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Traductions, ondes courtes: comment les médias occidentaux contournent la censure du Kremlin en Russie

Siège de la BBC. (Photo d'illustration)

Siège de la BBC. (Photo d'illustration) - Ben Stansall

Tâchant tout à la fois de continuer à informer la population locale et de ne pas tomber sous le coup de la censure imposée par le Kremlin, les médias internationaux s'organisent pour continuer à s'adresser au public russe.

Au-delà du terrain militaire, la guerre se double toujours d'une bataille autour de l'information. Tandis que le Kremlin renforce l'arsenal déployé pour censurer sur son territoire la couverture indépendante du conflit en Ukraine, plusieurs rédactions internationales s'échinent afin de continuer à proposer au public russe son traitement de l'actualité de la crise.

Traductions, ondes courtes... les moyens sont divers mais ils visent une même cause: permettre aux Russes d'entendre une autre voix que celle de Vladimir Poutine à l'heure de raconter l'agression du voisin ukrainien.

Loi contre les "informations mensongères"

C'est une lutte médiatique de grande ampleur qui s'est engagée entre la Russie de Vladimir Poutine - soucieuse de s'arroger l'exclusivité du récit de la guerre en Ukraine auprès de ses concitoyens - et des médias internationaux qui éprouvent le devoir de continuer à informer les Russes malgré les difficultés et la possibilité de représailles.

Et le bras-de-fer n'a pas attendu la guerre. Tandis que le média russe RT a été mis au ban des antennes européennes, Moscou a obligé la rédaction de la chaîne allemande de la Deutsche Welle à fermer ses locaux dès le 4 février. Et l'entrée en guerre n'a fait que renforcer cette tendance.

Le 4 mars dernier, les parlementaires russes ont voté une loi condamnant la diffusion "d'informations mensongères sur l'armée russe, surtout si elles entraînent des conséquences sérieuses pour les forces armées" et la punissant d'une peine allant jusqu'à 15 ans de prison.

Un intitulé bien nébuleux au but pourtant transparent: intimider les journalistes internationaux dérangeant le narratif ventilé par le Kremlin autour de l'invasion de l'Ukraine. Le dispositif, musclé, n'a pas tardé à provoquer ses effets. Bloomberg, CNN, la RAI, ARD, ZDF, l'agence espagnole Efe entre autres - ont suspendu leurs activités sur place.

Les ondes courtes pour contourner la censure

Victoire par K.O. pour Vladimir Poutine? Non, et les rédactions sont à présent nombreuses à tenter de renverser la vapeur pour pouvoir continuer à informer. Ainsi, la BBC, qui elle-même avait opté pour le mutisme dans la foulée de l'adoption de la loi contre la presse, a décidé de reprendre ses émissions anglophones à destination du public russe.

Le géant de l'audiovisuel britannique mise pour ce faire sur les ondes courtes afin d'offrir quotidiennement quatre heures d'antenne à Kiev, ainsi qu'à certaines régions de Russie. Le système des ondes courtes - détaillé ici par Le Figaro - a été initié en 1932 et a connu son heure de gloire sous la guerre froide, époque qui a vu le bloc de l'Est cadenasser l'information.

Jouant sur l'altitude et le passage par un spectre oscillant entre 3000 kHz et 30.000 kHz, les ondes courtes permettent de filtrer à travers le tamis des censures d'antenne - bien qu'il existe des brouilleurs spécifiques - mais sont très vulnérables: notamment aux mauvaises conditions météorologiques. Toutefois, le média britannique s'en remet à ce procédé pour émettre à l'Est entre 18h et 20h et de 22h à minuit.

Traduction d'articles en russe

Toujours côté britannique, le Financial Times a favorisé un truchement plus classique. Il a en effet promis de livrer la traduction en russe de la plupart de ses articles dédiés à la crise en cours.

Une initiative qui a trouvé un écho au-delà du Royaume-Uni. Trois quotidiens scandinaves ont noué un pacte similaire à l'égard des lecteurs russes. Dans une tribune collective publiée jeudi dernier, les Danois de Politiken, les Suédois de Dagens Nyheter et les Finlandais de Helsingin Sanomat ont annoncé qu'ils traduiraient vers le russe une partie de leur production au sujet du conflit russo-ukrainien.

"La tragédie en Ukraine ne doit pas être communiquée au public russe par des canaux de propagande", proclament-ils, selon une profession de foi relayé ici par La Croix.

Il faut dire que les rédactions étrangères ne sont pas les seules à devoir écoper après le durcissement de ton du Kremlin. La radio Echo de Moscou et la chaîne de télévision indépendante Dojd - derniers contradicteurs journalistiques russes de Vladimir Poutine - ont été poussées au silence.

En France, les tentatives sont plus discrètes. Toutefois, on notera que la version russophone de RFI diffuse la radio publique ukrainienne UR-1 sur son site, comme l'ont remarqué Les Echos.

Maquis numérique

Enfin, s'ils ne sont pas des médias par eux-mêmes - et entretiennent d'ailleurs avec ceux-ci des relations parfois ambivalentes voire orageuses sur le front des fake news - les réseaux sociaux s'adaptent également pour échapper aux contraintes imposées par Vladimir Poutine.

Celui-ci a en effet bloqué Facebook et sa filiale Instagram, astreignant de sucroît Twitter à une série de restrictions. En réaction, cette dernière plateforme a choisi de se décliner en parallèle sur Tor, c'est à dire le "deep web" - la couche non indexée et donc moins visible de la toile. Une manière de prendre le maquis à l'ère numérique.

Robin Verner
Robin Verner Journaliste BFMTV