Gaza: un an après le début de la guerre, l’enclave dévastée toujours plus coupée de l’aide humanitaire

Des soldats israéliens au point de passage de Kerem Shalom, à la frontière entre Gaza et Israël, le 19 décembre 2023 - Menahem KAHANA / AFP
Une goutte d’eau dans un océan. C’est l’image utilisée par de nombreuses ONG pour décrire le décalage entre les besoins de la population gazaouie, épuisée et affamée par un an de guerre, et l’aide humanitaire acheminée dans l’enclave palestinienne.
Déjà isolée par un blocus israélo-égyptien depuis la prise de pouvoir du Hamas en 2007, la bande de Gaza est en état de siège depuis les attentats terroristes du 7 octobre dernier. Pris en étau par l’armée israélienne, les habitants subissent, en plus des bombardements, de graves pénuries d’eau, d’électricité, de carburant, de nourriture et de médicaments.
Catastrophe humanitaire
La guerre à Gaza a fait plus de 41.600 morts et plus de 96.600 blessés selon le ministère de la Santé du Hamas, des chiffres jugés crédibles par l'ONU. Elle provoque aussi une grave crise sanitaire et humanitaire.
Selon le bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Ocha), 96% de la population gazaouie est confrontée à des niveaux élevés d'insécurité alimentaire aiguë. La promiscuité, les conditions d'hygiène extrêmement mauvaises et la destruction du réseau d'assainissement favorisent aussi la circulation des maladies comme la polio.
Pour accueillir les patients, seulement 16 des 36 hôpitaux à Gaza sont opérationnels, mais "partiellement" selon l'OMS. Saturés, ils font face à un "afflux massif de blessés" victimes des bombardements.
Cette catastrophe peine à être résorbée par les instances internationales et les ONG tant l’accès à l’enclave est difficile. Les chiffres sont éloquents: avant le 7 octobre, entre 300 et 500 camions d'approvisionnement entraient chaque jour à Gaza, où la majeure partie de la population dépendait déjà de l’aide humanitaire.
En septembre 2024, seule une cinquantaine de camions en moyenne ont traversé quotidiennement la frontière, toujours selon le bureau des affaires humanitaires de l’ONU. Depuis le 7 octobre, le pic de la livraison d’aide humanitaire à Gaza a été atteint en avril, avec l’entrée de 5.800 camions, soit une moyenne de 169 camions par jour.
La prise de Rafah, un tournant
Dépendant des opérations militaires de l'armée israélienne, les humanitaires ont vu l'accès à la bande se détériorer au fil du conflit. En mai dernier, la prise par Israël de Rafah au sud de l'enclave a été un tournant. Cette ville, aujourd’hui détruite, constituait en effet l’un des très rares points d’entrée dans la bande de Gaza autorisés par l’armée israélienne.
Pour accéder à la partie sud de Gaza, où la majorité de la population a été déplacée, le seul terminal ouvert est désormais celui de Kerem Shalom, à la frontière israélienne. “Un goulet d’étranglement énorme”, décrit à BFMTV.com Amande Bazerolle, responsable adjointe des urgences à Médecins sans frontières en charge de Gaza.
Le poste frontière ne peut en effet pas absorber la quantité de camions humanitaires qui souhaitent entrer dans la bande de Gaza, d’autant que ces derniers doivent subir une longue inspection de sécurité avant d'y pénétrer.
"Il faut ranger les camions d’une certaine manière pour qu’ils soient acceptés par les autorités israéliennes", explique Amande Bazerolle. Les humanitaires doivent aussi négocier durement pour faire passer les dual-use items, ces objets "à double usage” qui peuvent être détournés à des fins militaires selon l’armée israélienne. Pour une ONG médicale comme MSF, "il peut s’agir de ciseaux, de scalpels ou encore d’autoclaves pour la stérilisation", détaille Amande Bazerolle.
Médicaments périmés
Les embouteillages se produisent également en amont de la frontière. Avant d’entrer à Gaza, l’essentiel de l’aide humanitaire doit en effet transiter par un centre logistique d’Al-Arish, dans le Sinaï en Égypte.
Les camions y sont inspectés une première fois avant d’être envoyés vers Kerem Shalom. Un processus qui peut prendre plusieurs semaines. Selon des chiffres fournis par MSF, quelque 1.100 camions attendaient encore à Al-Arish le 27 septembre dernier.
Cette procédure longue et complexe peut avoir de lourdes conséquences. "La nourriture pourrit et les médicaments périment alors que des familles sont confrontées à un niveau de famine sans précédent à quelques kilomètres seulement", indique Amnesty international dans un communiqué signé par 20 ONG humanitaires, et qui dénonce "l’obstruction délibérée exercée aux points de passage sous contrôle israélien".

"L’aide qui arrive n’est parfois plus adaptée à nos besoins car la situation a changé entre temps du fait de l’évolution des opérations militaires", ajoute Amande Bazerolle de MSF.
Lorsqu’ils peuvent enfin rentrer dans la bande de Gaza, les camions sont par ailleurs exposés à la grande insécurité qui règne dans l'enclave, entre présence du Hamas, bombardements israéliens et bandes de pillards. L'aide alimentaire, en particulier, est prise d'assaut par des habitants affamés.
Israël nie toute obstruction
Dans ces conditions, certaines ONG ont été contraintes de réduire fortement leurs opérations. C’est le cas du Secours Islamique France (SIF), qui basait son aide à Gaza moins sur de la livraison de marchandises que sur des partenariats locaux.
"Avant la guerre, nous avions plusieurs programmes d’aide au développement. Des projets autour de l’agronomie, de la potabilisation de l’eau ou de l’accompagnement des orphelins", liste Souleymane Abba Gana, directeur des programmes et opérations à l’international de l’ONG. "Mais aujourd’hui, 95% de nos actions sont à l’arrêt”, explique-t-il à BFMTV.com.
L’association basée à Massy (Essone), qui compte une quarantaine de salariés sur place, poursuit ses actions d’urgence auprès de la population et réalise, quand le contexte le permet, des distributions de nourriture. Fin août, elle est notamment parvenue à faire entrer dans Gaza un colis de viande pour 44.000 personnes déplacées par le conflit dans les zones de Deir Al Belah et Khan Younès. Des denrées qui avaient dans un premier temps été congelées, faute d’accès à l’enclave. “Il avait été impossible d'agir immédiatement à cause de la fermeture totale du point de passage de Rafah”, précise l’ONG.
Quand l’importation est impossible, le SIF achète également des denrées à l’intérieur de Gaza sur les quelques marchés où la pénurie n’est pas totale pour les redistribuer aux habitants qui n’ont plus les moyens. “Des fermiers que nous accompagnions avant la guerre nous ont aussi permis localement de fournir des fruits et des légumes”, ajoute Souleymane Abba Gana.
Côté israélien, le Cogat, l'administration qui gère l'accès humanitaire à la bande de Gaza, nie toute obstruction volontaire. "Il n'y aucune famine dans la bande de Gaza. Depuis le début de la guerre, plus d'un million de tonnes d'aide sont entrées, dont 70% de nourriture", indique une vidéo publiée sur X, au mépris des nombreuses alertes de l'OMS sur la malnutrition dans l'enclave.
L'instance israélienne n'hésite pas à renvoyer la faute sur l'ONU. "Actuellement, le contenu de 490 camions attend d'être récupéré du côté gazaoui de Kerem Shalom (...) Nous demandons instamment à l'ONU de collecter l'aide en attente", a écrit le Cogat sur le même réseau social le 25 septembre.
Largage, pont flottants... Des ratés humanitaires
Des solutions alternatives ont été envisagées pour livrer l'aide humanitaire, mais toutes se sont révélées être des échecs et ont presque aussitôt été abandonnées. Mi-juillet, les États-Unis ont ainsi renoncé à leur jetée à Gaza, destinée au déchargement d'aide.
Depuis son installation en avril par l'armée américaine, la plateforme portuaire préfabriquée a surtout fait parler d'elle par son accumulation d'échecs, contrastant avec le discours officiel des autorités à Washington la présentant comme un motif d'espoir pour les centaines de milliers d'habitants de Gaza menacés par la famine.
D'un coût de construction de 230 millions de dollars, cette infrastructure flottante est apparue particulièrement vulnérable à la houle et s'est détachée du rivage à plusieurs reprises en raison des conditions météorologiques depuis son installation mi-mai.
Le pont maritime n'a permis la livraison que de quelques centaines de tonnes d'aide, l'équivalent de 600 camions selon une estimation du Financial Times. Il "n'a pas atteint le but du gouvernement américain d'acheminer assez d'aide pour nourrir 500.000 personnes par mois, ou 1,5 million de personnes en trois mois", et a au final "livré assez d'aide pour nourrir 450.000 personnes pendant un mois", selon un rapport critique de l'Agence américaine de développement (USAID).
"Les annonces (...) de nouvelles initiatives, telles que le nouveau 'port flottant', n’ont fait que donner l’illusion d’une amélioration", a dénoncé Amnesty International.
Le même problème s'est posé pour le largage de cargaisons par avion, réalisé notamment par la France et la Jordanie. "Les quantités sont largement insuffisantes et on ne sait jamais où ça va tomber et qui va les récupérer. C'est carrément dangereux", balaye Amande Bazerolle de Médecins sans frontières.
Pour les ONG, les solutions à la crise sont simples: ouvrir le maximum de points d'entrée aux frontières de Gaza et décréter un cessez-le-feu pour permettre à l'aide humanitaire d'atteindre les quelque 2,2 millions de personnes vivant dans l'enclave.