"J’ai rencontré le père Noël": la folle histoire du premier film de Noël français, entre Sénégal et Laponie

J'ai rencontré le père noël - Christian GIon
En 1983, Christian Gion est au sommet de sa carrière. Réalisateur de comédies à succès comme Le Pion (avec Henri Guybet, 1978), Les Diplômés du dernier rang (avec Patrick Bruel, 1982) ou Le Bourreau des cœurs (avec Aldo Maccione, 1983), il décide soudain de changer de registre en tournant, entre la Laponie et le Sénégal, J’ai rencontré le père Noël, le premier véritable film de Noël français.
Porté par la très populaire chanteuse Karen Cheryl, qui avait vendu 500.000 disques du single Oh! Chéri chéri l’année précédente, et accompagné d’une bande originale signée Francis Lai, le compositeur attitré et oscarisé de Claude Lelouch, J’ai rencontré le père Noël devait être l’événement de la fin de l’année 84.
Vendu au Festival de Cannes à la société américaine New World Pictures, le film bénéficie d’une sortie exceptionnelle aux Etats-Unis, dans pas moins de 1.450 salles. Cette sortie américaine, organisée un mois avant la sortie nationale, prévue le 5 décembre, est précédée d’une avant-première sur la 5e Avenue à New York. Du jamais vu pour une production française. Christian Gion en est toujours ébahi: "Toutes les séquences tournées en Laponie étaient très réussies. C’était le Père Noël à 100%. Mais la sortie aux Etats-Unis m’a surpris. Je ne trouvais pas qu’il y avait une qualité américaine dans le film."
L’engouement médiatique autour de ce film est tel que Michel Drucker lui consacre le samedi 24 novembre une émission spéciale de Champs-Elysées dans un studio Gabriel entièrement recouvert de neige et transformé en décor féerique de Noël. Malgré les efforts déployés, le triomphe attendu n’aura pas lieu et le film se perd dans les limbes du 7e Art.
"C’est moi qui ai tout produit. Toutes les bêtises, c’est moi!", s’exclame Christian Gion. "C’est l’ensemble, pas Gion", rectifie Didier Kaminka, scénariste et dialoguiste du film, également connu pour sa collaboration avec Claude Zidi (Les Sous-Doués, Les Ripoux). "Walt Disney faisait un million d’entrées tous les ans à Noël et on pensait qu’on allait lui prendre ce million d’entrées en faisant un film pour les fêtes. Ce n’est pas le plaisir qui a provoqué le film, mais une étude de marché..." "Dans ce film qui n’avait d’autre prétention que d’être un conte pour enfants, la musique de Francis Lai avait un charme réel!", complète cependant Isabelle Morizet, alias Karen Cheryl, avant d’ajouter:
"Je ne savais absolument pas ce que ça allait donner au montage. Je n’ai pas vu de rushes. J’ai fait ça d’une façon spontanée et je n’ai pas du tout été dirigée dans ce film. Ça s’est passé dans une espèce d’énergie brute. Il y avait tous les éléments pour que ça fasse une espèce d’objet très joyeux et très réussi dans le genre, et en fait ça a manqué de direction. Quand c’est la première fois qu’on vous propose un film, vous êtes complètement dépendante de la manière dont la chose va être produite, montée, façonnée."
Des propositions de Delon et Belmondo
L’histoire de J’ai rencontré le père Noël s’inscrit dans la tradition des contes de Noël, avec un twist moderne. Simon (Émeric Chapuis), dont les parents ont été enlevés en Afrique depuis plusieurs mois, demande de l’aide au père Noël. Lors d’une visite de l'aéroport de Roissy avec sa maîtresse (Karen Cheryl) et sa classe, le garçonnet parvient à monter avec son amie Élodie (Alexia Haudot) dans un avion à destination de Rovaniemi, en Laponie, où habite le Père Noël (Armand Meffre)...
Alors au sommet de sa gloire, Karen Cheryl fait ses premiers (et derniers) pas au cinéma. "La seule chose qui se soit faite est ce film pour les enfants, mais on m’a proposé de jouer la comédie à une époque où j’étais en contrat avec un producteur et une maison de disques, avec des sorties de disques et des tournées très importantes, signées à l’avance. Je ne pouvais pas disparaître pendant trois mois pour tourner un film", explique Isabelle Morizet.
Elle reçoit des propositions d’Alain Delon et de Jean-Paul Belmondo, et a failli jouer Feydeau sur la scène du Palais Royal à Paris avec Jean Piat. Liée contractuellement à son producteur Humbert Ibach, elle doit décliner les propositions. Souvent sans le savoir: "Un jour, je déjeunais au Tong Yen, à Paris. Belmondo, qui était aussi là, m’envoie ce petit mot: 'Pourquoi as-tu refusé ma proposition?' C’était la maison de disques qui n’avait pas transmis la proposition!"
Dans Banzaï (1983) de Claude Zidi, le personnage de la copine de Coluche, finalement joué par Valérie Mairesse, est baptisée Isabelle en son honneur: "Le film avait été écrit par Didier Kaminka pour Coluche et moi. Coluche voulait absolument que ce soit moi, mais je ne pouvais pas. C’était l’époque d'Oh! Chéri chéri. A la première, Coluche m’a dit: 'Tu n’étais pas là pendant le tournage, mais tu es là tout le temps pendant le film'."
Un dîner avec Prince entre deux prises
Didier Kaminka, chargé de développer en scénario l’idée du film de Noël de Christian Gion, pense aussitôt à Karen Cheryl pour le double rôle de l’institutrice et de la fée qui accompagne le Père Noël: "Je savais qu’elle avait envie de faire l’actrice. Dans l’histoire que m’avait racontée Gion, il y avait un rôle de jeune femme. J’ai aussitôt appelé Karen pour savoir si ça l’intéresserait. Elle m’a dit oui et j’ai écrit le scénario."
Trente-six ans après, elle se souvient d'une "découverte du monde très belle et très poétique, du Sénégal au Pôle Nord", et surtout d'une "aventure très jolie, très joyeuse et très folle", symbolisée à merveille par son premier jour de tournage, dont elle garde un souvenir mémorable:
"Dans la même journée, je prends différents avions le matin très tôt pour pouvoir être à Rovaniemi en Laponie [à 100 kilomètres au nord du cercle polaire, NDLR] et tourner tout au sommet de notre planète pendant deux heures et puis le soir je fais le chemin inverse pour revenir à Paris et dîner aux Bains Douches à 2 heures du matin avec Prince. La journée était totalement surréaliste. Si je la raconte, on ne peut pas me croire."
Un tournage très dur, dans le froid lapon
Elle se souvient aussi d’un tournage difficile, marqué par des températures extrêmes: "J’ai tourné des scènes à plus de 80 degrés celsius d’écart. J’ai tourné au bord du lac rose au Sénégal, avec une tribu Peul. Il faisait 48 degrés. Et j’ai tourné au Pôle Nord, où il fait moins 45. L’équipe avait des packs de chaleur comme les alpinistes qui partent à l’assaut de l’Everest. Quand on me sortait de la caravane et qu’on disait moteur, je savais qu’au bout de deux minutes, mes muscles seraient tétanisés et engourdis et que je ne pourrais plus sortir une phrase. Il fallait alors vite retourner dans la caravane!"
Il faut dire que la comédienne, pour les besoins de son rôle de fée, devait porter une robe "totalement décolletée" conçue "par des ateliers qui faisaient tous les costumes pour la Comédie-Française": "Cette robe était absolument incroyable. Elle pesait une tonne. C’était un pur bijou, avec un petit côté élisabéthain."
A cause du corset de sa robe, elle ne pouvait pas s’asseoir: "On m’avait fait un corset comme ceux que portaient les femmes au XVIIe. J’avais les poumons compressés, la taille étranglée. Je ne pouvais pas respirer. Les baleines et le corset me blessaient les côtes, mais vous savez comment c’est quand on fait ce métier: on ne s’en rend pas compte. C’est comme quand on chante. On est sur scène, on est porté par le public, un orchestre et même si on a 39 de fièvre, c’est anecdotique."
Un Père Noël stalinien et un ogre maladroit
Pour le rôle du Père Noël, Christian Gion fait appel à Armand Meffre, acteur prolifique de cinéma, de télévision et de théâtre dégoté par son directeur de casting: "Je l’ai trouvé splendide, évoque-t-il. Je me rappelle qu’il était communiste convaincu. Comme on tournait pas très loin de Mourmansk, sur le bord du lac Inari, la frontière russe était à 20 kilomètres. Un jour, il a voulu y aller et il leur a fait des signes en disant 'Je suis un ami, je suis un ami!' et ils l’ont viré! On était mort de rire!" Comment un communiste convaincu pouvait-il incarner le symbole du capitalisme? "Le cachet! Il était très marrant. On avait des discussions épiques avec lui. C’était un communiste pur et dur, stalinien."

Le rôle de l’ogre échoit à Dominique Hulin, alors connu pour son rôle du prof de gym Bruce Kateka dans Les Sous-Doués (1980). Colosse de 2m5 et 130 kilos passé par l’opéra et l’escrime, et reconnaissable à son impressionnante voix de basse, Dominique Hulin manque de blesser grièvement Karen Cheryl sur le plateau:
"J’ai failli fracasser le crâne de Karen Cheryl. On était dans une baraque avec des troncs d’arbre qui étaient sous le plafond. À un moment, je la soulève pour la mettre dans mon assiette et la manger, mais elle est tellement légère que je n’ai pas fait gaffe: elle a tapé le tronc d’arbre. Elle aurait tapé trois centimètres plus loin, je lui fracassais vraiment le crâne. On a bloqué la production pendant un quart d’heure. Elle a eu très mal. On me demande d’être un ogre, je suis un ogre!"
Polémique sur la BO
Isabelle Morizet se souvient d’avoir vécu le tournage puis la sortie par procuration: "Je venais tourner d’une manière épisodique. J’avais tous les galas, tous les concerts qui continuaient pendant ce temps en France." Elle n’assiste pas à l’avant-première américaine: "C’était un truc fou qui m’a un peu échappé à l’époque. J’avais un chagrin d’amour... " Elle a ensuite donné l’intégralité de son cachet aux Petites Sœurs des Pauvres.

La sortie de J’ai rencontré le Père Noël s’accompagne d’un imbroglio juridique. Karen Cheryl chante dans le film, mais pas dans la bande-originale: "Avec son éditeur musical, on n’est pas tombé d’accord", révèle Christian Gion. "Il ne pouvait pas m’empêcher de faire le film, mais le disque qui est sorti, la musique du film, était chanté par quelqu’un d’autre." La BO avec les chansons de Karen Cheryl est rapidement retirée du commerce, puis rééditée avec la même pochette, mais deux nouvelles chanteuses: Tilda Rejwan (France) et Nathalie Simard (Québec).
Christian Gion est aussi déçu par les effets spéciaux laborieux du film, qui n’ont pas été réalisés par George Lucas, comme cela avait été annoncé à l’époque dans la presse, mais par Luc Perini, ingénieur du son de L’Aile ou la Cuisse de Claude Zidi et de Black Moon de Louis Malle, qui venait alors de créer sa société d’effets spéciaux. "On a fait un budget trop limité et ça se sent dans le résultat", concède Christian Gion. "Les effets spéciaux ont été faits en France, et pas très bien. On n’avait pas les moyens."
J’ai rencontré le Père Noël n’est cependant pas une déception pour lui. Le film continue de faire "une carrière à l’étranger", assure-t-il: "J’ai vendu la semaine dernière le film au Botswana. Je le revends chaque Noël à une dizaine de pays. La France, c’est là où ça fonctionne le moins bien."