Le récit de l'incroyable cavale de Yoann Barbereau entre la Russie et la France

Yoann Barbereau lors de sa conférence de presse, le 10 novembre, à Nantes. - Loïc Venance - AFP
Son histoire est digne d'un film d'espionnage. Yoann Barbereau, ancien directeur de l'Alliance française à Irkoutsk, en Sibérie, qui s'est retrouvé emprisonné puis assigné à résidence en Russie après des accusations de pédophilie sur sa propre fille - accusations qu'il a toujours démenties, assurant avoir été victime d'un "kompromat", un dossier compromettant, monté de toutes pièces contre lui - est arrivé jeudi soir chez lui, à Nantes.
Ce Français de 39 ans est parvenu à fuir la Russie et à rentrer en France, au terme d'une histoire rocambolesque qui s'est achevée par une cavale digne d'un scénario hollywoodien. Ce vendredi, il a raconté son histoire en détail, lors d'une conférence de presse à Nantes, aux côtés de son avocat, Olivier Arnod, et de Thierry Guidet, président du comité de soutien. Une "aventure" de deux ans et demi, qui a nécessité un périple de 8.000 kilomètres et 14 mois de clandestinité.
Emprisonné, puis en cavale
Tout commence le 11 février 2015, lorsque Yoann Barbereau est arrêté par la police russe à Irkoutsk, où il dirige l'Alliance française. La justice russe lui reproche des actes à caractère sexuel sur sa propre fille Héloïse, alors âgée de 5 ans. Une accusation qu'il démentira dès le début de l'affaire. Son épouse, russe, affirme qu'il a été "victime d'un complot qui a été commandité". Un "kompromat", ou dossier compromettant, aurait ainsi été monté contre lui, comportant notamment des preuves fabriquées, à l'aide de photos recadrées, qui lui auraient été volées par un le biais d'un piratage de son ordinateur.
A Irkoutsk, Yoann Barbereau est emprisonné 71 jours, avant d'être interné en hôpital psychiatrique puis assigné à résidence avec bracelet électronique et interdiction de communiquer avec l'extérieur. C'est dans cette ville de Sibérie orientale que commence sa cavale, le 11 septembre 2016.
Ce jour-là, un dimanche matin, il profite de son jour de liberté pour fuir, le plus vite possible, avant que l'alerte ne soit donnée, douze heures plus tard. Il coupe le signal de son bracelet électronique en l'enveloppant de papier aluminium. Et s'enfuit, sans laisser de traces.
Incognito à l'ambassade de France
Il atteint Moscou, à plus de 5.200 kilomètres à l'ouest, à l'aide de l'application de covoiturage Bla Bla Car, qu'il utilise sous une fausse identité. Bien qu'il soit grimé, il ne fait escale sur sa route que dans des grandes villes, pour se fondre dans la population. Et parvient à gagner la capitale russe. Une fois sur place, il se précipite à l'ambassade de France à Moscou. Il n'en ressortira qu'un peu plus d'un an plus tard.
Parallèlement, la justice russe, qui ignore où il se trouve, le condamne par contumace, en décembre 2016, à 15 ans de camp à régime sévère pour des actes sexuels sur sa fille.
Au sein de la représentation diplomatique, Yoann Barbereau est caché dans une "chambre de passage", et seules quelques personnes employées à l'ambassade sont au courant de sa présence. "C'est un miracle que le secret ait tenu si longtemps", a souligné l'intéressé, ce vendredi matin. "Pas mal de journalistes sur place le savaient, et ont tenu le secret. Mais cela commençait à se savoir au sein de la communauté française à Moscou. C'est aussi pour ça que je suis parti", a-t-il expliqué.
Un plan minutieux
Récemment, il prend donc la décision de quitter l'ambassade, dans le but de fuir la Russie. "Je suis sorti de l'ambassade en profitant d'une faille de sécurité. J'ai pris un jour pour acheter du matériel: sac à dos, pince, couteau de survie, lampe de poche, nouveaux téléphones, puces sans nom. L'ambassade n'a su que j'étais sorti que lorsque j'ai traversé la frontière".
Aidé par un ami russe et d'autres soutiens sur place, Yoann Barbereau part à l'ouest. Objectif: la frontière avec un pays de l'Union européenne. Avant son départ, il a pris soin d'étudier dans le détail des cartes satellites, et de préparer minutieusement son plan. "Passer une frontière ne se fait pas comme ça. C'est vrai que ces derniers mois j'ai étudié des cartes satellites, je me suis préparé, j'étais équipé, j'ai eu des complicités" , a-t-il fait valoir jeudi soir dans Envoyé Spécial.
Sur sa route, le Français traverse une grande forêt, marche pendant une dizaine d'heures, croise des loups, craint de voir des ours. Puis il passe à pied la frontière d'un pays dont il refuse de donner le nom, ou de situer précisément. "J'ai vraiment risqué ma vie", insiste-t-il. "Je passe la frontière, je croise des gardes-frontière à deux reprises, et ils ne m'arrêtent pas. Je suis en Europe. Je suis en pays ami. C'est un grand sentiment de libération".
Malgré le mandat d'arrêt international émis par la Russie, Yoann Barbereau parvient à prendre un avion, pour regagner la France. Il a atterri mercredi à Roissy.
Complot et luttes d'influence
Le Français estime avoir été victime de calculs politiques locaux, en Russie, du fait de ses fonctions liées à la diplomatie culturelle. "Dans le cadre de mes fonctions, je m'étais rapproché du maire communiste d'Irkoutsk, qui venait d'être élu, et de son épouse. C'était un opposant farouche à Russie unie, le parti de Vladimir Poutine. Un mois après mon incarcération, le maire a été retiré, l'élection annulée, un gouverneur placé", raconte Yoann Barbereau.
L'ancien employé du ministère des Affaires étrangères juge par ailleurs que son sort a été lié aux luttes d'influences locales du FSB, les services secrets russes, qui ont monté un dossier contre lui.
"Tout cela s'est passé en pleine crise ukrainienne, mais aussi en pleine affaire des Mistral. Le FSB avait cela en tête. Il a vu que j'étais français et a commencé à m'avoir en ligne de mire. L'idée était d'embêter les Français", estime Yoann Barbereau, racontant encore qu'outre les rumeurs de pédophilie, une liaison lui a été prêtée avec l'épouse du maire. "Tout cela était faux, ce sont des écrans de fumée qui ont été distillés".
"Mon épouse a été menacée, on a menacé de lui retirer sa fille. Elle a résisté. Elle a signé des papiers qui ont permis mon emprisonnement, mais elle ne m'a jamais accusé. Et elle m'a défendu ensuite de manière forte", ajoute encore le Français.
Demande de blanchiment et d'indemnisation
Aujourd'hui, Yoann Barbereau demande à être blanchi par la justice et indemnisé par le Quai d'Orsay, dont il était un agent, et qui n'a selon lui pas su le "protéger". "J'attends d'être lavé de toute accusation et de toute condamnation et de retrouver une liberté de mouvement totale", a déclaré le fugitif lors de sa conférence de presse.
Son avocat, Olivier Arnod, a précisé qu'il souhaitait que la Russie transmette son dossier à la justice française. "Avec un tel dossier, la justice française ne pourra que constater l'inanité des charges et prononcer un non-lieu", a estimé l'avocat. Ce dernier a en outre précisé qu'il allait porter plainte auprès du parquet de Paris pour "les violences subies" par son client lors de son arrestation en février 2015 à Irkoutsk, le "piratage" de son ordinateur, "extorsions" et "atteinte à la vie privée" (en raison de la diffusion de photos privées sur Internet).
L'avocat a aussi demandé que "la diplomatie prenne acte qu'elle n'a pas su protéger un agent du ministère des Affaires étrangères et prenne des dispositions pour indemniser ce qu'a subi Yoann". De son côté, la Russie a annoncé ce vendredi de nouvelles poursuites à l'encontre du Français, pour avoir quitté illégalement le pays.