Manifestations: la contrôleure des prisons dénonce des "atteintes aux droits fondamentaux" en garde à vue

Dominique Simonnot, contrôleure des lieux de privation de liberté (CGLPL) , le 20 octobre 2020 - BFMTV
La contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) Dominique Simonnot dénonce "des atteintes graves aux droits fondamentaux" lors de gardes à vue de personnes interpellées à Paris dans des manifestations contre la réforme des retraites.
Dans un courrier daté du 17 avril adressé au ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin Dominique Simonnot brocarde un "recours massif" par les forces de l'ordre à des interpellations et gardes à vue "préventives".
"Certains agents avaient eu pour 'consignes et ordres hiérarchiques d'interpeller sans distinction' toute personne se trouvant dans un secteur ou un autre de la capitale", écrit-elle.
"Les interpellations préventives, ça n'existe pas"
Dès le début de la contestation de la réforme des retraites, associations, partis politiques, magistrats et avocats ont dénoncé des "interpellations préventives" lors des manifestations. Le 21 mars dernier, la Défenseure des droits Claire Hédon s'était elle aussi alarmée de ces interpellations.
À plusieurs reprises, le préfet de police de Paris Laurent Nuñez s'est inscrit en faux contre ces accusations: "les interpellations préventives, ça n'existe pas". Au regard des "très nombreuses interpellations", Dominique Simonnot explique avoir "diligenté en urgence des visites dans certains locaux de gardes à vue de Paris".
Dans un courrier daté du 2 mai, le ministère de l'Intérieur a répondu à Dominique Simonnot. "Le CGLPL excède ses compétences, notamment lorsqu'elle dénonce 'une instrumentalisation des mesures de garde à vue à des fins répressive", écrit Gérald Darmanin. Il assure que le rôle de la controleure n'est pas d'analyser les interpellations, mais uniquement "les conditions de prises en charge et de transfèrement des personnes privées de libertés".
"Les 24 et 25 mars, trois équipes de contrôleurs ont visité neuf commissariats parisiens pour contrôler les conditions de prises en charge des personnes interpellées" et "s'assurer du respect de leurs droits fondamentaux", explique la contrôleure dans sa lettre.
La conclusion de ces contrôles est accablante, Dominique Simonnot faisant état "d'atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes enfermées". D'une part "en raison des conditions matérielles de prise en charge dans certains locaux" et d'autre part du fait "du nombre important de procédures conduites en méconnaissance des normes et principes qui régissent la procédure de garde à vue, voire, dans certaines situations, en violation des textes applicables".
"Privation de liberté"
Elle dénonce ainsi des "irrégularités dans les documents relatifs à l'interpellation et l'indigence des éléments permettant de caractériser l'infraction ou la tentative d'infraction en cause". "Ces carences, affectant les documents de procédure, ajoute-t-elle, sont particulièrement alarmantes."
La contrôleure note en outre qu'alors que "80% des procédures sont classées sans suite une fois opéré le contrôle de l'autorité judiciaire, la minorité des personnes déférées (...) quitte le tribunal libre".
Dominique Simonnot considère que les "instructions données par la préfecture de police et le parquet de Paris notamment (...) révèlent un recours massif, à titre préventif, à la privation de liberté à des fins de maintien de l'ordre public".
Laurent Nuñez dément
Le préfet de Police, Laurent Nuñez, s'est élevé contre ces accusations ce mercredi. "Je ne passe aucune instruction de procéder à des interpellations préventives", a-t-il assuré sur CNews ce mercredi.
"Je me sens un peu insulté, offensé quand j’entends dire ça", a-t-il ajouté.
Il a expliqué que les interpellations lors des manifestations contre la réforme des retraites ont principalement pour motifs des "atteintes aux forces de l'ordre" avec des jets de projectiles par exemple et des "cortèges sauvages" dont les membres brûlent des poubelles et des voitures.
"Moi ce que je demande aux fonctionnaires de police, c'est d’interpeller les individus qui commettent ces infractions et uniquement ces infractions", a déclaré le préfet de Police.
"Ces interpellations ont permis d’éviter des exactions beaucoup plus graves", a encore affirmé Laurent Nuñez.
Pour la contrôleure générale, "cette approche du maintien de l'ordre révèle non seulement une instrumentalisation des mesures de gardes à vue à des fins répressives mais également un dévoiement du rôle de l'autorité judiciaire dont le rôle (...) n'est pas de garantir la sécurité juridique des mesures de police, a fortiori lorsqu'elles sont sciemment prises en méconnaissance de la loi".