Deux figures du monde des antiquités condamnées pour avoir créé et vendu des fausses chaises d'époque

Les deux hommes ont été condamnés à de la prison ferme (image d'illustration) - Damien Meyer-AFP
Personne n'avait remarqué la supercherie. Le tribunal correctionnel de Pontoise a condamné, ce mercredi 11 juin, deux figures du monde des antiquités qui, entre "jeu" et "appât du gain", ont dupé jusqu'au château de Versailles.
Six personnes, dont l'expert référence du mobilier royal du XVIIIe, un menuisier-ornemaniste de réputation internationale, ainsi qu'une prestigieuse galerie d'antiquaires ont comparu au début du printemps dans le Val-d'Oise pour un trafic de fausses chaises d'époque, entre 2008 et 2015.
L'expert Bill Pallot a été reconnu coupable d'avoir organisé la fabrication et la vente de fausses chaises rarissimes comme des chaises du Barry, une bergère Sené, des fauteuils Jacob pour Marie-Antoinette ou des chaises du cabinet de la Méridienne à Versailles.
"C'est passé comme une lettre à la poste"
Il a été condamné à quatre ans de prison dont quatre mois ferme, 200.000 euros d'amende et une interdiction pendant cinq ans d'exercer la fonction d'expert dans quelque domaine qu'il soit.
"On s'est dit qu'on allait faire ça par jeu, pour voir si le marché de l'art voyait ou voyait pas. C'est passé comme une lettre à la poste", s'était-il délecté à la barre lors du procès, en racontant, devant les juges, l'art et la passion nécessaires à la fabrication d'un bon faux.
Le tribunal a aussi condamné à trois ans de prison dont quatre mois ferme et 100.000 euros d'amende son acolyte Bruno Desnoues, menuisier réputé du faubourg Saint-Antoine, quartier historique du travail du bois à Paris, qui a fabriqué les meubles à partir de carcasses d'époque.
À l'audience, ce meilleur ouvrier de France s'était efforcé de se présenter en humble artisan désintéressé par l'argent et seulement motivé par l'amour de son art, "le plaisir de travailler, de faire des belles choses".
"Quand je suis arrivé il y quarante ans dans le faubourg Saint-Antoine, c'était des copies, des copies, des copies. Ce genre de chaises, on en faisait toute la journée", avait expliqué le maître menuisier de 69 ans.
Des chaises vendues au château de Versailles
Le duo a empoché près de 1,2 million d'euros de commissions. Les galeries et maisons d'enchères bien davantage encore, qui ont vendu en ignorance de cause, mais avec des marges mirifiques, ces meubles au château de Versailles ou à des milliardaires.
Accusée d'avoir procédé à des vérifications insuffisantes, la prestigieuse galerie d'antiquaires Kraemer a été relaxée. Le parquet avait requis à son encontre une amende de 700.000 euros.
Près de la moitié des faux de ces personnes ont été acquis via divers canaux par le château de Versailles, engagé depuis les années 1950 à rééquiper le monument vidé de son précieux mobilier par la Révolution française.
Longue de huit ans, l'information judiciaire avait abouti à un non-lieu pour la plupart des intermédiaires entre les faussaires et les acheteurs finaux, estimant qu'ils avaient été dupés par la renommée de Bill Pallot. Un choix qui avait mené les avocats de la galerie Kraemer à fustiger une "incohérence" de traitement.
Une découverte fortuite
La supercherie n'a été découverte que par accident, à l'occasion d'une enquête sur les revenus d'un couple de Portugais résidant dans le Val-d'Oise et qui blanchissait l'argent de Bruno Desnoues.
Le tribunal a acté le partage de la responsabilité des intérêts civils entre Bill Pallot, Bruno Desnoues et le château.
Dénonçant "les manoeuvres particulièrement diaboliques" des deux principaux prévenus, l'avocate du château de Versailles Me Corinne Hershkovitch a déploré "un trafic aux mains propres, en col blanc", pour lequel "quand on est pris la main dans le sac, on n'est pas condamné à très cher".
"On se dit qu'on n'est pas protégé pour l'avenir", a-t-elle ajouté.
Bill Pallot a considéré le jugement "financièrement un peu dur", même s'il se satisfait que son appartement ne soit pas saisi, contre l'avis du procureur, et est soulagé de ne pas retourner en prison, ayant déjà passé quatre mois en détention provisoire en 2016.