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Le Retour à la terre: la BD culte de Larcenet et Ferri revient après dix ans d'absence

Le Retour à la terre

Le Retour à la terre - Dargaud 2019

Après dix ans d'absence, Manu Larcenet et Jean-Yves Ferri publient le sixième tome de leur série à succès Le Retour à la terre.

Manu Larcenet revient à ses premières amours et retrouve la légèreté de son vieil acolyte Jean-Yves Ferri. Ensemble, ils ont concocté Les Métamorphoses, le sixième tome du Retour à la terre. Débutée en 2002, cette série à succès (867.457 exemplaires vendus) narre les mésaventures de Manu Larssinet et Mariette, un jeune couple de citadins qui s’installe en milieu rural.

Fort à propos, le titre de ce nouvel album se fait autant l’écho des métamorphoses traversées par la société française que de celles survenues dans les vies respectives du duo. Devenu scénariste officiel d’Astérix, Jean-Yves Ferri n'avait plus le temps de se consacrer au Retour à la terre. Et Manu Larcenet, malade, s’est consacré à Blast et au Rapport de Brodeck, deux œuvres sombres et dépressives et a changé de méthode de travail, passant du papier à la palette graphique.

Ces métamorphoses constituent le cœur d’un album qui apparaît comme des excuses à un public piaffant d'impatience depuis tant d’années de retrouver le joyeux cirque de Juvisy aux Ravenelles, patelin fictif où se déroule Le Retour à la terre. Le duo évoque pêle-mêle l’emprise des smartphones sur la vie quotidienne, se moque (gentiment) du milieu de l’édition et des ZAD et déplore la fin des grands idéaux politiques, transformés en best-seller récompensés au Goncourt.

"Il est loin, le temps du charmant Retour à la terre"

C’est aussi un récit sur la création, une mise en abyme des événements de l'histoire personnelle des auteurs. Larcenet parodie Blast, son portrait d'un serial-killer obèse, en Plast: "Plast n’est pas une bédé morbide!", hurle-t-il à sa femme, peu sensible à cette nouvelle aventure graphique. "C’est le parcours d’un personnage différent! Et ce sera Grand Prix d’Angoulême", assure celui qui refuse dans la réalité les honneurs de la manifestation.

Ses éditeurs sont beaucoup moins enthousiastes: "Larssinet ne va pas bien, c’est évident", dit le premier. "Il est loin, le temps du charmant Retour à la terre", poursuit le second. Larcenet s'amuse aussi avec Ferri de ce fameux jour où il a annoncé sur Facebook mettre un terme à sa carrière: "J’imagine d’ici l’énorme bazar", se gausse son double de papier Larssinet. "Pour être authentique, l'art doit être proche de la folie", expliquait-il en 2016 à L'Express.

Le Retour à la terre 6 de Larcenet et Ferri
Le Retour à la terre 6 de Larcenet et Ferri © Dargaud 2019

Pour Ferri et Larcenet, tout commence en 1994, dans les couloirs de la revue satirique Fluide Glacial. Ils mettent du temps à s'apprivoiser. Larcenet vient de la banlieue et Ferri de la campagne. A cette époque, ils communiquent par dessin. Lorsque Larcenet déménage à la campagne, Ferri lui envoie un dessin de lui perdu dans la nature. Ainsi naît le personnage de Larssinet.

"Une génération peu militante, plutôt désabusée"

Depuis, ce mélange de folie, d'humour, d'autodérision et de ruralité ne cesse de séduire. "[La série] est, je pense, dans l’air du temps", explique Jean-Yves Ferri dans Sud Ouest. "Le personnage est un vrai citadin confronté aux réalités d’un autre monde. Nous l’avons fait évoluer. Il est confronté aux difficultés de la vie en couple. Puis à la paternité…" Ce qui touche, aussi, les lecteurs est le portrait d'une génération née après Mai 68 déçue par les évolutions de la société: 

"Nouveaux arrivants, néo-ruraux, Manu et Mariette ne viennent pas à la campagne nantis d’une idéologie, d’une réflexion sur la ruralité, ni même d’un projet particulier", analysait en 2005 Laetitia Cornu dans Ruralia, la revue de l’Association des ruralistes français. "Ils appartiennent à une génération, celle des trentenaires, peu militante, plutôt désabusée, même s’ils sont sensibles à l’écologie, à travers de thèmes tels que le développement durable, la pollution des océans et celle du potager de leur voisin."

"Manu risque un jour de réaliser qu’il n’est qu’un personnage de papier"

Dix ans avant Les Métamorphoses, le tome 5, Les Révolutions, marquait un premier bilan de la vie des auteurs à l’aube de la quarantaine: "Manu vit des révolutions intérieures, il évolue. Il a un enfant. Il émerge pour la première fois de sa torpeur et va à une réunion électorale – événement qui n’aurait pas été possible auparavant [...] Réaliser une révolution, c’est aussi revenir à son point de départ”, expliquait à l'époque de la sortie Ferri dans les pages de L’Étudiant.

Le Retour à la terre 6
Le Retour à la terre 6 © Dargaud 2019

Le mélange entre fiction et réalité est tel que les auteurs s’y perdent un peu. "Certaines anecdotes prêtées à Larssinet ont réellement été vécues par Manu. D’autres par moi. D’autres encore ont été entendues ou inventées… Ce qui est très drôle, c’est que certaines de ces situations ont été vécues par Manu après que nous les avons écrites…", dit Ferri dans Sud-Ouest. De quoi embrouiller l'esprit du dessinateur: 

"J’essaie de ne pas pousser le gag trop loin car Manu risque un jour de réaliser qu’il n’est qu’un personnage de papier. Cela peut se révéler dangereux", ajoute le scénariste dans L'Etudiant, avant d'ajouter: "Non, il ne faut pas pousser le gag trop loin car il faut que cela reste plausible."

Larcenet, d’ailleurs, n’a pas grand-chose à voir avec Larssinet, dit-il dans la revue: "Je n’ai qu’un point commun flagrant avec Manu: son décalage, sa faculté de n’être jamais au bon endroit au bon moment. Ah si: il y a le chat aussi! En fait, il y a beaucoup de Ferri dans la série." "Je ne pousse pas les choses jusqu’à demander des détails intimes à Manu pour le scénario. Je plaque mes propres expériences", acquiesce Ferri.

Se dessiner soi-même a été pour Larcenet un mécanisme de défense: "Je pense que j'étais tellement déstabilisé de faire autre chose que de l'humour que c'était rassurant de me placer au centre. Avec le recul, je regrette un peu d'avoir mis ma tête à tous ces héros!", a-t-il analysé dans L'ExpressLe Retour à la terre reste pourtant une BD à part pour le dessinateur: "C’est un vrai travail d’échange, assez alchimique. Une relation humaine très particulière. Je n’ai jamais vécu ce genre de collaboration. Les albums du Retour à la terre sont d’ailleurs les seuls que j’arrive à relire sans avoir honte."

Le Retour à la terre, tome 6, Les Métamorphoses, Jean-Yves Ferri (scénario) et Manu Larcenet (dessin), Dargaud, 48 pages, 12 euros.

Le Retour à la terre 6
Le Retour à la terre 6 © Dargaud 2019
Jérôme Lachasse