Paris: six mois après l'évacuation du square Forceval, où en est la lutte contre le crack?

L'opération avait été planifiée au petit matin, Le 5 octobre dernier, Gérald Darmanin ordonnait l'évacuation du campement du square Forceval, connu pour abriter des consommateurs de crack et établi à la lisière entre le 19e arrondissement de Paris et la Seine-Saint-Denis.
Quelque 1000 policiers avaient été mobilisés pour démanteler les tentes et autres installations des toxicomanes. Avec plusieurs objectifs: prendre en charge ou interpeller ceux qui y avaient élu domicile, et faire en sorte "que ce campement ne se reconstitue pas ailleurs".
Six mois après l'intervention des forces de l'ordre, ce dernier but n'a pas tout à fait été atteint, si l'on en croit les remontées du terrain. Selon des riverains et des élus, les consommateurs de crack se sont établis en différents points de fixation, en particulier dans le 18e arrondissement.
"C'est nos nuits"
Sous un tunnel, non loin du boulevard Ney, un groupe de personnes emmitouflées dans des doudounes stationnent. Certaines ont un bonnet vissé sur la tête pour se protéger du froid. Pipe à crack à la main, elles consomment de la drogue en plein jour, sans trop se préoccuper des regards indiscrets.
Dans le quartier, les habitants sont lassés de ces scènes devenues habituelles depuis l'évacuation du square Forceval. "C'est le jeu du chat et de la souris. Je reviens, je repars, peste Irène au micro de BFMTV. Malheureusement, c'est nous qui en subissons les conséquences. Ce matin, ma fille est passée. Ils étaient une centaine."
À l'inquiétude, se mêlent également l'insalubrité, les nuisances sonores et le manque de sommeil qui en découle. "Depuis 2h30, je suis réveillée, poursuit la riveraine, exaspérée. Parce que ça se battait en face, ça s'étranglait, ça criait. C'est nos nuits."
"Évidemment, quand il y a des problèmes de sécurité, il faut évacuer, plaide Pierre-Yves Bournazel, conseiller de Paris, élu du 18e arrondissement et membre d'Horizons, le parti d'Édouard Philippe. Il faut protéger les riverains, parce qu'ils vivent un calvaire. C'est extrêmement difficile pour eux, personne n'aimerait être à leur place."
Dealers interpellés, "cuisines" fermées
Autre point de chute des consommateurs de crack depuis le mois d'octobre: les stations de métro. Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France mais aussi d'Île-de-France Mobilités, a pu le constater au cours d'un déplacement au mois de février.
L'ex-candidate à l'élection présidentielle observe un "retour massif des toxicomanes sur certaines lignes du métro parisien". Plus particulièrement les lignes 9 et 12, où 60% des interventions des agents de sûreté sont liées à la toxicomanie.
À la surface, pourtant, les autorités disent avoir intensifié la lutte contre le trafic et la consommation. Au 8 décembre, les policiers se félicitaient d'avoir interpellé "plus de 1000 personnes". 216 "dealers" ont été "neutralisés" et 16 "cuisines" de crack ont également été démantelées, avaient alors indiqué les forces de l'ordre.
Selon le parquet de Paris, 64 trafiquants et modous (terme wolof désignant des petits négociants) ont été présentées à un juge dans le cadre d'une comparution immédiate entre le 1er janvier 2023 et le 7 avril.
Injonctions thérapeutiques
En outre, 73 injonctions thérapeutiques pour assurer un suivi médico-social et judiciaire ont été imposées à des consommateurs. Un total relativement faible au regard du nombre de consommateurs disséminés dans les rues de Paris.
Dans le 18e arrondissement, le suivi médical, psychologique et social est notamment assuré par un centre d'accueil, co-piloté par les associations Aurore et Gaïa. Chaque jour, environ 300 toxicomanes s'y rendent pour suivre des soins.
Mais avec l'avancée de la refonte du secteur de la porte de la Chapelle, dans le cadre des Jeux olympiques, la question d'un déménagement se fait de plus en plus prégnante.
"Sécuriser la consommation"
À l'heure actuelle, il semble que la prise en charge médicale reste le parent pauvre de la lutte contre le crack. De l'avis de Pierre-Yves Bournazel, les structures manquent.
"Il faut des lieux, insiste l'élu sur notre plateau. Il faut des lieux où l'on puisse les traiter sur un plan psychologique, sur un plan médical. Et des lieux où on puisse progressivement -et c'est très long et très difficile- les sortir de la spirale infernale de la drogue."
C'est un aspect fondamental, selon Marie Öngün-Rombaldi, déléguée général de la Fédération Addiction, pour "sécuriser" la consommation, éviter le développement de maladies et "leur apporter un accompagnement au long cours, un accompagnement social, recréer du lien".
"C'est pour ça qu'on appelle vraiment de nos vœux la création de tous ces espaces, les salles de consommation à moindre risque. C'est aussi faire en sorte que les gens ne consomment pas dans la rue", poursuit-elle.
Une tribune signée par une centaine d'élus
Pierre-Yves Bournazel milite pour l'installation de "petites unités d'abord", "à taille humaine". "Parce que si vous faites des unités trop importantes, personne n'en veut dans son quartier", explicite-t-il.
Pour qu'elles puissent voir le jour, l'élu d'opposition appelle à davantage de coordination: "Il faut que l'État, les villes -la ville de Paris et les villes du Grand Paris en général-, les associations et les riverains travaillent ensemble à des solutions".
La mairie centrale ne dit pas autre chose, elle qui appelle de longue date à l'ouverture de nouvelles "salles de consommation à mondre risques", désormais connues sous le nom de "haltes soins addictions" (HSA). Une fait l'objet d'une expérimentation depuis 2016 dans la capitale, mais aucune autre n'a été inaugurée pour le moment. Le gouvernement avait pourtant validé le principe de création de nouveaux sites dans divers arrondissements, malgré le soulèvement de certains élus et riverains.
Plus récemment, au mois d'octobre, une centaine d'élus se sont dits prêts à accueillir des centres de soin et de consommation sur leur territoire, dans une tribune rédigée à l'iniative d'Anne Souyris, adjointe d'Anne Hidalgo en charge de la santé.
Darmanin vise l'éradication du trafic de crack
Enfin, la municipalité défend une augmentation du nombre de places d'hébergement accompagné. Selon Le Parisien, il en existe 553 en Île-de-France à ce jour. Un total voué à grimper à 600, précise Amélie Verdier, directrice générale de l’Agence régionale de santé (ARS), à nos confrères.
Ces différentes mesures apparaîtront-elles dans le nouveau plan crack, attendu depuis la fin du dernier projet de ce type, qui portait sur la période 2019-2021? Pour le moment, nous l'ignorons.
En septembre dernier, Laurent Nunez, le préfet de police de Paris, se disait prêt à tenir le délai d'un an fixé par Gérald Darmanin pour éradiquer le trafic de crack dans la capitale.