Omrane, Aylan et les autres: ces photos d’enfants qui ont marqué l’histoire
La photo du petit Omrane, un enfant syrien sorti des décombres de sa maison bombardée à Alep, a fait le tour du monde. Devenu le symbole de la souffrance des enfants confrontés à la guerre, il n’est pas sans rappeler Aylan Kurdi, un autre enfant syrien, mort échoué sur une plage turque en 2015 alors que sa famille tentait de rejoindre l’Occident. Leurs drames ont été immortalisés par des photographes et les clichés viennent s’ajouter à une longue liste de photos d’enfants qui ont marqué l’actualité et, pour certaines, l’histoire.
Omrane, symbole de la souffrance des enfants dans le conflit syrien (2016)
A peine sorti des décombres de sa maison, touchée par un raid dans la ville syrienne d’Alep, le petit Omrane est assis dans une ambulance, visiblement en état de choc, alors qu’un mur s’est abattu sur lui quelques instants plus tôt. Il est blessé à la tête, son visage est recouvert de poussière et de sang. Photographié par Mahmoud Rslan quelques minutes après son évacuation, il fixe l’objectif. "J'ai pris beaucoup de photos d'enfants morts ou blessés par les raids qui s'abattent au quotidien" sur la partie rebelle d'Alep, raconte Mahmoud, joint par l’Agence France-Presse (AFP).
"D'habitude ils sont soit évanouis soit en pleurs. Mais Omrane était là, sans voix, le regard vide, c'était comme s'il ne comprenait pas très bien ce qui venait de lui arriver", raconte le photographe de 27 ans.
La photo est bouleversante, mais la vidéo tournée au même moment est encore plus marquante. On y voit le petit garçon de 4 ans s’essuyer le visage du revers de la main et regarder sa main ensanglantée d’un air incrédule. Comme l’enfant qu’il est et comme par réflexe, il l’essuie simplement sur le siège sur lequel il est assis. Son frère, sa sœur et ses parents ont eux aussi été sortis des décombres de leur maison. Alors que le conflit syrien dure depuis 5 ans, les enfants en sont les premières victimes. 30 à 40.000 d’entre eux auraient été tués depuis 2011. D’après un rapport de l’Unicef publié en mars 2016, un enfant syrien sur trois n’a connu que la guerre.

Aylan a révélé au monde le drame des réfugiés (2015)
C’est l’image qui a fait comprendre au monde le drame des migrants fuyant leur pays en guerre. Le corps d’Aylan Kurdi, un enfant syrien de 3 ans, est retrouvé sur une plage de Bodrum, en Turquie, en septembre 2015. Il est photographié au petit matin par la photographe Nilufer Demir. Face contre terre sur le sable, le petit garçon est vêtu d’un pantalon bleu et d’un t-shirt rouge, tandis qu’un officier turc s’approche de lui. Le frère d’Aylan, âgé de 5 ans, est également mort au cours de ce périple, de même que leur mère. Le père des deux petits garçons, séparé de ses proches pendant le naufrage de leur embarcation, apprendra leur mort quelques heures après à l’hôpital de la ville.
La famille du petit garçon, d’origine kurde, s’était installée en Turquie après avoir fui la ville de Kobané, dans le nord de la Syrie, puis la capitale, Damas. Après deux échecs successifs, la famille Kurdi avait décidé de traverser la Méditerranée à bord d’un petit bateau, après s’être vu refuser l’asile par le gouvernement canadien. Quelques mois après le drame, les survivants de la famille Kurdi ont finalement obtenu le droit d’asile et ont rejoint des proches installés au Canada.

La petite fille aux yeux bleus, icône du martyr des Yézidis (2014)
En novembre 2014, à la frontière entre la Syrie et l’Irak, un photographe de Reuters, Youssef Boudlal, photographie des réfugiés Yézidis ayant fui les persécutions de Daesh. Le groupe terroriste, qui a pris à ce moment-là la majeure partie du nord irakien, considère les membres de cette minorité comme des "adorateurs du diable", rappelle le photographe, qui commente son travail sur le blog Wider Image. Ce jour-là, Youssef Boudlal remarque une petite fille blonde aux yeux bleus, dont l’intensité n’est pas entamée par son épuisement. Pour rejoindre la frontière, tous ont marché pendant des jours sous 45 degrés, sans eau ni nourriture. Son portrait fera le tour du monde et deviendra le visage des Yézidis persécutés.
Appartenant au groupe des kurdes, les Yézidis sont adeptes d’une des plus vieilles religions monothésites. Après avoir pris la ville de Sinjar, Daesh les a forcés à se convertir à l’islam, menaçant de mort les réfractaires et capturant des femmes et des filles pour en faire des esclaves sexuelles et les vendre sur des marchés. La libération de la ville par les Kurdes, en novembre 2015, a révélé l’ampleur des massacres commis contre les Yézidis, lorsque des charniers ont été découverts. L’image sera sacrée meilleure photo Reuters de l’année, un prix que l'auteur a dédié à la petite fille.
L’enfant et le vautour, image de la famine au Soudan (1993)
En 1993, Kevin Carter, un photoreporter sud-africain, se rend au Soudan pour enquêter sur la famine et la guerre civile qui ravagent le pays. En compagnie d’autres photographes, il rejoint la ville d’Ayod et tombe sur un enfant squelettique, à bout de forces, qui se traîne pour rejoindre le centre d’approvisionnement. Alors qu’un vautour vient se poser tout près de lui, Kevin Carter décide de photographier l’enfant.
La photo choc est publiée en une du New York Times le 26 mars 1993. A partir de ce jour, les réactions, parfois très virulentes, se multiplient, d’aucuns accusant Murphy de charognard, lui reprochant d’avoir laissé mourir l’enfant. L’année suivante, il obtient le Prix Pulitzer pour cette photo. Quelques mois plus tard, déprimé et sans argent, le photographe se suicide.
- En réalité, le petit garçon, longtemps pris pour une fillette, se trouvait tout près de son père et du centre humanitaire. Le bracelet autour de son poignet montre aussi qu’il était pris en charge. Comme le rapporte Le Monde, qui est revenu sur cette image en 2013, l’enfant n’est pas mort cette année-là mais quatorze ans plus tard, des suites du paludisme. Dans la lettre laissée à sa mort, Kevin Murphy n’évoquera pas la photo, mais "les souvenirs persistants de massacres et de cadavres" qui le hantaient, tout comme sa photo continuera de hanter le monde.
L’afghane aux yeux verts photographiée par Steve McCurry (1985)
Ses yeux verts ont fait la une du National Geographic et le tour du monde. En 1985, Sharbat Gulla, une jeune fille afghane de 13 ans, orpheline, fait partie des réfugiés qui fuient l’invasion soviétique. En 1984, le célèbre photographe Steve McCurry immortalise ses yeux verts, rendus encore plus expressifs par le contraste avec son foulard rouge, troué.
“Elle avait quitté son village sous les bombes et marché deux semaines dans les montagnes enneigées pour gagner le camp de réfugiés pakistanais de Nasir Bagh. Je l’ai croisée par hasard sous une tente reconvertie en école. Malgré sa timidité, elle a accepté d’être photographiée, dans un recoin où perçait la lumière matinale, loin de la rumeur et du désordre du camp", avait raconté Steve McCurry, cité par le National Geographic en 2015.
- Quand il la prend en photo, le photographe ne connaît pas son nom, n’ayant pas d’interprète. Parti à la recherche de son modèle dans les années 90, il finit par retrouver sa trace en 2002. Mère de trois enfants, elle apprend alors le succès qu’a remporté son portrait, qu’elle avait ignoré jusque-là.
Omayra Sanchez, morte sous les yeux du monde (1985)
En novembre 1985, en Colombie, l’éruption du volcan Nevado del Ruiz fait plus de 20.000 morts. De nombreuses victimes sont ensevelies par les tonnes de boue et de cendres relâchées par le réveil du volcan, après 140 ans de sommeil. Omayra Sanchez, une jeune fille de 13 ans, est prisonnière des débris, ses jambes sont coincées sous l’eau, elle est blessée à la taille par une barre de fer et les secours n’arrivent pas à la dégager. Après avoir perdu plusieurs proches dans la catastrophe, elle agonise pendant près de 60 heures, accompagnées de plusieurs sauveteurs impuissants et fait ses adieux à sa mère, en direct à la télévision.
Envoyé sur place, Franck Fournier, de l’agence Contact Press Images, la photographie et reste auprès d’elle jusqu’à sa mort, le matin du 16 novembre. La photo, publiée en une de Paris Match, révolte une partie de l’opinion, qui ne comprend pas pourquoi personne n’est parvenu à faire sortir la fillette de l’eau. Les sauveteurs ont pourtant tout tenté pour la secourir. Le cliché obtient le World Press Photo l’année suivante.
- "C'est très important que cette image et d'autres aient été faites: grâce à elles, le gouvernement colombien a réalisé sa responsabilité et son devoir. Nous voulions montrer l'irresponsabilité des élus, des militaires et des religieux qui ont tous fui devant leur responsabilité", a expliqué Franck Fournier en 2014, interrogé sur France Inter.

La petite fille au Napalm, martyr de la guerre au Vietnam (1972)
La rumeur veut que ce cliché ait obsédé Richard Nixon, l’ancien président américain. En pleine guerre du Vietnam, Nick Ut, photographe pour l’agence Associated Press, prend l’une des photos les plus célèbres au monde, qui lui vaudra aussi le Prix Pulitzer: celle d’une petite fille de 9 ans, hurlant de douleur après avoir été brûlée au napalm dans le bombardement de son village par l’armée américaine, le 8 juin 1972.
Entièrement nue, Kim Phuc a arraché ses vêtements en feu. Si les brûlures de l’enfant n’apparaissant pas clairement sur le cliché, un tiers de son corps a été touché, des lambeaux de peau se détachent de son corps et ses cheveux, initialement tenus par une queue de cheval, ont brûlé. Après la photo, Nick Ut la conduit à l’hôpital, où ses blessures ont failli la tuer. Tous deux resteront liés à vie et, plus de quarante ans plus tard, Nick Ut dit la considérer comme sa fille.