"Un état de sidération": le témoignage de Nathaniel, 19 ans, qui a perdu un œil lors des émeutes à Montreuil

(image d'illustration) - Sébastien Salom-Gomis/AFP
Son œil droit est désormais recouvert d'un pansement. Nathaniel, 19 ans, a été éborgné après avoir reçu un projectile, alors qu'il rentrait chez lui à Montreuil (Seine-Saint-Denis) avec un ami, dans la nuit du 28 au 29 juin, première nuit de violences urbaines en France après la mort du jeune Nahel, tué par un policier.
France Info l'a rencontré et dévoile son témoignage. Le jeune homme, qui a un casier judiciaire vierge, était à une soirée d'anniversaire et explique avoir "décidé de partir", accompagné d'un copain. "On avait bien entendu quelques bruits sourds depuis la soirée où on était, mais l’été à Montreuil ce n’est pas très exceptionnel que des jeunes sortent des feux d’artifices", se souvient Nathaniel.
"Une forte douleur au visage"
Une fois dans la rue, les deux jeunes voient des personnes "qui auraient pu être des émeutiers et plus loin une voiture de 'police secours' arrêtée." Nathaniel se remémore avoir voulu faire chemin inverse. "Le temps de se retourner, les policiers avaient jeté des lacrymogènes qui formaient comme un mur blanc. On est repartis dans l’autre sens. On a voulu s’abriter dans un renfoncement à l’entrée d’un bâtiment et là, ça a été très vite", indique le garçon qui décrit ensuite à nos confrères "un état de sidération, d’hébétement".
Le jeune homme se rappelle de ne pas avoir crié et simplement avoir dit "aïe". Il explique également avoir ressenti "une forte douleur au visage avec du sang partout". Ses proches lui assurent que son visage n'est plus droit. "Mon œil restait fermé", précise Nathaniel qui est alors secouru par des pompiers.
Par la suite, pendant 30 heures, le jeune est trimballé d'hôpital en hôpital. Il termine finalement aux Quinze-Vingts, spécialisé dans les urgences ophtalmologiques. Il découvre alors qu'il a sept fractures au visage et est opéré, deux fois. "Le médecin ne m’a pas caché la vérité. Il m’a dit que je ne retrouverai pas la vue de mon œil", commente Nathaniel, "assommé" par la nouvelle quelque temps avant de finalement l'accepter.
"Il me reste la vue grâce à mon œil droit. Je vais continuer à vivre. Pas question que je baisse les bras. Il faut que mon cerveau s’habitue. Ça va prendre du temps, mais ça va le faire. Il le faut", estime celui qui a appris qu’il avait décroché son bac STMG, pendant son séjour à l'hôpital.
Un mois après, il sait que cet évènement n'est pas derrière lui et qu'il devra subir d'autres interventions chirurgicales.
Nathaniel doit de nouveau être entendu par les enquêteurs
L’IGPN, la police des polices, a ouvert une enquête et cherche à déterminer si c’est un tir de lanceur de balle de défense, le canon d’une grenade de désencerclement ou autre chose qui a blessé Nathaniel, rapporte France Info.
Ce dernier a déjà été entendu par les enquêteurs et doit être entendu de nouveau ce jeudi. Il assure ne pas attendre "grand-chose de ces rendez-vous", car selon lui lors de sa première audition, "l’officier a surtout essayé dans beaucoup de ses questions de trouver le moindre élément qui aurait pu signifier qu’en fait, je participais aux émeutes".
"Alors qu’avec mon copain, on ne représentait aucun danger", martèle le jeune homme. "J’avais juste mon habituelle petite sacoche avec cigarettes et briquet (...) On circulait là. Il n’y a eu de notre part aucun mot ni geste déplacé. Jamais je n’ai imaginé qu’il pourrait m’arriver ce qui m’est arrivé là. Je ne méritais pas ça. D’ailleurs, personne ne le mérite", juge Nathaniel, qui ne souhaitait pas porter plainte.
C'est sa mère qui l'a convaincu de le faire, explique France Info. Agnès, 49 ans, est fonctionnaire et a pendant huit ans été cadre administrative dans la police nationale. Si elle a aujourd'hui rejoint une autre administration, elle assure respecter et même affectionner l'institution policière.
"S’il y a eu faute, la responsabilité du tireur doit être questionnée"
Elle souhaite comprendre ce qui s'est passé cette nuit-là et se pose beaucoup de questions depuis. "Pourquoi ce policier a utilisé de telles armes? Le cadre d’emploi était-il respecté? Avait-il suffisamment d’espace pour les utiliser en toute sécurité? Les gaz lacrymogènes n’étaient-ils pas suffisants? J’ai besoin de comprendre les possibles manquements. S’il y a eu faute, la responsabilité du tireur doit être questionnée", réclame la maman.
Elle s'interroge sur les "armes intermédiaires non-létales", utilisées par les policiers. "On se réjouit qu’elles ne tuent pas, mais on passe sous silence le nombre d’éborgnés, trépanés, abîmés, handicapés à cause des LBD et autres", estime-t-elle.
Elle regrette le contexte actuel. "Ça me peine beaucoup, car on a vraiment l’impression que même en haut lieu, on cultive ce clivage entre les jeunes et la police. La police est là avant tout pour nous protéger, mais ces dernières années, elle se retrouve perçue comme une force hostile qu’il faut surtout craindre". Elle se dit également navrée d’entendre que 900 policiers et gendarmes ont aussi été blessés durant ces émeutes.
Agnès revient sur les propos polémiques du Directeur général de la police nationale (DGPN) Frédéric Veaux, qui estime que la place d’un policier ne peut jamais être en détention provisoire dans l’attente d’un éventuel procès.
"Il faut vraiment prendre le sujet de ce divorce à bras-le-corps au lieu de penser à créer un statut dérogatoire pour les policiers auteurs de délits. On est tous citoyens. On est tous égaux devant la loi et c’est dangereux de remettre cela en cause. Il faudrait faire tout le contraire et recréer du lien et de la confiance".
Désormais, Nathaniel tente de retrouver un semblant de vie normale. Il cherche un stage dans l'évènementiel musical.