"Nous sommes attachés à la véracité des faits": pourquoi le téléfilm avec Matt Pokora inquiète les représentants du massacre d'Oradour

Sur un cliché posté sur son compte Instagram début juillet, Matt Pokora, en pull kaki et baskets, se tient droit, les mains dans le dos, devant les ruines d'Oradour-sur-Glane. Il écoute attentivement son interlocuteur, Robert Hébras, le dernier survivant du massacre. Le chanteur de variété avait rencontré Robert Hébras fin 2022, quelques mois avant sa mort le 11 février 2023.
En commentaire, Matt Pokora annonce le début du tournage d'un téléfilm pour TF1, intitulé Oradour, ne m'oublie pas, dans lequel il sera la tête d'affiche.
Cette fiction raconte la mission secrète menée par un officier des Forces françaises libres, Philippe Gerbier (Matt Pokora), à quelques jours du Débarquement et du massacre des 643 personnes d'Oradour, sur fond de romance avec Marie (Caroline Anglade), son amour de jeunesse, qui fuit un mari violent avec sa fille.
Mais ce téléfilm n'est pas du goût des habitants du village. Le département de la Haute-Vienne, le Centre de la Mémoire d'Oradour, la commune d’Oradour-sur-Glane et l’ANFMOG (association nationale des familles des martyrs d'Oradour-sur-Glane) ont ainsi exprimé leur "vive inquiétude" dans un communiqué de presse commun publié le 4 juillet 2025.
Résistance et romance
"Habituellement, nous sommes informés de ce type de projet en amont, mais cette fois, et c'est suffisamment rare pour être souligné, nous l'avons découvert dans la presse, regrette Fabrice Escure, président du Centre de la Mémoire du village martyr, contacté par BFMTV.com. Nous aurions dû être mis au courant et dialoguer avec la production". Il précise: "Nous ne sommes pas opposés aux fictions, mais nous ne souhaitons pas que l'histoire de la commune soit romancée". Et renchérit: "Nous sommes extrêmement attachés à la véracité des faits."
L'histoire d'amour et surtout l'intrigue autour de résistants à Oradour s'en écartent pourtant, et cela pourrait nuire au travail de mémoire entrepris par les chercheurs et les institutions depuis plusieurs années. D'autant que ce dernier est déjà fragilisé par les partisans du révisionnisme; ceux-ci se servant de l'argument de la présence de résistants dans le village pour expliquer le massacre.
"Afin d'éviter tout amalgame, il nous faut éclairer ces points avec l'équipe du film et obtenir davantage d'informations sur sa production, savoir par exemple s'il y a un conseiller historique ou un chercheur associé à la production", explique Fabrice Escure. La localisation de son tournage, programmé ces jours-ci en Belgique, pose aussi question.
Le chanteur, qui s'est déjà illustré sur la Une dans la fiction Le premier oublié avec Muriel Robin en 2019, a indiqué avoir consulté Robert Hébras et sa petite-fille, Agathe. "J’ai pu me rendre au village martyr pour pouvoir me replonger dans la véritable histoire, minute par minute, grâce à Robert et Agathe Hébras, qui ont su prendre le temps et trouver les mots justes pour me faire revenir près de 80 ans en arrière. C’était intense et bouleversant", a-t-il confié sous sa publication Instagram.
À Oradour-sur-Glane, ce n'est pas l'image de Matt Pokora qui dérange, mais bien le projet en lui-même. "En aucun cas, il n'y a un scepticisme sur la figure de Matt Pokora, uniquement sur la genèse du projet", assure ainsi Fabrice Escure.
"Cellule de crise"
L'inquiétude des représentants d'Oradour a néanmoins poussé les présidents du Centre de la mémoire d’Oradour et de l’ANFMOG, ainsi que le maire d’Oradour, à envoyer en début de semaine un courrier à TF1 et au ministère de la Culture appelant "à la plus grande vigilance historique".
Leur requête n'est pas restée lettre morte: la production a eu connaissance du communiqué de presse et a pris contact avec les représentants du massacre pour programmer un rendez-vous, selon nos informations. Contactés, TF1 et les différents coproducteurs, dont Mediawan à la manœuvre du projet, n'ont pas répondu à nos sollicitations, mais une "cellule de crise" a été mise sur pied au sein de la production, selon une source proche.
Dans le cas où le contenu du téléfilm ne conviendrait finalement pas aux institutions mémorielles locales, Fabrice Escure ne tranche pas: "Il faudrait que nous nous réunissions à nouveau pour envisager les différentes options sur la table." Aucune date de diffusion n'a pour le moment été annoncée par TF1.