La Turquie, entre crises et islamisation

Des jeunes Turcs manifestent contre le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, le 18 janvier 2014, à Istanbul. - -
Il s'agit de la première visite d'un président français sur le sol turc depuis 22 ans. François Hollande est arrivé en Turquie, lundi, pour une visite officielle de deux jours. Ce déplacement important pour les relations entre les deux pays tombe à un moment peu opportun, la Turquie traversant une crise à la fois politique et économique depuis 2013, alors que des élections se profilent. BFMTV.com fait le point sur la situation sur place et sur l'état des rapports entre Paris et Ankara.
> La Turquie traverse-t-elle une crise?
Après une année 2013 marquée par le fameux mouvement de la place Taksim, une révolte populaire partie d'Istanbul pour finalement gagner tout le pays contre le gouvernement islamo-conservateur du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, ce début 2014 est frappé par une profonde crise économique. La livre turque est en chute libre, à tel point que la Banque centrale nationale se réunit en urgence mardi, second jour de la visite de François Hollande.
Par ailleurs, un vaste scandale de corruption éclaboussant des proches du gouvernement membres de l'AKP, le parti de Recep Tayyip Erdogan, a éclaté fin décembre, entraînant un large remaniement ministériel. "L'AKP, qui se définit lui-même comme démocrate-musulman, est un parti conservateur qui, depuis dix ans, a gagné toutes les élections sans difficultés", explique à BFMTV Dorothée Schmid, chercheuse à l'Ifri et spécialiste de la Turquie. "Pour la première fois, l'AKP voit les sondages pré-électoraux donner une légère baisse du soutien de la population turque, or on va avoir en 2014 au moins deux élections, locales et présidentielle", poursuit la spécialiste.
> Assiste-t-on à une islamisation de la société turque?
Alors que la laïcité est inscrite depuis près de cent ans dans la Constitution turque et que la Turquie est souvent citée en exemple parmi les pays musulmans, Recep Tayyip Erdogan a multiplié, ces derniers mois, les mesures ouvrant la voie à une islamisation de la société. A commencer par les restrictions du droit à l'avortement ou de la vente d'alcool entre 22 heures et 6 heures. Cette dernière mesure avait poussé de nombreux Turcs à descendre dans la rue, à l'été 2013, ce qui n'a pas empêché la loi d'entrer en vigueur, début septembre.
Autre changement considéré comme une dérive islamiste par la frange laïque de la société: l'apparition du voile au Parlement et dans les institutions publiques, depuis l'automne. Même chose dans les universités, où les étudiantes étaient jusqu'alors contraintes de se découvrir pour entrer sur les campus. Enfin, dernière inquiétude en date du côté des laïcs: la volonté du régime en place de transformer la basilique Sainte-Sophie d'Istanbul en mosquée.
Mais selon les experts, ce florilège de mesures viserait en large partie à consolider la base conservatrice de l'électorat d'Erdogan, à l'approche des élections.
> Où en sont les relations franco-turques?
Le quinquennat de Nicolas Sarkozy a été particulièrement rude pour les relations bilatérales entre Paris et Ankara. L'ancien chef de l'Etat était effectivement très hostile à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, s'attirant les foudres de Recep Tayyip Erdogan. Par ailleurs le vote, en France, de lois reconnaissant le génocide arménien de 1915, avait contribué à fragiliser davantage le lien entre les deux puissances.
L'arrivée de François Hollande a marqué un certain progrès par rapport au quinquennat de son prédecesseur sur la question de l'adhésion à l'Union européenne, et le climat bilatéral est apaisé. "La France a débloqué un des chapitres de la négociation et a donc démontré sa bonne volonté pour relancer les discussions", précise Dorothée Schmid. Le président de la République devrait toutefois profiter de cette visite officielle -la première depuis 1992- pour rappeler à Ankara la condition sine qua none d'un rapprochement avec l'UE, à savoir le respect de l'Etat de droit.
Quant à la question sensible du génocide arménien, François Hollande a tout intérêt à l'éviter, pour le bon déroulement de sa visite. Mais il y a fort à parier que les Turcs soulèveront eux-mêmes le problème.