"Kompromat": le Français Yoann Barbereau se dit victime des services russes

Le siège du FSB et ancien du KGB, à Moscou. - VASILY MAXIMOV / AFP
Sale histoire que celle de Yoann Barbereau. Cet ancien directeur de l'Alliance française à Irkoutsk, en Sibérie, a été condamné par contumace le 26 décembre 2016 à 15 ans de colonie pénitentiaire par la justice russe. Il est accusé d'actes pédophiles sur sa fille âgée de 5 ans aux moments des supposés faits. De retour en France, qu'il a regagnée par ses propres moyens le mercredi 8 novembre, après 14 mois de clandestinité, le Français de 39 ans clame son innocence, et en appelle à Emmanuel Macron. Dans l'émission Envoyé spécial qui sera diffusée jeudi soir sur France 2, Yoann Barbereau témoigne pour la première fois.
"Que veut la Russie?", questionne l'ancien président de l'Alliance française d'Irkoutsk. "Est-ce que la Russie veut coopérer avec la France, ou continuer à jouer ce jeu de dupes et à monter des 'kompromat' contre des agents français?"
Selon sa version des faits, l'homme se dit victime d'un "kompromat". Réminiscence d'une technique du KGB, devenu aujourd'hui FSB, le "kompromat" est vieux comme le monde. Il consiste, pour atteindre un adversaire, à "compromettre" sa dignité, ses mœurs, à salir son inimité, sa vie privée. D'où, selon Yoann Barbereau, les photos truquées à l'appui des accusations d'attouchements sur mineure et la diffusion d'images pédopornographiques sur Internet. Le Français assure que les clichés d'origine ensuite falsifiés lui ont été dérobés à la faveur du piratage de son ordinateur en février 2015.
De la "sex-tape" aux réseaux pédophiles
Au début de l'utilisation de ces "dossiers compromettants", à la fin des années 50, la marche à suivre était simple. Il s'agissait de produire des photos d'usage de drogue ou de liaisons avec des prostituées recrutées par le KGB, ou de liaisons homosexuelles, alors considérées comme illégales dans nombre de pays. Certains appartements étaient équipés de tout le matériel pour rendre compte des éventuels ébats et en faire, si besoin, la publicité. L'une des particularités du "kompromat" est qu'il est souvent commandité en avance pour servir au cas où et museler un opposant, un dignitaire étranger, une relation d'affaires.
Au cours du temps, le "kompromat" a évolué vers la cybercriminalité, sans se départir de sa connotation sexuelle. La pédopornographie est l'une des nouvelles formes de calomnies qui emportent la préférence des agents russes, expliquait en décembre 2016 le New York Times. Ainsi, selon le quotidien américain, l'ancien dissident soviétique Vladimir K. Bukovsky avait été inquiété pour des "images interdites", alors qu'il était en exil à Cambridge, au Royaume-Uni.
"C'est kafkaïen", avait déclaré l'homme de 73 ans. "Vous devez non seulement prouver que vous n'êtes pas coupable, mais aussi prouver que vous êtes innocent."
Menaces et témoignages extorqués
"Ma situation aujourd'hui est que je suis un otage. C'est une forme de prise d'otage très particulière", déclare Yoann, au magazine télévisé Envoyé spécial.
Dans cet entretien de 40 minutes, réalisé grâce à des messages audio cryptés , Yoann Barbereau raconte comment il a été arrêté chez lui à Irkoutsk en février 2015 puis frappé par des hommes lui ordonnant d'avouer.
Son épouse, russe, évoque un complot contre son mari et revient sur son témoignage qu'on lui aurait extorqué. "Yoann a été victime d'un complot qui a été commandité. Par qui, par quoi, je n'en sais rien", avance aussi sa femme Daria Nikolenko, qui a été interrogée pendant sept heures par la police russe.
"Quand je répondais la vérité, ça ne leur plaisait pas. Ils arrêtaient la caméra" et "m'ont fait comprendre que si jamais je n'allais pas dans leur sens ne serait-ce qu'un petit peu, j'allais me retrouver en prison et Héloïse en orphelinat", ajoute-t-elle.
Le documentaire s'attarde aussi sur les preuves fabriquées, photos recadrées et le piratage supposé de l'ordinateur de Yoann Barbereau.
A-t-il été victime d'un règlement de comptes politique, d'une chasse aux étrangers en pleine crise ukrainienne? "Au départ, c'est totalement local", estime Yoann Barbereau. Mais "dans le même temps, il y a eu un calcul qui est de dire: on peut exploiter cette affaire pour avoir des moyens de pression lorsqu'on discute avec les Français", ajoute-t-il.
Où il constate l'"échec de la stratégie du silence"
Pour sa défense, Yoann Barbereau a choisi, comme d'autres, de ne pas s'en tenir à la stratégie du silence, comme selon Le Monde, il y avait été invité par les autorités françaises et dont il acte "l'échec". Lors de la visite de Vladimir Poutine, Emmanuel Macron avait dit s'être entretenu avec le chef d'Etat russe de "cas particuliers". Si le Quai d'Orsay ne commente pas, le comité de soutien au Français a décidé de passer à la vitesse supérieure et en a appelé début novembre au président français.
"Puisque nous avons un nouveau président qui ne veut pas que la France se trahisse elle-même, on peut exprimer de manière claire et publique que la prise d'otage dont je fais l'objet n'est pas acceptable", lance-t-il.
Son avocat, Me Arnod, a saisi la Cour européenne des droits de l'Homme en septembre dernier du cas de son client.