Mort d'Amadou Koumé en 2015 à Paris: trois policiers jugés pour homicide involontaire

Trois policiers sont jugés à partir de lundi, plus de sept ans après la mort d'un homme lors d'une interpellation. - DENIS CHARLET © 2019 AFP
Plus de sept ans après la mort d'Amadou Koumé, un homme de 33 ans, lors de son interpellation avec une clé d'étranglement à Paris, trois policiers sont jugés à partir de lundi pour homicide involontaire.
Les fonctionnaires de 45, 47 et 62 ans, alors gardien de la paix, brigadier et major, doivent comparaître devant le tribunal correctionnel de Paris pendant trois demi-journées, pour s'expliquer sur cette nuit du 5 au 6 mars 2015.
Maintenu pendant 6 minutes
Ce soir-là, selon les éléments de l'enquête, un appel signale à la police le comportement agité d'un homme manifestement en proie à des troubles psychiques dans un bar près de la gare du Nord. Un premier équipage de policiers ne parvient pas à maîtriser M. Koumé, qui se débat.
Un policier de la brigade anti-criminalité (BAC) intervient alors et procède à une clé d'étranglement pendant plusieurs secondes en l'amenant au sol; il reprend ensuite l'étranglement pendant deux minutes, alors qu'Amadou Koumé est retourné.
Le père de famille, qui mesure 1,90 m et pèse 107 kg, est maintenu sur le ventre, face contre terre et mains menottées dans le dos, pendant plus de six minutes au total. Il est ensuite transporté dans un car de police. Son décès sera constaté au commissariat.
L'enquête préliminaire menée par l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) s'est conclue par un classement sans suite, mais une plainte avec constitution de partie civile de la famille, qui demandait un procès aux assises, a entraîné la réouverture des investigations.
"Une asphyxie mécanique lente"
L'expertise médicale finale menée au cours de l'instruction a conclu que M. Koumé avait succombé à un "œdème pulmonaire" causé par "une asphyxie mécanique lente". Elle ajoutait que "le traumatisme cervical et laryngé" entraîné par la clé d'étranglement avait "participé à la survenue de cette asphyxie", également "favorisée" par son immobilisation au sol.
Si une "intoxication à la cocaïne" a aussi été relevée, l'expertise soulignait que le décès "aurait pu avoir lieu sans imprégnation de cocaïne et du seul fait d'une asphyxie mécanique lente". À l'issue de l'information judiciaire, la juge d'instruction avait qualifié les gestes de "mal maîtrisés" mais conclu que les violences n'avaient "pas été commises de manière illégitime".
En revanche, elle avait relevé le "manque de discernement", la "maladresse" et les "négligences" des deux policiers qui ont poursuivi le "décubitus ventral" (plaquage, ventre au sol) alors qu'Amadou Koumé "ne présentait plus aucun danger pour autrui" et ce sans "s'enquérir de son état de santé".
Le gardien de la paix auteur des clés d'étranglement a déclaré avoir eu peur qu'il ne s'empare des armes de ses collègues, qualifiant son second geste de simple "levée de tête", consistant à presser le menton et non la gorge.
Il avait été mis en examen pour la qualification criminelle de "violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner", ce qui aurait pu le mener aux assises, mais il a finalement été renvoyé en correctionnelle pour homicide involontaire comme les deux autres prévenus.
"Vulnérabilité psychique"
En 2015, ce gardien de la paix avait déjà été sanctionné pour usage disproportionné de la force dans une autre affaire. Le major est soupçonné de ne pas avoir donné "les ordres qui s'imposaient" afin que l'état de l'interpellé, dont il savait la "vulnérabilité psychique", soit vérifié.
"Il aurait dû être mis en position latérale de sécurité dans le bar et on aurait dû vérifier son état de conscience, tant dans le bar que dans le car. En tant que gradé, j'assume ce qui s'est passé", a-t-il reconnu pendant l'instruction.
La famille avait demandé des poursuites à l'encontre des seize policiers intervenus ce soir-là, pour "non-assistance à personne en péril", mais l'instruction n'a pas conclu en ce sens.
Sollicités par l'AFP, les avocats des policiers et de la famille du défunt n'ont pas souhaité s'exprimer avant l'audience.
Technique controversée, la clé d'étranglement, proscrite dans la gendarmerie et remplacée officiellement depuis juillet dernier dans la police, est au cœur de plusieurs enquêtes ouvertes après la mort d'hommes interpellés. Dans le cas d'Amadou Koumé, le Défenseur des droits avait jugé en 2018 le recours à cette technique "ni nécessaire ni proportionnée".