Cessez-le-feu impossible, Kiev à nouveau menacée: au 50e jour de guerre en Ukraine, une résolution du conflit toujours hors de portée

Un soldat russe près de Lougansk, le 13 avril. - Alexander Nemenov
C'était le 24 février dernier. Après des semaines de tension - et huit ans d'affrontements entre Kiev et républiques séparatistes dans l'est du pays -, Vladimir Poutine lançait ses troupes à l'assaut de l'Ukraine. Ce jeudi marque le cinquantième jour de l'agression russe.
La campagne-éclair rêvée par le Kremlin a depuis fait long feu et au bout de ces six semaines de combat, le front semble stabilisé. Ou enlisé. Car tandis que les principaux combats se déroulent désormais dans le sud-est de l'Ukraine, autour du port de Marioupol, en attendant une probable grande offensive russe dans le Donbass voisin, la situation est également bloquée au plan géopolitique et diplomatique. BFMTV.com fait le point ce jeudi sur le conflit.
• Un cessez-le-feu humanitaire qui "semble impossible"
En 50 jours de guerre, ils sont nombreux à avoir tenté de faire tirer les deux nations belligérantes de l'ornière. Les tractations internationales sont en effet continues. Les dirigeants mondiaux ne cessent d'insister auprès de Moscou pour l'ouverture de corridors humanitaires permettant d'évacuer les civils. Mais ni Emmanuel Macron et ses coups de fil au Kremlin, ni le chancelier autrichien, Karl Nehammer, et sa visite rendue lundi en ses murs à Vladimir Poutine, n'y sont parvenus. Et mercredi, c'était au tour des Nations Unies de désespérer.
Au cours d'une conférence de presse, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres a renoncé à son ambition d'obtenir un "cessez-le-feu humanitaire" sur le front.
"C'est ce à quoi nous appelions, pour des raisons humanitaires, mais cela ne semble pas possible", a-t-il lâché face aux journalistes.
Son adjoint, Martin Griffiths, a eu beau être dépêché à Moscou afin de récolter des garanties sur l'acheminement de secours aux civils dans les régions touchées par le conflit, voire concernant de possibles évacuations, le patron de l'organisation internationale a reconnu que ces demandes étaient restées lettres mortes.
• La Russie menace les centres de commandement ukrainiens
La Russie continue donc de bomber le torse sur la scène planétaire. Pourtant ces cinquante derniers jours n'ont pas franchement confirmé qu'elle dominait le rapport de forces militaire. Et la guerre qu'elle a déclenchée a déjà changé plusieurs fois de visages, sous le coup des circonstances, de la résistance ukrainienne et de son incapacité à emporter la décision. Finie la campagne-éclair, place à la guerre de positions et de siège ; terminée l'offensive dans le nord-est, le Kremlin a admis la nécessité pour ses soldats de se replier dans le sud-est.
Toutefois, si Moscou a abandonné sa cible prioritaire et initiale, c'est-à-dire la ville de Kiev, le régime menace d'y revenir. En effet, mercredi, prétextant des tirs et des actes de sabotage ukrainiens perpétrés sur le sol russe, le porte-parole du ministère de la Défense local a tempêté:
"Si de tels événements se poursuivent, des frappes seront menées par l'armée russe sur des centres de prise de décision, y compris à Kiev, ce que l'armée russe s'est retenue de faire jusqu'à présent".
Le Kremlin peut bien s'enfoncer dans ses tentatives d'intimidation, il a déjà perdu gros sur le terrain. D'après le site néerlandais Oryx - qui suit pas à pas l'évolution du conflit en listant les dégâts matériels subis par les deux ennemis grâce à l'examen de photos et de vidéos -, les Russes ont déjà laissé dans la bataille 2884 véhicules dont 1538 ont été purement simplement détruits dans le feu des combats. En face, les Ukrainiens ont essuyé la perte de 774 véhicules dont 353 ont eux aussi été détruits.
• Le sort tragique de Marioupol
On aurait tort cependant d'enterrer la capacité de nuisance de l'armée russe et de sous-estimer la gravité de la situation militaire de l'Ukraine. Ainsi, une seule question plane désormais au-dessus de Marioupol - située sur la berge de la Mer d'Azov - qui s'affirme comme le symbole de cette guerre: cette ville, dont la prise permettrait aux Russes d'unifier leur zone d'influence dans le sud-est ukrainien, est-elle déjà tombée ou s'apprête-t-elle à chuter?
Car de l'aveu même de l'armée ukrainienne - à en croire un communiqué publié lundi sur Facebook par la 36e brigade de la marine nationale - il n'y a plus rien à espérer dans cette ville pour ainsi dire rayée de la carte, rasée à 90%, assiégée qu'elle est depuis les premiers jours de l'invasion. Les soldats ukrainiens ont en effet concédé qu'ils étaient sur le point de céder, faute de munitions.
Pourtant, les affrontements se poursuivent dans la zone industrielle de l'agglomération. Les forces séparatistes, alliées aux Russes, revendiquent quant à elles le contrôle total du port.
Une affirmation difficilement vérifiable, de même que cette déclaration émanant cette fois de Moscou selon laquelle plus d'un millier de militaires ukrainiens se seraient rendus à l'envahisseur. Kiev conteste la réalité de cette reddition présumée, mais les autorités locales ont confirmé une autre statistique, plus tragique encore, déplorant déjà la mort d'au moins 20.000 personnes à Marioupol.
• L'Ukraine transformée en une vaste "scène de crime"
Marioupol, Boutcha, Borodyanka, Kramatorsk. A mesure que la guerre suit son cours impitoyable, les charniers se succédent. Le procureur de la Cour pénale internationale, le Britannique Karim Khan, a même décrit l'Ukraine mercredi comme une vaste "scène de crime".
"L'Ukraine est une scène de crime. Nous sommes ici parce que nous avons de bonnes raisons de penser que des crimes relevant de la compétence de la Cour sont commis", a-t-il ainsi développé, au cours de sa venue à Boutcha.
La Cour pénale internationale, sise à La Haye aux Pays-Bas, a d'ores et déjà lancé une enquête. Des experts internationaux - dont des Français envoyés par le ministère de la Justice - sillonnent le terrain afin de faire la lumière sur les crimes de guerre russes.
• La communauté internationale désormais divisée
Si le conflit se déroule donc sous les yeux du monde, force est de constater que l'unisson internationale a vécu et que les attitudes commencent à diverger selon les régions du globe. Au cours d'un déplacement ukrainien ce week-end, le Premier ministre britannique Boris Johnson s'est engagé à livrer des blindés à l'Ukraine, contrastant avec la volonté des membres de l'Union européenne de se restreindre à l'envoi d'un matériel exclusivement défensif. Et mercredi, le président américain Joe Biden lui a emboîté le pas, formulant une nouvelle aide équivalente à 800 millions de dollars à l'Ukraine, consistant notamment en équipements lourds.
Les contradictions entre les différents acteurs sont aussi d'ordre sémantique. Ainsi, les dirigeants nord-américains - Joe Biden d'abord, le Canadien Justin Trudeau ensuite - n'hésitent plus à évoquer un "génocide" en cours en Ukraine. Une accusation jugée "inacceptable" par les Russes. Et une bonne part de la communauté internationale préfère rester prudente sur la question. Antonio Guterres a ainsi évacué durant son point-presse:
"Le génocide est strictement défini dans le droit international. Et à l'ONU, nous nous basons sur la détermination juridique des organes judiciaires appropriés".
Emmanuel Macron a également refusé de reprendre ce terme si sulfureux. Mercredi, sur le plateau des 4 Vérités de France 2, il a expliqué sa position: "C'est une folie ce qui est en train de se passer, c'est d'une brutalité inouïe (...) mais je regarde en même temps les faits et je veux essayer au maximum de continuer à pouvoir arrêter cette guerre et à rebâtir la paix, donc je ne suis pas sûr que l'escalade des mots serve la cause". Son partenaire allemand, le chancelier Olaf Scholz, partage d'ailleurs son point de vue.
Une prudence qui passe mal en Ukraine. Dans la foulée de la déclaration du président français, son homologue de Kiev, Volodymyr Zelensky, a dénoncé des propos "très blessants".
Au bout de ces cinquante jours de guerre, la résolution du conflit est donc toujours hors de portée, et les lignes de fractures apparaissent de plus en plus béantes.
