma de genre à la française les plus originales depuis Grave (2017). Présenté comme le petit cousin de Petit Paysan et d'Alien, La Nuée suit une femme qui élève des sauterelles pour produire de la farine. Criblée de dettes, et mère de deux enfants, elle doit trouver une solution pour améliorer son rendement. À la suite d’un accident, elle découvre que ses sauterelles raffolent du sang… et produisent une meilleure farine.

Réalisé par Just Philippot, dont c’est le premier film, La Nuée est une idée de deux scénaristes, Franck Victor et Jérôme Genevray. "Le titre était très prometteur, et suffisamment ouvert pour permettre aux spectateurs de s’imaginer tout un tas d’images avant de voir le film", explique le réalisateur, qui en arrivant sur le projet lui a ôté une partie de sa dimension fantastique pour des raisons budgétaires et surtout recentrer le propos sur les déséquilibres qui affectent actuellement le monde agricole - et pourrait conduire à sa disparition:

"J’ai découvert un scénario qui était très marqué par le cinéma de genre. Il y avait une liberté d’écriture qui n’était malheureusement pas forcément connectée aux réalités de production. J’avais aussi envie d’être sincère, de faire non pas une histoire fantastique, mais une histoire vraie, qui pourrait arriver à n’importe qui. L'histoire devait coller à cette règle du capitalisme qu’elle applique à outrance: produire plus pour vendre le moins cher possible. C’est le chemin assuré vers la catastrophe."

"Si tu rates le feu, tu rates ton film"

Produire moins cher pour des résultats optimaux était aussi le modèle économique de La Nuée. Le cinéma de genre étant encore mal perçu en France, les budgets sont pour le moins restreints et Just Philippot a dû ruser pour mener à bien le projet: "On ne s’est pas saignés, mais on a pris énormément de risques. Il n’y a pas eu de blessés, même s’il y a eu de petites bricoles. On aurait pu rater le film à plusieurs reprises, parce qu’il y avait un déséquilibre entre le budget et l’ambition du projet."

"On a aussi, collectivement, beaucoup donnés pour que ce projet existe", ajoute le réalisateur. "On ne comptait plus nos heures et en même temps une fatigue s'installait, créant ainsi un support de création collective. Tout le monde était dans le même bateau, avec la sensation de faire un bon film. Il y a une force qui était décuplée et qui a rendu les choses meilleures."

À la frontière du fantastique, La Nuée dépend en partie de son atmosphère et de la réussite de ses effets chocs. Certains, prévus pour des scènes importantes, ont failli ne pas fonctionner et mettre en péril le film. Just Philippot se souvient en particulier d’une conversation avec le superviseur des effets spéciaux, Antoine Moulineau, qui a notamment travaillé sur Avatar et The Dark Knight. Celui-ci était inquiet à l’idée de tourner une scène impliquant un incendie: "Si tu rates le feu, tu rates ton film", lui a-t-il lancé un jour sur le plateau.

"Comme un James Bond, mais sans les moyens!"

Pour des raisons budgétaires, il était impossible de faire une seconde prise: "Il m’a dit que j’allais avoir à peine douze minutes. On a donc filmé en une prise, avec une équipe aux aguets. C’était comme un James Bond, mais sans les moyens! On avait un décor à brûler. Si ça ne marchait pas, on n’aurait que nos yeux pour pleurer. On s’est retrouvés à mettre en danger tout un film sur des scènes comme ça. Dans ces cas-là, tu ne peux pas te protéger. Il n’y a aucun filet."

Affiche de "La Nuée" de Just Philippot
Affiche de "La Nuée" de Just Philippot © The Jokers - Capricci

La nuée de sauterelles, un des clous du film, a répondu aux mêmes exigences pour obtenir un rendu très angoissant, entre un onirisme propre au fantastique et un réalisme documentaire terrifiant. La moitié du budget est passée dans les effets spéciaux et visuels pour réussir ce genre de scènes.

Déjà aguerri par ses courts-métrages, Just Philippot a subi toutes les épreuves sur ce tournage. Lui et son équipe ont vécu une montée vers la folie similaire à celle de ses personnages: "On a vécu une descente aux enfers dans un décor asphyxié, asphyxiant, anxiogène. Nous-même on était entourés de plastique [dans les serres où sont élevées les sauterelles, NDLR]. On a vécu dans une maison qui sombrait dans une forme de porcherie. Quelque chose de dur s’est progressivement installé."

"La sauterelle, une araignée qui ressemble à une hyène!"

Quelque chose de beaucoup plus dur en effet que de faire jouer des sauterelles. Cet aspect du film, qui fascine jusqu’à présent chaque spectateur de La Nuée, a été réalisé avec l’aide de Pascal Tréguy, animalier "qui a géré ses sauterelles comme des acteurs au milieu d’un système de travail où on ne devait pas perdre de temps": "Ce n’est pas parce que tu as 5.000 sauterelles que tu vas avoir plus de temps sur le plateau", commente Just Philippot avant de détailler les techniques pour diriger des sauterelles:

"Tu réduis leurs températures dans une espèce de loge spéciale. Tu les endors un peu, puis tu les excites en changeant la température. Et tu leur proposes de la banane. Ça leur plaisait beaucoup. Ces scènes d'interaction avec un doigt, une plaie, même quand elles se mangent les unes entre les autres il y a toujours un peu de banane pour leur permettre de rester à un endroit. On n’a jamais galéré. On a perdu très peu de temps."
Suliane Brahim dans "La Nuée" de Just Philippot
Suliane Brahim dans "La Nuée" de Just Philippot © The Jokers - Capricci

Pour les plans où les sauterelles mangent du sang, l’équipe a employé "du sang de cinéma un peu sucré dont elles raffolent". Ces scènes ont été tournées comme un documentaire, avec des techniciens aux aguets, prêts à tout pour obtenir des gros plans de sauterelles finalement très envoûtants, qui justifient à eux seuls de voir le film:

"On n’a jamais vu des sauterelles avec autant de précision: la musculature, la luisance des carapaces, son design… C’est vraiment un insecte hors-norme. On s’est dit que la nature était parfaite: la sauterelle, c’est une araignée qui ressemble à une hyène! Le gros plan dans la salle de cinéma permet de créer un déséquilibre entre le spectateur et l’insecte. On se retrouve plus petit que cet insecte. Et comme elles sont en nombre, on se sent encore plus petit. Ces gros plans, c’est ton entrée dans le fantastique. Une fois que tu as ça, tu peux aller plus loin dans le film."

"On a besoin de voir quelque chose de nouveau"

Après le succès de Grave et les sorties prochaines de La Nuée et du film de loup-garou Teddy, le renouveau du cinéma de genre français semble acquis. Just Philippot confirme ce vent de renouveau, insufflé par "des producteurs qui ont des envies de faire des films différemment, qui ont envie de proposer des alternatives de fabrications, avec comme dans le cas de La Nuée des scénaristes qui rencontrent un réalisateur": "il faut remettre en avant ce travail d’équipe."

"Mon distributeur m’a dit que Julia Ducorneau avait ouvert une voie avec Grave", ajoute-t-il encore. "Certains ont eu la sensation d’être passés à côté [du film lors de sa sortie en 2017] et ne veulent pas rater le coche avec La Nuée et Teddy." Selon lui, ce regain d’intérêt pour le cinéma de genre est "lié à la série, qui s’éloigne du cinéma classique" et d’un "besoin de voir le public se renouveler": "On a besoin de voir quelque chose de nouveau, que ce soit en cinéma de genre ou pas."

Son prochain film, inspiré de son court métrage Acide, sur un nuage d’acide qui sème la panique en France, devrait promettre aussi "quelque chose de nouveau".

https://twitter.com/J_Lachasse Jérôme Lachasse Journaliste BFMTV