Ukraine: les 3 combattants étrangers condamnés à mort sont-ils protégés par la Convention de Genève?

Aiden Aslin (britannique), Brahim Saadoun (Marocain) et Shaun Pinner (Britannique), ont été condamnés à mort par la République populaire de Donetsk - BFMTV
Deux Britanniques et un Marocain faits prisonniers en Ukraine, où ils combattaient pour Kiev, ont été condamnés à mort jeudi par la justice des autorités séparatistes de Donetsk. "Les prévenus ont été accusés d'être des mercenaires et d'avoir commis des actes visant à prendre le pouvoir et à renverser l'ordre constitutionnel en République populaire de Donetsk", a déclaré Alexander Nikulin, juge suprême de la République populaire de Donetsk, à la sortie du tribunal.
"La cour suprême de la République populaire de Donetsk a condamné à mort les Britanniques Aiden Aslin et Shaun Pinner et le Marocain Brahim Saadoun, accusés d'avoir participé aux combats comme mercenaires", a également indiqué l'agence de presse officielle russe Tass.
Ce verdict est le premier prononcé contre des étrangers combattant en Ukraine, et a rapidement été pointé du doigt pour sa dureté. La communauté internationale rappelle également que ces hommes ne sont pas des mercenaires, mais des soldats de l'armée ukrainienne, et que leur traitement doit tomber sous le coup de la Convention de Genève, qui protège les prisonniers de guerre.
Pourquoi l'accusation de "mercenaire" est-elle importante?
Un mercenaire est "un homme ou une femme qui combat dans le cadre d'un engagement privé pour de l'argent", explique à BFMTV.com Odile Roynette, professeure d'histoire contemporaine à l'université Bourgogne-Franche-Comté, citant par exemple les combattants du groupe paramilitaire russe Wagner, très critiqué. "Ce ne sont pas des soldats, ils ne font pas partie d'une armée constituée, reconnue."
Un mercenaire "s'entend de toute personne qui est spécialement recrutée dans le pays ou à l'étranger pour combattre dans un conflit armé", hors de toute organisation officielle, explique le protocole additionnel aux Conventions de Genève. Or, une personne considérée comme mercenaire "n'a pas droit au statut de combattant ou de prisonnier de guerre".
En qualifiant les trois combattants de mercenaires - accusation pour laquelle ils ont plaidé non-coupable - la République de Donetsk ne se voit donc pas obligée de garantir à ces prisonniers un certain nombre de droits prévus par la Convention de Genève - signée par la Russie et l'Ukraine - comme le droit d'être correctement nourri, de voir sa santé garantie ou encore d'être "traité en tout temps avec humanité".
Les mercenaires "sont hors du droit international, humanitaire, ils ne sont pas protégés", appuie Odile Roynette.
"En tant que prisonniers de guerre, ils sont protégés"
Or, ces trois combattants faisaient tous partie de l'armée ukrainienne, selon les autorités de Kiev, mais aussi leurs familles. Les proches des deux Britanniques s'étaient déjà exprimés en avril, après l'annonce de la capture des deux hommes. La famille d'Aiden Aslin avait ainsi expliqué que ce dernier avait déménagé en 2018 en Ukraine, où il avait rencontré sa compagne et s'était installé à Mykolaïv (sud-est du pays). Il avait décidé de rejoindre les Marines ukrainiens et a servi dans cette unité pendant près de quatre ans.
"Il n'est pas, contrairement à la propagande du Kremlin, un volontaire, un mercenaire ou un espion. Aiden faisait des plans pour son avenir en dehors de l'armée, mais comme tous les Ukrainiens, sa vie a été bouleversée par l'invasion barbare de Poutine", selon sa famille.
La famille de Shaun Pinner avait, elle, expliqué que celui-ci n'était "ni un volontaire ni un mercenaire, mais qu'il sert officiellement dans l'armée ukrainienne conformément à la législation ukrainienne". Il s'était lui aussi installé en 2018 en Ukraine et a épousé une Ukrainienne.
De son côté, Brahim Saadoun était étudiant en Ukraine au moment de l'offensive russe, selon son père, qui a affirmé jeudi, sur le site d'information marocain Madar21, que son fils "n'est pas un mercenaire". D'après la presse marocaine, le jeune homme s'était enrôlé dans l'armée ukrainienne en décembre 2021 pour un contrat de trois ans.
"Les trois hommes étaient membres des forces régulières ukrainiennes et, en vertu des Conventions de Genève, en tant que prisonniers de guerre, ils sont protégés contre les poursuites pour avoir pris part aux hostilités", souligne dans un communiqué Amnesty International. "La seule exception concerne les poursuites pour crimes de guerre présumés", ce qui n'est pas le cas ici selon l'ONG.
"Pas les garanties essentielles d'un procès équitable"
La partialité du procès est également fermement dénoncée. Les trois combattants "n'ont pas été jugés par un tribunal indépendant, impartial et régulièrement constitué, mais par des mandataires russes", souligne Amnesty International.
"Depuis 2015, nous avons observé que le soi-disant système judiciaire de ces républiques autoproclamées ne satisfont pas aux garanties essentielles d'un procès équitable, telles que les audiences publiques, l'indépendance, l'impartialité des tribunaux et le droit de ne pas être contraint de témoigner", a déclaré ce jeudi une porte-parole du Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme, Ravina Shamdasani, rappelant que dans le cas d'une condamnation à mort, "les garanties d'un procès équitable sont d'autant plus importantes".
"De tels procès contre des prisonniers de guerre constituent un crime de guerre", a-t-elle déclaré.
Un moratoire sur la peine de mort est en vigueur en Russie depuis 1997, mais ce n'est pas le cas dans les deux territoires séparatistes de l'Est ukrainien. "La peine de mort fait partie de leur droit, leur loi prévoit la peine de mort", explique à BFMTV.com Carole Grimaud Potter, chargée de cours en géopolitique de la Russie à l'Université de Montpellier.
La question se pose toutefois du pourquoi de cette sentence extrêmement dure, d'autant que la Cour Suprême de Donetsk "n'a jamais appliqué la peine capitale" selon les autorités locales à Tass.
Quel rôle de la Russie ?
Carole Grimaud Potter rappelle le statut à part de la République de Donetsk: considérée comme un territoire indépendant par la Russie elle fait toujours officiellement partie de l'Ukraine pour la communauté internationale. Cette région est très influencée par les Russes, et dans ce contexte, ces prisonniers étrangers peuvent devenir un atout politique important pour Moscou, d'autant que la Russie n'est pas officiellement impliquée dans ce jugement.
C'est la République de Donetsk qui a condamné, pas elle, "la Russie se désengage de cette décision tout en tirant les ficelles", explique l'historienne.
Selon elle, ce jugement pourrait être "un exemple, une réponse à la condamnation du soldat russe, condamné à la prison à perpétuité" à Kiev fin mai pour le meurtre d'un civil. Ces prisonniers représentent également une monnaie d'échange potentielle, pour récupérer des prisonniers russes. "Il est possible aussi que les Russes proposent d'intervenir en faveur des prisonniers, en moyennant cette intervention auprès de la communauté internationale", avance Carole Grimaud Potter.
Reste à attendre désormais le résultat des prochains jugements. Les trois combattants vont "faire appel" de leur condamnation, a précisé à Tass l'avocat de l'un des trois hommes, Pavel Kossovan. Le tribunal a par ailleurs expliqué aux trois condamnés qu'ils pouvaient aussi demander une grâce, ce qui pourrait commuer leur peine en une sentence de détention à vie ou 25 ans de prison.
