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Malgré le démantèlement de la colline du crack, le problème de la drogue insoluble à Stalingrad?

Des fumeurs de crack sur les quais place Stalingrad à Paris, le 2 décembre 2020

Des fumeurs de crack sur les quais place Stalingrad à Paris, le 2 décembre 2020 - JOEL SAGET © 2019 AFP

Après un week-end marqué par des tirs de mortiers dirigés vers des toxicomanes, dont des riverains pourraient être à l'origine, une opération de police a été lancée mardi, débouchant sur huit interpellations. Quelques heures plus tard, dealers et consommateurs étaient de retour avenue de Flandre.

Les contrôles sont récurrents mais leur efficacité n'est jamais plus qu'éphémère. Mardi, après un week-end marqué par des tirs de mortiers dirigés vers les toxicomanes de Stalingrad et des tensions avec les riverains, près d'une centaine de policiers ont arpenté le quartier et procédé à huit interpellations. Mais à la nuit tombée, comme chaque soir ou presque, que l'on soit ou non sous le régime du couvre-feu, dealers et consommateurs de crack ont fait leur retour autour de l'avenue de Flandre.

La journée et en fin d'après-midi, c'est au niveau des Jardins d'Éole, sur la partie haute, qu'ils se regroupent. Ces derniers sont estimés à une cinquantaine. Transactions et consommation s'y font à ciel ouvert.

"C'est toujours un circuit, tournez manège, que je fais constamment (...) pour oublier la réalité", concède Mimi, toxicomane de 26 ans à la voix fatiguée et mère d'un enfant, au micro de BFM Paris. Ce trajet passe par les Jardins d'Éole et a pour destination ce qu'elle appelle "Disney drogue", un monde qui lui permet "d'oublier la réalité".

"Ça se drogue sans même avoir le souci de se cacher"

Pour les familles profitant de l'espace vert, la cohabitation est ardue. "Il y a des moments où je rebrousse chemin et où je vais faire un tour ailleurs parce que ça se drogue sans même avoir le souci de se cacher, regrette Sylvia. Il n'y a aucune alternative qui sont proposées pour ces gens-là donc ils sont là où ils peuvent."

"Je n'ai pas peur parce que ça fait très longtemps que je vis le quartier", nuance une autre riveraine, mais "quand ils descendent, on leur dit gentiment d'éviter d'être trop avec les familles."

La multiplication des toxicomanes dans ce secteur concorde avec le démantèlement de la colline du crack, terrain vague occupé par des consommateurs de drogue, en 2019. Signe que le problème s'est simplement déplacé et a fait de Stalingrad "un sanctuaire" de la drogue, selon les mots de François Dagnaud, maire de l'arrondissement. "Aujourd'hui, de toute l'Europe, de toute la France, on vient à Stalingrad s'approvisionner en crack", résumait-il mardi sur BFM Paris.

Le maire socialiste a sollicité l'intervention du ministre de l'Intérieur, de la Santé et du préfet de police pour mettre fin aux regroupements de consommateurs de crack dans le quartier. L'édile demande un "démantèlement organisé, accompagné, de cette scène" (...) "qui prenne en compte la complexité, y compris sociale et sanitaire, de la situation". Et appelle à "ne pas reproduire les erreurs du passé." Pour l'intéressé, l'action des forces de l'ordre est nécessaire mais s'avère insuffisante pour enrayer de manière pérenne la problématique du crack.

Un quotidien organisé autour de la consommation

"La solution policière est utile pour le trafic, mais réprimer les consommateurs, ça ne sert à rien, souligne Marie Jauffret-Roustide, sociologue invitée sur le plateau de BFMTV ce mercredi. Les personnes qui consomment du crack ont avant tout des problèmes de dépendance. (...) Les gens doivent l'acheter très très souvent, à cause des effets très courts. Ça entraîne une précarité sociale souvent importante. (...) Parfois, ils consomment encore plus de crack parce qu'ils sont dans la rue."

La dose de crack est estimée à 18 euros. Un coût qui donne aux consommateurs, selon la chercheuse à l'Inserm, la fausse impression d'une drogue bon marché. "Les usagers de crack pensent que c'est moins cher que la cocaïne. Mais ils sont obligés de consommer plusieurs dizaines de fois parfois dans la journée. Donc, au bout du compte, ça revient très cher", souligne-t-elle.

"Pour la majorité des consommateurs, la consommation de crack conduit à la précarisation. Tout votre quotidien va être organisé autour de cette consommation", poursuit-elle.

"Réguler leur consommation"

Avec l'Inserm et l'Observatoire français des drogues et toxicomanies, Marie Jauffret-Roustide a rédigé un rapport sur le plan crack établi en 2019.

"Les préconisations que nous faisons, c'est de mettre en place de l'hébergement", dont les capacités sont aujourd'hui estimées à 400 lits. "Quand des usagers de crack sont mis à l'abri dans des hébergements, de fait, ils sont moins dans l'espace public. Ils arrivent à réguler leur consommation et c'est bénéfique pour eux et pour les riverains."

"Les salles d'inhalation, c'est une deuxième préconisation dans notre rapport pour que les usagers puissent consommer non pas dans l'espace public mais dans un espace à l'intérieur, pour se protéger eux-mêmes et protéger les riverains", complète Marie Jauffret-Roustide.

Si la Ville de Paris envisage d'ouvrir quatre sites supplémentaires, le parquet et la police y sont moins enclins, craignant la naissance de "lieux de fixation des toxicomanes". Un reproche déjà émis par les riverains de la salle de shoot installée depuis 2016 à l'hôpital Lariboisière.

Selon Marie Jauffret-Roustide, 13.000 consommateurs de crack sont établis en Île-de-France et 43.000 à l'échelle nationale. Une centaine d'entre eux en meurent chaque année.

Simon Azélie et Sarah-Lou Cohen avec Florian Bouhot