Six questions pour comprendre l'offensive russe en Ukraine

Un manifestant pro-ukrainien devant l'ambassade d'Ukraine à Istanbul - Yasin AKGUL / AFP
Les tensions entre l'Ukraine et la Russie ne sont pas nouvelles. Depuis maintenant près de dix ans, les deux nations issues de l'ex-bloc soviétique se livrent une guerre de positions rythmée par des provocations diplomatiques. En 2014, Moscou avait envahi la Crimée, région du sud de l'Ukraine qui sera par la suite rattachée à la Russie au terme d'un référendum dont les résultats n'ont pas été reconnus à l'international.
Quelques semaines plus tard débute la guerre du Donbass, dans laquelle des séparatistes pro-Russes affrontent l'armée ukrainienne, avec en toile de fond le fantasme de faire sécession avec Kiev et de rejoindre la Russie. Après plusieurs années d'immobilisme dans la région, où une guerre des tranchées s'est installée, les événements se sont accélérés ces dernières semaines.
• Pourquoi la Russie a-t-elle attaqué l'Ukraine?
Fin 2021, Vladimir Poutine avait décidé de mettre la pression sur son voisin ukrainien en déplaçant plusieurs centaines de milliers de ses soldats à sa frontière. Selon Moscou, ces manoeuvres étaient nécessaires afin d'assurer la sécurité russe, Vladimir Poutine estimant que l'Ukraine avait comme objectif de rejoindre l'Otan.
Lundi, alors que la tension était encore montée d'un cran, Vladimir Poutine avait planté sa première bandrille et annoncé, au cours d'une allocution télévisée dans laquelle il avait qualifié l'Ukraine de pays "fantoche", soutenir l'indépendance des deux républiques du Donbass, Donetsk et Lougansk.
A la surprise générale et malgré les sanctions annoncées entre temps par les Occidentaux, le président russe a annoncé dans la nuit de mercredi à jeudi le lancement d'une "opération militaire" en Ukraine pour défendre ces régions séparatistes de l'est du pays.
"J'ai pris la décision d'une opération militaire", a-t-il lancé lors d'une déclaration surprise à la télévision peu avant 4 heures du matin (heure française).
• Quelles sont les forces militaires en présence?
Il est encore difficile d'estimer le nombre de soldats impliqués dans les opérations. Cependant, le rapport de force semble d'ores-et-déjà plus que déséquilibré en faveur de la Russie, deuxième puissance armée au monde.
Tout d'abord pour des raisons géographiques. Par ses kilomètres de frontières, mais aussi ceux de son allié biélorusse, la Russie peut encercler son opposant ukrainien. À l'ouest, en Transnistrie, l'armée russe a aussi placé des troupes dans la petite enclave russophone en Moldavie dont l'indépendance n'est reconnue que par le Kremlin. Au sud, sur la mer Noire, les Russes ont l'avantage sur l'eau.
En ce qui concerne les troupes, il y aurait près de 190.000 hommes côté russe rassemblés aux frontières de l'Ukraine et prêts à intervenir, depuis la Russie, la Biélorussie mais aussi en Crimée.
Côté ukrainien, l'armée est sensiblement plus nombreuse en nombre, mais avec des équipements bien moins modernes. L'armement des hommes du président Zelensky date en partie de la fin de la guerre froide, quand le pays faisait encore partie de l'Union soviétique.
Plus à l'Ouest, les États-Unis ont également des forces militaires présentes dans des pays alliés de l'Otan dont 9200 en Pologne, 34.300 en Allemagne ou encore 1900 en Roumanie.

• Quelle est la position de la France?
Après avoir joué l'intermédiaire avec Vladimir Poutine ces dernières semaines et tenté d'éviter l'envenimement de la crise, Emmanuel Macron n'a désormais d'autre choix que d'abandonner la piste diplomatique.
Le chef de l'Etat a promis ce jeudi, lors d'une adresse à la Nation, que la France et ses alliés décideront de sanctions "sans faiblesse" contre la Russie, à la fois "sur le plan militaire et économique autant que dans le domaine de l'énergie".
"Les évènements de cette nuit sont un tournant dans l'Histoire de l'Europe et de notre pays. Ils auront des conséquences durables, profondes sur nos vies" et "sur la géopolitique de notre continent", a averti le président français avec gravité, à l'issue d'un Conseil de défense réuni d'urgence. "Nous appuierons l'Ukraine sans hésiter, et nous prendrons toutes nos responsabilités pour protéger la souveraineté et la sécurité de nos alliés européens", a-t-il ajouté.
L'Elysée a précisé que les mesures "militaires" évoquées par le chef de l'Etat signifiaient l'envoi de troupes supplémentaires en Roumanie sous l'égide de l'Otan, qui feront l'objet de discussions lors d'un sommet de l'Otan vendredi.
• Que peuvent faire les Occidentaux?
Si les condamnations à l'international sont unanimes face à l'offensive russe, la marge de manoeuvre des pays occidentaux reste relativement restreinte.
"Notre marge de manœuvre est assez étroite. On peut juste s'indigner pour l'instant, car Joe Biden a dit qu'il était hors de question d'envoyer des soldats américains sur le sol ukrainien", a expliqué sur le plateau de BFMTV Patrick Martin-Grenier, enseignant à Sciences Po et spécialiste des questions européennes et internationales.
Si dans les faits la solution militaire semble exclue, la Pologne, membre de l'Otan et qui partage sa frontière Est avec l'Ukraine, a néanmoins annoncé qu'elle demandait l'activation de l'article 4 du traité de l'Otan, qui prévoit des consultations en cas de menace à la sécurité de l'une des parties.
Sur le volet des sanctions économiques, le G7, qui compte parmi ses membres la France, mais également les États-Unis et le Royaume-Uni, doit également se réunir ce jeudi, tout comme le Conseil européen, qui rassemble les différents chefs d'États de l'Union européenne.
Sur la table figurera notamment l'exclusion de la Russie du système financier Swift, qualifiée "d'arme nucléaire" de par les conséquences qu'elle aurait sur l'économie russe.
• Quelles conséquences en France?
Inévitablement, les tensions entre les deux pays vont avoir des incidences sur le quotidien des Français. Ce jeudi, l'invasion de l'Ukraine a propulsé le baril à plus de 100 dollars, la Russie étant l'un des premiers producteurs mondiaux de gaz et de pétrole, affolant les investisseurs quant à d'éventuelles ruptures d'approvisionnement en énergie.
"Les intentions de Moscou de lancer une attaque militaire contre son voisin avaient été annoncées ces dernières semaines", ce qui, "au milieu de pénuries d'approvisionnement plus larges, a contribué à soutenir le rallye des prix du pétrole", a commenté Ricardo Evangelista, analyste chez ActivTrades, auprès de l'AFP. "Si un assaut militaire complet est lancé, confirmant le scénario le plus redouté", poursuit-il, "les pénuries d'approvisionnement en pétrole risquent de s'aggraver et de nouvelles hausses de prix sont à prévoir".
Ce jeudi encore, les prix des ont atteint jeudi matin des niveaux record en séance sur le marché européen, avec un pic totalement inédit pour le blé à 344 euros la tonne sur Euronext, ont indiqué des analystes et courtiers à l'AFP.
De plus, de nombreuses entreprises françaises sont installées en Russie, parmi lesquelles Total, Auchan, Renault ou Décathlon et risquent de voir leur activité menacée par la crise ukrainienne.
L'invasion russe a également eu un impact direct sur les Bourses européennes qui se sont effondrées ce jeudi. A la mi-journée, la Bourse de Francfort chutait de 5,17%, Milan de 5,10%, Paris de 5,02%. L'Eurostoxx 50, indice européen de référence dégringolait de 5,20%.
• Quelles sanctions possibles?
L'Union européenne a condamné ce jeudi le comportement "intolérable" de la Russie et prévenu que le régime du président russe Vladimir Poutine allait devoir affronter "un isolement sans précédent."
Celles-ci s'ajouteront à celles prises plus tôt dans la semaine. Plusieurs premières sanctions avaient été en effet été adoptées par l'UE à la suite de la reconnaissance par Moscou des entités séparatistes prorusses de Lougansk et de Donetsk, dont des sanctions individuelles. Les personnes sanctionnées sont privées d'accès au territoire de l'UE, leurs avoirs y sont gelés et il est interdit de les financer. Sont visés les 351 membres de la Douma russe qui ont voté le 15 février l'appel au président Vladimir Poutine en faveur d'une reconnaissance des deux "républiques" auto-proclamées.
L'UE a également instauré une "restriction" des capacités de financement de l'Etat russe, de son gouvernement ainsi que de la Banque centrale. En limitant "l'accès aux marchés financiers et de capitaux" européens, cette mesure pénalisera le refinancement de la dette russe.