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DOCUMENT BFMTV. "J’ai peur d’être rendu à la Turquie": l'unique rescapé de la tuerie raciste de la rue d'Enghien visé par une OQTF témoigne

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DOCUMENT BFMTV. Rescapé de la fusillade mortelle de la rue d’Enghien à Paris en décembre 2022, Ercan E. a été placé sous OQTF le 16 mai. Il doit pourtant encore témoigner au procès étant le seul témoin oculaire. Il a échappé aux balles de William Malet, qui a abattu trois Kurdes ce jour-là, mais souffre encore de graves séquelles psychologiques.

Il ne s’était encore jamais confié. Ercan E. est un rescapé de la tuerie raciste de la rue d’Enghien. Le matin du 23 décembre 2022, trois de ses amis kurdes ont été abattus, sous ses yeux, en haut des marches du centre culturel Ahmet-Kaya, dans le 10e arrondissement de Paris. Emmanuel Macron avait dénoncé "une odieuse attaque" et la tuerie avait suscité un émoi national.

"J’ai crié, j’ai crié, j’ai appelé la police, l’ambulance. Mes amis sont décédés. Ils sont morts en martyr devant mes yeux", témoigne Ercan E., toujours extrêmement ému, auprès de BFMTV.

En entendant les tirs, le bénévole s’était caché derrière le bar du centre. Il avait miraculeusement échappé aux balles de William Malet, un tueur d’extrême droite qui avait revendiqué une "haine pathologique des étrangers".

"J’ai vu cet individu tirer sur mes amis"

Ce conducteur de trains à la retraite avait été mis en examen pour trois assassinats à caractère raciste. Ercan a tout vu de la scène.

"J’ai vu cet individu tirer sur mes amis. J’étais sous le choc. Je l’ai vu s’avancer vers Evin [Goyi, une ancienne commandante du PKK]. Et il a encore tiré. Dans sa tête", continue cet homme kurde de 35 ans, qui s’est constitué partie civile dans la procédure judiciaire.

Le 16 mai dernier, il a pourtant a reçu une OQTF (obligation de quitter le territoire), délivrée par la préfecture de Seine-Saint-Denis. Sa demande d’asile avait été refusée par l’OFPRA (office français de protection des réfugiés et apatrides) le 6 mai. Il encourt une expulsion d’ici 15 jours.

Pour justifier le rejet de sa demande d’asile, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) va jusqu’à remettre en cause… sa présence sur la scène de crime. "L’intéressé allègue que (…) il était présent lors de l’attaque meurtrière menée contre le centre le 23 décembre 2022", écrit l’Office, dans sa décision du 30 avril, jugeant "peu crédible ses assertions".

Il souffre de stress post-traumatique

Pourtant, Ercan devra témoigner devant la cour d’assises à l’heure du procès, qui aura lieu en 2026. Il est l’unique témoin oculaire de la fusillade. Il en a fourni un récit détaillé, que BFMTV a pu consulter.

S’il a vu ses amis agoniser, il a aussi vu William Malet exécuter méthodiquement ses camarades, "comme un tireur professionnel", selon lui. Il s’est constitué partie civile. Aujourd'hui, il souffre de stress post-traumatique.

"Je ne m’en suis pas remis psychologiquement. Encore aujourd’hui j’ai l’impression que la scène se passe devant mes yeux. Tout est encore très vif. Tout est très clair. Et en plus de cela, ils veulent me renvoyer? Je ne comprends pas", dit-il avant de fondre en larmes.

"Qui voudrait être rendu à l'ennemi?"

Sa plus grande inquiétude est d'être reconduit chez lui, en Turquie, un pays qu'il a fui en 2021. Militant au parti pro-kurde HDP, il est un opposant déclaré au président turc Recep Tayyip Erdoğan.

"J’ai peur d’être rendu à la Turquie par les autorités françaises. Qui voudrait être rendu à l’ennemi?", déplore Ercan E. Ajoutant: "je peux être emprisonné mais pas seulement. On peut aussi même me faire disparaître." 

Son avocat dénonce le traitement dont il a fait l’objet. "Il a été complètement abandonné. Il n’a bénéficié d’aucun suivi psychologique, d’aucune aide. On l’a laissé dans la nature", déplore Me David Andic, très remonté.

L’absence de son client au procès priverait la justice d’un témoin vital pour faire condamner le tireur, estime-t-il encore. "Il est le seul à avoir vu l’intégralité de la scène. Il y a une seule personne qui peut apporter une vérité, c’est lui. Et cette personne-là on veut la renvoyer en Turquie, chez ses bourreaux. Cela n’est pas acceptable."

Sollicitée par BFMTV, la préfecture de Seine-Saint-Denis estime que cette OQTF "découle directement du rejet de sa demande d’asile", sans commenter davantage. Le ministère de l’Intérieur n’a pas souhaité réagir.

Paul Conge