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Après l'échec de la guerre-éclair russe, la bataille du Donbass se prépare

Des chars ukrainiens dans le Donbass en avril 2021

Des chars ukrainiens dans le Donbass en avril 2021 - Handout / Armed Forces of Ukraine / AFP

Après leur échec devant Kiev, les Russes se redéploient dans le sud-est de l'Ukraine où ils comptent mener la deuxième phase de l'invasion aux côtés de leurs alliés séparatistes. Il s'agit pour eux de s'emparer de l'intégralité de cette région du Donbass et ce, avant la date symbolique du 9 mai.

"La première phase de la guerre en Ukraine se comptait en semaines, la prochaine pourrait durer un mois ou plus". Telle est la mesure donnée par Jake Sullivan, le conseiller à la Sécurité nationale des Etats-Unis, lundi lors d'un point-presse. Ce second volet de l'invasion de l'Ukraine par la Russie doit se concentrer dans le Donbass, cette région du sud-est ukrainien. Et à vrai dire, la perspective tracée par la Maison Blanche semble presque optimiste, car la guerre n'a jamais quitté ce territoire où Ukrainiens et pro-Russes s'affrontent depuis près de huit ans.

À la fois second volet de l'agression de l'Ukraine par la Russie et épisode supplémentaire d'une interminable guerre civile inaugurée en 2014 dans la foulée de la révolution de Maïdan, la bataille pour le Donbass s'annonce comme la nouvelle scène du duel entre Kiev et Moscou. Quels sont les enjeux et le rapport de forces de ce conflit interminable?

Préposition

Après l'échec des Russes sur le front nord ukrainien, où ils n'ont pas réussi à prendre ni Kiev ni aucune des grandes villes du pays, c'est donc le Donbass qui s'affirme désormais comme la ligne d'horizon de la guerre entre les deux belligérants. Une région où Moscou pourra compter sur l'appui des deux républiques séparatistes de Donetsk et de Lougansk, qui ont autoproclamé leur indépendance en avril 2014 poussées par leur sentiment pro-russe.

"Tous les élements portent à y croire. Le chef d'État-major adjoint de l'armée russe l'a annoncé il y a douze jours et les services de renseignement confirment que beaucoup de forces se prépositionnent à l'est, en face du Donbass, en provenance de Russie", a analysé ce mardi le général de l'armée de l'Air, Patrick Dutartre, sur notre plateau.
Le rapport des forces en présence dans le Donbass
Le rapport des forces en présence dans le Donbass © Kenan AUGEARD © 2019 AFP

Les Russes veulent faire oublier leurs erreurs

En effet, dès le 25 mars dernier, l'armée russe disait son intention de concentrer ses efforts dans l'est ukrainien, premier signe patent que le Kremlin enterrait son rêve de guerre-éclair et de victoire totale sur son voisin. Et il s'agit cette fois de l'emporter sur ce nouveau théâtre où ils auront à coeur de ne pas répéter les erreurs qui ont contrarié leur offensive jusqu'ici.

"Les Russes ont encore des ressources militaires conséquentes", souligne le général Jérôme Pellistrandi, notre consultant pour les questions militaires, auprès de BFMTV.com ce mardi.

"Ils ont constaté l'échec de leurs offensives et maintenant ils vont appliquer ce vieux principe de la concentration des efforts, avec de nouveaux soldats et de nouveaux blindés. Ils vont pouvoir avoir un rapport de forces favorable cette fois. On estime que pour attaquer, il faut être à trois contre un", ajoute notre interlocuteur. Ce dernier en veut d'ailleurs pour preuve "des mouvements de train" en cours depuis la Fédération de Russie pour renouveler des forces épuisées par ces cinq premières semaines de conflit.

La "drôle de guerre"?

Les enjeux sont lourds de part et d'autre. "D'un côté, les Russes cherchent à accroître le périmètre de leurs possessions pour être en position de force dans les négociations. De l'autre, les Ukrainiens doivent leur laisser le moins de terrain possible pour obtenir un nouveau match nul et négocier", résume pour nous Jérôme Pellistrandi.

Pour le moment, c'est la "drôle de guerre" dans le Donbass. Ce qui n'empêche pas les menaces, loin de là.

"Il faudra surveiller Odessa", a pointé sur notre plateau le général Dutartre.

Le port ukrainien, située en vis-à-vis du Donbass, vient d'ailleurs d'essuyer de premiers bombardements russes dimanche.

Sentant la tempête imminente, le gouverneur ukrainien de l'administration militaro-civile de la région de Donetsk, Pavlo Kyrylenko, a prévenu lundi lors d'un point-presse: "Les gens doivent quitter la région pour qu'on ait la possibilité d'agir plus efficacement pour protéger la région de Donetsk et l'Ukraine dans son ensemble".

Le 9 mai en ligne de mire

Donetsk, une ville qui défie cependant le pouvoir de Kiev depuis le printemps 2014 et la proclamation d'un régime dissident, comme Lougansk, à 150 kilomètres environ plus au nord-est. Deux fiefs pro-russes pour deux républiques séparatistes, reconnues par Moscou fin février, casus belli de la guerre en cours.

"Moscou a présenté la guerre contre l'Ukraine comme une guerre préventive pour venir au secours de ces deux 'républiques-soeurs'", reprend le général Pellistrandi qui y voit une autre dimension du conflit: "Mais celles-ci ne représentent pas tout le Donbass, et la Russie veut contrôler la totalité des deux oblasts qui échappent encore à ces deux républiques". Comme pour solder, une bonne fois pour toutes, un vieux dossier qui n'aurait que trop traîné. Et pour Vladimir Poutine, le temps presse encore pour une autre raison.

"Les Russes espèrent une percée importante d'ici au 9 mai", enchaîne Jérôme Pellistrandi.

Le 9 mai, ou le "Jour de la Victoire" pour les Russes, celui de la capitulation de l'Allemagne nazie au terme de la "Grande guerre patriotique" menée par l'Union soviétique. Une percée qui n'aura pourtant rien d'une mince affaire. "Il y a eu des combats intenses sur ce front depuis la fin du mois de février aussi et les Russes ont eu du mal à progresser, gagnant un kilomètre par ci, un autre par là", relève le général Pellistrandi.

Trompe-l'oeil et paramilitaires

L'officier nous décrit la situation régnant dans le Donbass. Une province où le partage en ces deux "républiques" distinctes apparaît comme un trompe-l'oeil.

"C'est un front uni qui s'est stabilisé depuis 2014, avec des escarmouches permanentes entre les deux camps, le long d'une ligne fortifiée, avec des tranchées, des abris".

Outre des forces russes régénérées, les Ukrainiens retrouveront sur place un ennemi au profil hybride. "Les séparatistes disposent de groupes paramilitaires extrêmement bien équipés et encadrés 'à la russe'. Ce ne sont pas des maquisards pratiquant la guérilla, ce sont presque des armées régulières", met ainsi en valeur le général Pellistrandi.

Des combats militaires "de très haute intensité"

Mais le principal danger de ce théâtre d'opération réside moins d'après lui dans le visage de troupes qui se connaissent parfaitement que dans la topographie de cette région industrielle.

"Ce sont des terrains plats, avec peu d'obstacles naturels d'où des risques de pertes militaires plus importantes".

Mais la rareté des grandes agglomérations permet toutefois d'espérer que les pertes civiles seront quant à elles moins conséquentes, prolonge notre interlocuteur qui prévoit des "combats de très haute intensité".

Des batailles cruciales sont d'ailleurs déjà engagées à proximité. Les Ukrainiens ont en effet lancé une contre-offensive autour de Kherson, tout près du Donbass. Pour Kiev, il importe de retrouver cette ville prise par les Russes le 2 mars dernier... et de s'ouvrir la voie vers cette Crimée que ceux-ci ont annexée. Un front de plus dans cette guerre qui vient de si loin et oppose de si proches adversaires.

Robin Verner
Robin Verner Journaliste BFMTV