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Intempéries

"Endiguer ou raser": quel avenir pour les habitants touchés par des inondations à répétition?

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Depuis le début du mois de novembre, le Pas-de-Calais subit des crues et des inondations dévastatrices. Alors que le dérèglement climatique ne laisse anticiper qu'une situation de plus en plus dégradée, la gestion du risque devient un casse-tête.

"On veut vivre en sécurité. Maintenant, il faut agir, endiguer ou raser ce quartier". Ces mots, couchés sur une banderole, expriment le désarroi des habitants d'un quartier de Blendecques (Pas-de-Calais).

Depuis le 3 novembre 2023, des crues successives ont fait monter les eaux jusqu'à sept fois en deux mois. Ce mercredi 3 janvier, le département toujours placé en vigilance rouge "crues" par Météo-France.

Des habitants d'un quartier de Blendecques demandent la destruction de ce quartier face aux inondations à répétition
Des habitants d'un quartier de Blendecques demandent la destruction de ce quartier face aux inondations à répétition © RMC

Tant cet hiver qu'à long terme, les crues et les inondations vont fatalement se répéter sous l'effet du dérèglement climatique. Alors qu'au moins trois "crues centennales" se sont répétées en moins de deux décennies, de nombreuses victimes des intempéries expriment leur inquiétude.

"On ne peut pas vivre ça tous les mois voire tous les ans", confie David, installé depuis 13 ans dans la commune bordée par le fleuve Aa, gonflé par les pluies.

Dans cette situation: que faire? L'État doit-il évacuer pour de bon les habitants et tout raser? Faut-il poursuivre la construction de digues de plus en plus insuffisantes? Ou simplement: laisser couler?

Des millions de Français exposés

Selon le ministère de l'Écologie, 16,8 millions de Français de la métropole vivent "exposés aux différentes conséquences des inondations par débordement de cours d'eau", le risque le plus fréquent, loin devant la submersion marine ou la remontée de nappe phréatique.

Jusqu'à présent, la politique française de gestion du risque se résume simplement. Éviter les constructions zone inondable et construire des digues de plus en plus hautes pour bloquer la montée des eaux.

Plus récemment et depuis la crue de 2022, la France a développé son système de "zones d'expansion de crues". Des zones naturelles de rétention temporaire des eaux pouvant accueillir des centaines de milliers de mètres cube d'eau. Le tout souvent sur des terres agricoles.

Des "rustines" inefficaces

Ces deux systèmes, bien qu'efficaces en temps normal, ont deux grands défauts. D'abord, ils nécessitent des investissements importants, qui se comptent en millions d'euros. Ensuite, ils deviennent rapidement obsolètes face au dérèglement climatique.

Dans un monde qui se réchauffe, le cycle de l'eau est accéléré. L'évaporation est plus importante, les précipitations le sont aussi. On considère qu'un degré équivaut à 7% de vapeur d'eau en plus dans l'atmosphère. Une humidité retombant sous forme de pluies diluviennes.

"À court terme, toutes les régions du monde vont faire face à un risque de plus en plus important de catastrophes naturelles", dont les inondations, ont alerté les scientifiques du GIEC dans leur 6e rapport.

Les effets du dérèglement climatique sur les précipitations, en France, d'ici 2100, selon les projections de Météo-France.
Les effets du dérèglement climatique sur les précipitations, en France, d'ici 2100, selon les projections de Météo-France. © BFMTV

Plus spécifiquement, une étude ClimaMeter parue le 27 novembre dernier lie directement la sévérité de l'épisode de crues actuel et le "rôle important" joué par le dérèglement climatique.

Dans l'hypothèse d'une poursuite de la dégradation du climat sous l'effet de l'activité humaine, nos méthodes de gestion des risques peuvent donc sembler obsolètes. Un système de "rustines" décrié sur BFMTV par Boris Weliachew, architecte et expert des risques majeurs. De son analyse, une gestion à long-terme et une approche orientée sur la prévention seraient bien plus efficaces.

Pourquoi les inondations risquent-elles de se multiplier en France ces prochaines années?
Pourquoi les inondations risquent-elles de se multiplier en France ces prochaines années?
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"La réponse simplement 'technique' a toujours des limites, ces moyens vont constamment être dépassés", explique celui qui prône un plan d'étude complet des risques dans la région. Un projet d'étude "sur des années" pouvant prendre "10 ou 20 ans".

"Il faudra aller plus vite que le réchauffement climatique qui va encore accélérer ce phénomène. Il faut s'y mettre tout de suite et le faire sérieusement", appuie-t-il.

"Bâtir une nouvelle ville, résiliente"

Agir d'ici 10 ans? Cette perspective pourrait ne pas satisfaire les calaisiens aux caves et salons inondés. Certains sinistrés ont déjà fait part à BFMTV de leur volonté de porter plainte contre l'État pour mise en danger face à la vie d'autrui, jugeant la réponse absente ou trop lente.

Une solution totalement radicale pourrait être employée et est d'ores-et-déjà envisagée par les riverains: tout raser. "Il faut accepter que ces maisons n'ont pas été construites au bon endroit, accepter qu'il y a eu des choix politiques de faits en accordant des permis de construire à des endroits où c'était potentiellement dangereux", appuie Ludovic Pinganaud, expert en gestion des crises et membre de l'Institut européen des sciences avancées de la sécurité.

Par le passé, cette option a déjà été choisie. La ville de Mandelieu (Alpes-Maritimes), régulièrement victime des inondations, a acheté cinq villas pour mieux les détruire. "L'idée est de bâtir une nouvelle ville, résiliente et d'être sereins face aux défis de ce siècle", expliquait en décembre le maire Sébastien Leroy.

Un accord de vente "à l'amiable" a été signé avec les riverains en employant les moyens financiers du "fonds barnier" dédié aux risques naturels majeurs. Il permet aux collectivités de racheter "les bâtiments les plus à risque", comme l'explique le ministère de la Transition écologique. Une bonne solution pour les propriétaire dont la valeur des biens est mécaniquement réduite par les circonstances.

Hors d'Europe, et plus particulièrement en Asie, cette méthode a été utilisée pour faire face aux conséquences du réchauffement climatique. Pour faire face à la montée du niveau des eaux "le gouvernement indonésien éloigne progressivement la capitale de Jakarta" de la côte, comme le démontre une étude de l'European geosciences union et Copernicus publiée en 2022.

"Cependant, de telles mesures sont extrêmes et coûteuses et sont probablement considérées comme peu pratiques, car peu de personnes et d'entreprises sont prêtes à déménager, en particulier de villes économiquement dynamiques et denses", notent les experts européens.

"Apprendre à vivre avec"

Le groupe souligne l'aspect "financièrement insoutenable" de nos méthodes actuelles de lutte contre les inondations. S'ils notent qu'il n'existe "aucun modèle prescriptif pour développer des stratégies d'adaptation" à ce stade, ils plébiscitent le potentiel des "mesures douces" et du modèle des Pays-Bas.

Leur politique consiste notamment à éloigner les infrastructures des zones inondables à l'aide de normes de construction plus strictes. L'objectif du projet enclenché en 2007 est d'anticiper les hauteurs futures des cours d'eau et d'anticiper en creusant, par exemple, des canaux plus profonds.

Plutôt que de lutter "contre" la montée des eaux, certains spécialistent préconisent "d'apprendre à vivre avec", comme Ludovic Pinganaud. Réduire les dégâts, reconstruire, s'adapter et surrtout: s'éloigner des zones menacées.

Tom Kerkour