INTERVIEW - Syrie: "L'arme chimique est à la portée d'Assad"

L'usage de gaz chimiques par le régime syrien, le 21 août à Damas, ne semble faire aucun doute pour Olivier Lepick. - -
Alors que la question des armes chimiques est plus que jamais d'actualité avec la crise syrienne, comment savoir qui est en mesure de les utiliser, et comment?
Notre spécialiste géopolitique Harold Hyman a posé la question à Olivier Lepick, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, spécialiste mondial des armes chimiques.
Les armes chimiques sont-elles à la portée d'un pays moyennement avancé?
D'abord, l'arme chimique, à ne pas confondre avec l'arme biologique, est clairement à la portée de l'État syrien. Le régime d'Assad a l'arme chimique, et maintient un programme classique parmi les plus importants du monde. Le régime possède également le système d'armes nécessaire à la livraison (le tir, l'impact et la dissémination) des agents toxiques: le vecteur (obus, roquette) transporte, mais il y a aussi le reste pour lancer.
Jusqu'à la Convention de 1993, la France, la Chine, la Russie et les USA avaient ce genre d'armes. Dès 1996 la destruction, qui est encore en cours, a commencé. Dans le cadre de cette Convention, les États s'inspectent mutuellement pour vérifier la destruction effective. C'est un processus lent, une affaire de professionnels, et les inspections des uns chez les autres continuent.
Le gouvernement syrien n'a jamais rien permis d'aussi technique. Au contraire, les inspecteurs de l'ONU ont été maintenus loin des lieux des frappes du 21 août, suffisamment longtemps pour que les preuves se dégradent.
Les frappes aériennes peuvent-elles détruire le programme d'armement chimique?
De telles frappes aériennes ne suffiraient pas pour détruire les armes chimiques, ou plutôt des frappes répandraient d'immenses stocks des gaz sur les populations avoisinantes. Pour en finir avec un programme et un stock chimique, il faut donc un processus comme celui des signataires à la Convention de 1993. Ainsi, on ne bombardera pas les caches d'armes chimiques.
Comment peut-on être sûr que les tirs autour de Damas sont le fait d'Assad?
Cela ne fait de doute qu'Assad tire, massivement. L'obus chimique a un rayon d'action de 500m, les doses sont calculées, les morts collatérales sont plus grandes qu'avec un obus explosif classique. La létalité du projectile chimique est donc plus grande que celle d'une arme conventionnelle, et c'est donc pourquoi le régime est passé au chimique. En plus, cela terrorise les populations civiles. Un message clair va, avec ces tirs chimiques, pousser les populations à la fuite massive.
Ce qu'Assad dit notamment dans Le Figaro est faux. Il explique que si des armes chimiques avaient été utilisées, les soldats de l'armée gouvernementale auraient été touchées par des particules chimiques. Voilà un argument ridiculement faux, car le b-a-ba de l'usage de l'arme chimique est de doser et de calculer la zone touchée. On contrôle la dose, et il n'y a pas normalement de danger pour l'utilisateur.
Et puis il y a les vidéos provenant de Syrie, que j'ai dérushé pendant de nombreuses heures. Ce que j'ai vu est bien au-delà des capacités de reconstitution d'un blockbuster hollywoodien.
Trop de responsables politiques polluent le débat avec des incertitudes factices. On est certain de l'usage et de l'utilisateur, ils ne doivent pas prétendre le contraire. S'ils sont par ailleurs opposés aux frappes, qu'ils ne se justifient pas en invoquant des incertitudes. En matière de preuve il n'y a jamais de "smoking gun", d'arme qui vient de servir et qui est encore chaude.
Enfin, autre élément: la massivité de l'usage, sur 4 cibles dans un laps de temps très court. La rébellion, ni aucune force non étatique, ne peut tirer 4 coups en même temps, à l'artillerie et à la roquette. On aurait pu concevoir que l'opposition ait un élément chimique, mais impossible de l'utiliser comme ça et en cette quantité.
Connaît-on les lieux de fabrication des armes chimiques?
On sait où se trouve la capacité syrienne de fabrication, que l'on ne devrait pas bombarder à cause du risque. L'unique centre de fabrication où il n'y a pas actuellement d'éléments chimiques est Al Safirah, peut-être que celui-ci pourrait être bombardé. On pourrait bombarder les centres de commandement. Mais on ne bombarde par l'arme chimique pour la détruire.
Y a-t-il des armes chimiques dans le camp de l'opposition?
Je n'ai rien de probant sur un usage par l'opposition. Aucun fait ne me laisse penser qu'il y aurait eu usage. On a toujours eu la crainte qu'Al-Qaïda en obtienne, mais c'est d'un maniement et d'un usage extrêmement complexe. Il est clair que ni le Hezbollah ni Al-Qaïda n'ont les moyens de fabriquer organo-phosphorés.
L'arme chimique est-elle une arme nucléaire du pauvre?
Non, c'est à mi-chemin entre arme conventionnelle et arme nucléaire et biologique. Ces deux dernières sont infiniment plus destructrices.